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milieu du plus violent transport de colère que cet accusateur, lui, grand-prêtre, qui croit parler au nom du Dieu vivant, opine le premier pour la mort, et qu'il entraîne subitement les autres suffrages! A ces traits hideux, je ne puis reconnaître cette justice des Hébreux, dont M. Salvador trace un si brillant tableau dans sa théorie!

«VII. VIOLENCES A LA SUITE. -Aussitôt après cette espèce de verdict sacerdotal lancé contre Jésus, les violences et les insultes recommencent avec plus de force; la fureur du juge a dû se communiquer aux assistans. «Alors, » dit saint Matthieu, «ils lui crachèrent «au visage, et ils le frappèrent à coups de poing, et d'autres lui «donnèrent des soufflets, en disant: Christ, prophétise-nous qui <«<est celui qui t'a frappé ?» (Matth. ch. xxv1, 67, 68.)

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« Les écrivains qui nous ont transmis ces détails, dit M. Salvador, (page 88 ) n'ayant pas assisté eux-mêmes au procès, ont été dis«posés à charger le tableau, soit à cause de leurs affections propres, << soit pour jeter sur les juges une plus grande défaveur. >>

« Les historiens, dit-on, n'étaient pas présens au procès. Et M. Salvador y était-il donc présent lui-même pour leur donner un démenti? Et lorsqu'écrivain habile, mais non témoin oculaire, il raconte le même événement après plus de dix-huit siècles, il faudrait au moins qu'il apportât des témoignages contraires pour infirmer celui des contemporains, qui, s'ils n'étaient pas dans la salle du Conseil, étaient certainement sur les lieux, dans le voisinage, dans la cour peut-être, s'enquérant avec anxiété de tout ce qui arrivait à l'homme dont ils étaient les disciples. D'ailleurs, le docte auteur que je combats a dit, en commençant, page 81, «que c'est <«<dans les Evangiles mêmes qu'il puiserait tous les faits. » Il faut donc les y prendre à charge comme à décharge.

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Nous ajouterons quelques mots aux remarques de M. Dupin. M. Salvador prétend que « les écrivains qui nous ont transmis <«< ces détails n'ont pas assisté eux-mêmes au procès, »> tandis que Saint-Jean, parlant de lui-même, selon son habitude, sans se nommer, mais de manière à être cependant reconnu, nous dit positivement, qu'outre Saint-Pierre, un autre disciple avait suivi Jésus, et que ce disciple étant connu du Souverain Sacrificateur, il entra avec Jésus dans la cour du Souverain Sacrificateur, mais que Pierre était demeuré hors de la porte; et que cet autre disciple (c'est-à-dire Jean), qui était connu du Souverain Sacrificateur, sortit et parla à la portière qui fit entrer Pierre. (Jean, xvIII,

15, 16.) Voilà donc deux disciples témoins des mauvais traitemens que l'on fit éprouver à Jésus-Christ; plusieurs savans commentateurs pensent même que ce furent ces mauvais traitemens qui ébranlèrent le courage de saint Pierre et le portèrent à renier son Maître. Nicodème, qui était membre du Conseil, Joseph d'Arimathée et d'autres encore étaient d'ailleurs bien à même, par leur position, de connaître tout ce qui s'é, tait passé ; ils devaient naturellement avoir instruit les disciples de tous les détails du procès. Après avoir attaqué l'exactitude des faits, M. Salvador incrimine la véracité des auteurs sacrés, mais sans produire aucune preuve, aucun raisonnement à l'appui de son accusation.

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Le paragraphe suivant est digne de toute l'attention du lecteur. Il contient l'opinion du savant M. Dupin sur le droit public qui régissait alors la Judée coong of media sot

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«VIII. POSITION DES JUIFS A L'ÉGARD DES ROMAINS. Quelquesuns ont considéré Pilate comme gouverneur en titre, et l'ont appelé Prases. Ils se sont mépris et n'ont pas connu la valeur du mot, Pilate était un de ces fonctionnaires qu'on, appelait procuratores Cæsaris. A ce titre de procurator Cæsaris, il était placé sous l'autorité supérieure du gouverneur de Syrie, véritable præses de cette province, dont la Judée n'était plus qu'une dépendance.

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«Au gouverneur (præses) appartenait éminemment, par son titre, le droit de connaître des accusations capitales. Le procurator, au contraire, n'avait pour fonction principale que le recouvrement des impôts et le jugement des causes fiscales. Mais le droit de connaître des accusations capitales appartenait aussi quelquefois à certains procuratores Cæsaris, envoyés dans de petites provinces, au lieu et place du gouverneur, vice præsidis, comme cela résulte clairement des lois romaines (1). Tel était Pilate à Jérusalem (2),

«Placés dans cette situation politique', les Juifs, quoiqu'on leur, eût laissé l'usage de leurs lois civiles, l'exercice public de leur reli gion, et beaucoup de choses qui ne tenaient qu'à la police et au régime municipal; les Juifs, dis-je, n'avaient pas le droit de vie et

(1) Godefroy, dans sa note (lettre S), sur la loi 3 au Code, ubi causæ fiscales, etc. Voyez aussi la loi 4 Cod, ad leg. fab, de plag, et la loi 2 au Code de poenis.-(2) CUJAS, observ. XIX. 15.

1829. — 12o année.

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de mort, attribut principal de la souveraineté, que les Romains ea rent toujours grand soin de se réserver, même en négligeant le reste. Apud Romanos, jus valet gladii, cætera transmittuntur. Tacit. Quel avait donc été le droit des autorités juives, vis-à-vis de Jésus? Assurément les princes des prêtres, les scribes et leurs ainis les pharisiens, avaient pu s'effrayer en corps ou individuellement des prédications et des succès de Jésus, s'en alarmer pour leur culte, interroger l'homme sur ses croyances et ses doctrines, faire une espèce d'instruction préparatoire, déclarer même, en point de fait, que ces doctrines, qui menaçaient les leurs, étaient contraires à leur Loi, telle qu'ils l'entendaient...

«Mais cette Loi n'avait plus de force coërcitive dans l'ordre extérieur. En vain elle aurait prononcé la peine de mort pour le cas où l'on voulait placer Jésus; le Conseil des Juifs n'avait pas le pouvoir de rendre un arrêt de mort; il aurait eu seulement le droit d'accuser Jésus devant le gouverneur ou son délégué, et de le lui livrer, pour qu'il eût à le juger.

« Fixons-nous bien sur ce point; car ici je suis tout-à-fait divisé d'opinion avec M. Salvador. A l'entendre (page 88): « Les Juifs <«< avaient conservé la faculté de juger selon leur toi; mais dans les « mains du procurateur seul résidait le pouvoir exécutif: tout cou<«<pable ne pouvait périr que de son consentement, afin que le sénat « n'eût pas le moyen d'atteindre les hommes vendus à l'étranger. » -Non les Juifs n'avaient pas le droit de juger d' mort. Ce droit avait été transporté aux Romains par le fait même de la conquête et ce n'était pas seulement pour que le sénat n'eût pas le moyen d'atteindre les hommes vendus à l'étranger; c'était aussi pour que le vainqueur pût atteindre ceux qui se montreraient impatiens du joug: c'était enfin pour l'égale protection de tous; car tous étaient devenus les sujets de Rome, et à Rome seule appartenaît la haute justice, principal attribut de la souveraineté. Pilate, représentant de César en Judée, n'était pas seulement préposé au soin de donner un exequatur, un simple visa à des arrêts rendus par une autre autorité, une autorité juive. Quand il s'agissait d'une accusation capitale, l'autorité romaine n'avait pas seulement executio, mais elle avait la connaissance même du délit, cognitio, c'est-à-dire le droit de connaître à priori de l'accusation, et celui de la juger souverainement. Si Pilate n'avait pas eu ce pouvoir par délégation spéciale, vice præsidis, ce droit aurait résidé dans la personne du gouverneur dont il ressortissait; mais de toute manière, tenons pour

constant que les Juifs avaient perdu le droit de condamner à mort qui que ce soit, non-seulement en ce qui est de l'exécution, mais même pour la prononciation. C'est un des points les plus constans du droit provincial des Romains. Ici je suis heureux de pouvoir m'appuyer d'une autorité bien respectable, celle du célèbre Loiseau, dans son Traite des Seigneuries, au chapitre des Justices appartenant aux villes.

« IX. ACCUSATION PORTÉE DEVANT PILATE. - C'est ici que j'appelle surtout l'attention du lecteur. Les irrégularités, les violences que j'ai relevées jusqu'à présent ne sont rien en comparaison du déchaînement de passions qui va se manifester devant le juge romain, pour lui arracher, contre sa propre conviction, une sentence de mort.

« Aussitôt que le matin fut venu ; » car, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, tout ce qui avait été fait jusque-là contre Jésus, l'avait été pendant la nuit. « Ils menèrent done Jésus de la maison de « Caïphe au prétoire de Pilate (1). C'était le matin; et pour eux, <«< ils n'entrèrent point dans le palais, afin de ne pas se souiller, et « de pouvoir manger la Pâque. » (Jean, xvIII, 28.) Singulier scrupule! et bien digne des pharisiens! Ils craignent de se souiller le jour de Pâques en entrant dans la maison d'un païen! et le même jour ils avaient, au mépris de leur Loi, commis l'énorme infraction de siéger en conseil, et de délibérer sur une accusation capitale!

<< Puisqu'ils ne voulaient pas entrer, «Pilate les vint donc trouver ‹ dehors.» › (Jean, xvIII, 29.) — Faites bien attention à ses paroles; il ne leur dit pas : où est l'arrêt que vous avez rendu? mais il prend les choses à leur source, comme doit le faire celui qui possède la plénitude de la juridiction; et il leur dit : « Quel est le crime dont vous « accusez cet homme ? » Ibid. Ils répondent avec leur orgueil accoutumé : « Si ce n'était point un malfaiteur, nous ne vous l'aurions » pas déféré.» (Jean, xvi, 30.) Ils voulaient donner à entendre par là que, s'agissant de blasphème, c'était une cause de religion, dont ils étaient meilleurs appréciateurs que qui que ce soit. Ainsi Pilate se serait vu réduit à les en croire sur parole. Mais le Romain, choqué d'une prétention qui eût restreint sa compétence, en le rendant l'instrument passif de la volonté des Juifs, leur répondit ironiquement: «Eh bien! puisque vous dites qu'il a péché contre « votre Loi, prenez-le vous-mêmes, et le jugez selon votre Loi.»

(1) Mener de Caïphe à Pilate, est resté proverbe.

« C'était pour eux une véritable mystification, puisqu'ils reconnaissaient leur impuissance de le condamner eux-mêmes à mort. Force leur fut donc de se soumettre, et de déduire devant Pilate les causes de l'accusation. Quelles seront ces causes? les mémes sans doute qui jusqu'ici ont été alléguées contre Jésus : l'accusation.de blasphème, la seule portée par Caïphe devant le conseil des Juifs? Point du tout désespérant d'obtenir du juge romain une sentence de mort pour une querelle religieuse qui n'intéressait pas les Romains (1), ils changent subitement de système : ils se départent de leur accusation première, l'accusation de blaspheme, pour y sub stituer une accusation politique, un crime d'État.

« C'est ici le NOEUD DE LA PASSION, et ce qui accuse le plus vivement les délateurs de Jésus. Car, tout entiers à l'idée de le perdre de quelque manière que ce soit, ils ne se montrent plus désormais comme vengeurs de leur religion prétendue outragée, de leur culte soi-disant menacé; mais cessant d'être Juifs, pour affecter des sentimens étrangers, ces hypocrites ne se montrent occupés que des intérêts de Rome; ils accusent leur compatriote de vouloir restaurer le royaume de Jérusalem, se faire roi des Juifs, et soulever le peuple contre les conquérans. Laissons-les parler: « Et ils.com« mencèrent à l'accuser, en disant: Voici un homme que nous avons « trouvé qui pervertissait notre nation et qui empêchait de payer « le tribut à César, et qui se disait être le Christ-Roi. » (Luc. XXIII, 2.) Quelle calomnie! Mais cette accusation était une manière d'intéresser la compétence de Pilate, qui, en sa qualité de Procurator Cæsaris, était surtout préposé au recouvrement de l'impôt. La seconde partie de l'accusation regardait plus directement encore la souveraineté des Romains: «Il se donne pour Roi. » L'accusation ayant pris ainsi un caractère entièrement politique, Pilate crut devoir y faire attention. «< Étant donc entré dans le Prétoire (lieu où se rendait la justice), et ayant fait comparaître Jésus, (il procède à son interrogatoire) et lui dit: Êtes-vous le roi des Juifs?» (Jean, xvi, 33.) «Tous les actes de cette procédure sont précieux. Je ne puis trop le redire nulle part devant Pilate, il n'est question d'une condamnation précédente, d'un jugement déjà rendu, d'une sentence qu'il

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(1) C'est ainsi que Lysias écrivait au gouverneur Félix au sujet de Paul : « Mais j'ai trouvé qu'il n'était accusé que de certaines choses qui regardent leur loi, sans qu'il y eût en lui aucun crime qui soit digne de mort ou de prison. » Act. des apôt., ch. xvì, v. 29.

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