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sans qu'ils les cèdent? Se passera-t-on de leur consentement quand le droit public le rend nécessaire? Et l'Europe se sera-t-elle réunie pour violer les principes de ce droit qui la régit? Il importe bien plutôt de les remettre en vigueur, après qu'ils ont été si longtemps méconnus et si cruellement violés. Un moyen simple de concilier à la fois le droit et les convenances serait de mesurer la part que les États de troisième et de quatrième ordre prendraient aux arrangements à faire, non sur l'échelle de la puissance, mais sur celle de leur intérêt.

» L'équilibre général de l'Europe ne peut être composé d'éléments simples. Il ne peut l'être que de systèmes d'équilibres partiels. Les petits ou moyens États ne prendraient part qu'à ce qui concerne le système particulier auquel ils appartiennent les États d'Italie aux arrangements de l'Italie, et les États allemands aux arrangements de l'Allemagne. Les grandes puissances seules, embrassant l'ensemble, ordonneraient chacune des parties par rapport au tout.

» L'ordre dans lequel il paraît le plus naturel et le plus convenable que les objets soient traités est celui dans lequel ils ont été présentés ci-dessus. Il faut premièrement constater ce que chacun a et ce qu'il doit garder, pour savoir s'il faut et ce qu'il faut lui ajouter, et ne disposer qu'en connaissance de cause de ce qui est disponible; répartir ensuite ce qui est à répartir, et fixer ainsi l'état général de possession, premier principe de tout équilibre. L'organisation de l'Allemagne ne peut venir qu'après, car il faudra qu'elle soit relative à la force réciproque des États allemands, et conséquemment, que cette force soit préalablement fixée. Enfin, les garanties doivent suivre et non pas précéder les arrangements sur lesquels elles portent.

Il devra être tenu un protocole des délibérations, actes

et décisions du congrès.

>> Ces décisions ne doivent être exprimées que dans le langage ordinaire des traités. Pour rendre le royaume de Naples à Ferdinand IV, il suffirait que le traité reconnût ce prince comme roi de Naples, ou simplement le nommât avec ce titre de la manière suivante : « Sa Majesté Ferdinand IV, roi de » Naples et de Sicile. »

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» De même, pour constater le droit de la maison de Carignan, le traité n'aurait qu'à dire « Telle partie de l'État de Gènes » est réunie à perpétuité aux États de Sa Majesté le roi de Sar>> daigne, pour être, comme eux, possédée en toute propriété » et souveraineté, et héréditaire de mâle en måle, par ordre » de primogéniture, dans les deux branches de sa maison.»>

Pour ce qui concerne le mode et les moyens d'exécution, une garantie commune des droits reconnus suffit à tout, puisqu'elle oblige les garants à soutenir ces droits et qu'elle ôte tout appui extérieur aux prétentions qui leur sont opposées.

» Après avoir montré quels objets le congrès peut et doit régler, et que sa compétence résulte des principes mêmes de droit qui doivent servir à les régler, il reste à les considérer sous le rapport de l'intérêt de la France, et à faire voir que la France est dans l'heureuse situation de n'avoir point à désirer que la justice et l'utilité soient divisées, et à chercher son utilité particulière hors de la justice qui est l'utilité de tous.

>> Une égalité absolue de forces entre tous les États, outre qu'elle ne peut jamais exister, n'est point nécessaire à l'équilibre politique, et lui serait peut-être, à certains égards, nuisible. Cet équilibre consiste dans un rapport entre les forces de résistance et les forces d'agression réciproques des

divers corps politiques. Si l'Europe était composée d'États qui eussent entre eux un tel rapport que le minimum de la force de résistance du plus petit fùt égal au maximum de la force d'agression du plus grand, il y aurait alors un équilibre réel, c'est-à-dire résultant de la nature des choses. Mais la situation de l'Europe n'est point telle et ne peut le devenir. A côté de grands territoires appartenant à une puissance unique, se trouvent des territoires de même ou de moindre grandeur, divisés en un nombre plus ou moins grand d'États, souvent de diverses natures. Unir ces États par un lien fédératif est quelquefois impossible, et il l'est toujours de donner à ceux qui sont unis ainsi la même unité de volonté et la même puissance d'action que s'ils étaient un corps simple. Ils n'entrent donc jamais dans la formation de l'équilibre général que comme des éléments imparfaits; en leur qualité de corps composés, ils ont leur équilibre propre, sujet à mille altérations qui affectent nécessairement celui dont ils font partie.

>> Une telle situation n'admet qu'un équilibre tout artificiel et précaire, qui ne peut durer qu'autant que quelques grands États se trouvent animés d'un esprit de modération et de justice qui le conserve.

» Le système de conservation fut celui de la France, dans tout le cours du siècle passé, jusqu'à l'époque des événements qui ont produit les dernières guerres; et c'est celui que le roi veut constamment suivre. Mais, avant de conserver, il faut établir.

» Si l'Autriche venait à demander la possession de toute l'Italie, il n'y aurait sans doute personne qui ne se récrit à une telle demande, qui ne la trouvât monstrueuse, et ne regardât l'union de l'Italie à l'Autriche comme fatale à l'indé

pendance et à la sûreté de l'Europe. Cependant, en donnant à l'Autriche toute l'Italie, on ne ferait qu'assurer à celle-ci son indépendance. Une fois réunie en un seul corps, l'Italie, à quelque titre qu'elle appartint à l'Autriche, lui échapperait, non pas tôt ou tard, mais en très peu d'années, peut-être en peu de mois; et l'Autriche ne l'aurait acquise que pour la perdre. Au contraire, que l'on divise le territoire italien en sept territoires, dont les deux principaux sont aux extrémités, et les quatre plus petits à côté du plus grand; que donnant celui-ci à l'Autriche, et trois des plus petits à des princes de sa maison, on lui laisse un prétexte à l'aide duquel elle puisse faire tomber le quatrième en partage à l'un de ces princes; que le territoire à l'autre extrémité soit occupé par un homme qui, à raison de sa position personnelle vis-à-vis d'une partie des souverains de l'Europe, ne puisse avoir d'espoir que dans l'Autriche, ni d'autre appui qu'elle; que le septième territoire appartienne à un prince dont toute la force réside dans le respect dû à son caractère, n'est-il pas manifeste qu'en paraissant ne donner qu'une partie de l'Italie à l'Autriche, on la lui aura en effet donné toute, et que son apparente division en divers États ne serait, en réalité, qu'un moyen donné à l'Autriche de posséder ce pays, de la seule manière dont elle puisse le posséder, sans le perdre ? Or, tel serait l'état de l'Italie, où l'Autriche doit avoir pour limites le Pò, le lac Majeur et le Tésin, si Modène, si Parme et Plaisance, si le grand-duché de Toscane, avaient pour souverains des princes de sa maison, si le droit de succession dans la maison de Sardaigne restait douteux, si celui qui règne à Naples continuait d'y régner.

>> L'Italie divisée en États non confédérés n'est point suscep

tible d'une indépendance réelle, mais seulement d'une indépendance relative, laquelle consiste à être soumise, non à une seule et même influence, mais à plusieurs. Le rapport qui fait que ces influences se contrebalancent est ce qui constitue son équilibre.

>> Que l'existence de cet équilibre importe à l'Europe, c'est une chose si évidente qu'on ne peut même la mettre en questin; et il n'est pas moins évident que, dans une situation de l'Italie, telle que celle qui vient d'être représentée, toute espèce d'équilibre cesserait.

» Que faut-il, et que peut-on faire pour l'établir? Rien que la justice n'exige ou n'autorise.

» Il faut rendre Naples à son légitime souverain;

>>> La Toscane à la reine d'Étrurie;

>> Au Saint-Siège, non seulement les provinces sur l'Adriatique, qui n'ont pas été cédées, mais aussi les légations de Ravenne et de Bologne devenues vacantes;

>> Piombino au prince de ce nom auquel il appartenait, ainsi que les mines de l'ile d'Elbe, sous la suzeraineté de la couronne de Naples, et qui dépouillé de l'une et de l'autre propriété, sans aucune sorte d'indemnité, a été réduit par là, à un état voisin de l'indigence 1;

» Mettre hors de doute les droits de la maison de Carignan et agrandir la Sardaigne.

1. La principauté de Piombino, enclavée dans la Toscane, avait environ quarante kilomètres carrés et vingt-cinq mille habitants. Elle appartenait autrefois à la famille Buoncompagni, qui l'avait achetée en 1634. Le prince de Piombino fut dépossédé en 1801. Bonaparte s'empara de la principauté et la donna à sa sœur la princesse Élisa Baciocchi. Le traité de Vienne la rendit à la famille Buoncompagni, et celle-ci la céda au grand-duc de Toscane moyennant quatre millions sept cent quatre mille francs.

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