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s'agisse seulement d'exécuter; c'est une accusation capitale, mais une accusation qui commence; on en est à l'interrogatoire de l'accusé. Pilate lui dit : Qu'avez-vous fait? Jésus lui répondit: « Mon « royaume n'est pas de ce monde : si mon royaume était de ce monde, <«< mes gens auraient combattu pour m'empêcher de tomber entre <« les mains des Juifs; » (et l'on a vu, en effet, que Jésus avait défendu à ses gens de résister); mais, dit-il encore : « Mon royaume « n'est point d'ici. » (Jean, xvIII, 36.) Cette réponse de Jésus est bien remarquable; elle est devenue le fondement de sa religion et le gage de son universalité, parce qu'elle désintéresse tous les gouvernemens. Elle n'est point seulement en assertion, en doctrine ; elle est donnée en justification, en défense contre l'accusation de vouloir se faire roi des Juifs. En effet, si Jésus avait affecté une royauté temporelle, s'il y avait eu la moindre tentative de sa part, d'usurper en quoi que ce soit le pouvoir de César, il eût été coupable de lėse - majesté aux yeux du magistrat. Mais en répondant par deux fois, mon royaume n'est pas de ce monde, mon royaume n'est point d'ici... la justification est complète. Pilate sortit pour aller vers les Juifs (qui étaient restés dehors), et leur dit : « Je ne trouve « aucun crime en cet homme.» (Jean, xvin, 38.)

« Voilà donc Jésus absous de l'accusation par la voix même du juge romain. «Mais les accusateurs, insistant de plus en plus, ajou«tèrent: Il soulève le peuple par la doctrine qu'il enseigne dans toute « la Judée, depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu'ici. » (Luc, XXIII, 5.) Il soulève le peuple! c'est une accusation de sédition : voilà pour Pilate. Mais remarquons ces mots : par la doctrine qu'i! enseigne; ils couvrent le grand grief des prêtres juifs. Pilate a entendu prononcer le mot Galilée ; il y voit une occasion de renvoyer la responsabilité à un autre fonctionnaire, et il la saisit avidement. « Vous êtes donc Galiléen? » dit-il à Jésus, et sur sa réponse affirmative, le considérant comme étant, à ce titre, de la juridiction d'Hérode-Antipas, qui, sous le bon plaisir de César, était tétrarque de Galilée, il le lui renvoie. (Luc, xx111, 6 et 7.) Mais Hérode ne voyant rien que de chimérique dans cette accusation de royauté, en fit un sujet de moquerie, et renvoya Jésus à Pilate, après l'avoir fait revêtir d'une robe blanche, pour témoigner que cette prétendue royauté lui paraissait plus digne de risée que de crainte. (Luc, xxIII, 8 et suiv., Sacy, ibid.)

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«X. DERNIErs efforts dEVANT PILATE. - Ainsi personne ne voulait condamner Jésus: ni Hérode, qui n'avait vu en lui qu'un sujet de

moquerie ; ni Pilate, qui avait hautement déclaré qu'il ne trouvait rien. en lui de criminel. Mais la haine sacerdotale n'était point désarmée; loin de là, les princes des prêtres, avec un nombreux cortège de leurs partisans, revinrent devant Pilate, résolus de lui forcer la main.

<«< Le malheureux Pilate, résumant devant eux toute sa conduite, leur dit encore: «Je ne l'ai trouvé coupable d'aucun des crimes dont « vous l'accusez; ni Hérode non plus, car je vous ai renvoyés à lui, « et il ne l'a pas plus que moi jugé digne de mort. Je n'en vais donc « le renvoyer, après l'avoir fait châtier.» (Luc, xxIII, 16 et 17.) — Après l'avoir fait chatier ! N'était-ce pas déjà une cruauté, puisqu'il le croyait innocent (1)? Mais c'était un acte de condescendance par lequel il espérait calmer la fureur dont il les voyait agités. «Pilate <<prit donc Jésus et le fit fouetter.» (Jean, xix, 1.) Et croyant avoir assez fait pour désarmer leur colère, il le leur montra en ce triste état, en leur disant : voilà l'homme : Ecce homo. (Jean, xix, 5.)

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<«< Eh bien ! dis-je à mon tour, voilà l'arrêt de Pilate! arrêt injuste! mais enfin ce n'est point le soi-disant arrêt rendu par les Juifs : c'est une décision toute différente; injuste, mais utile toutefois pour élever une fin de non recevoir contre toute nouvelle procédure, en raison du même fait. Non bis in idem; cet adage nous est venu des Romains. Aussi «Pilate ne cherchait plus qu'un moyen de délivrer «Jésus.» (Jean,XIX, 12.) Mais admirez ici la haute perfidie de ses accusateurs! «Si vous le délivrez, Pilate, lui crièrent-ils, vous n'ê«tes point ami de César. Si hunc dimittis, non es amicus Cæsaris. » «Car quiconque se fait roi se déclare contre César !...» (Ibid.)

<«< Pilate était fonctionnaire public; il tenait à sa place, il fut intimidé par des cris qui révoquaient en doute sa fidélité à l'empereur! Il craignit une destitution; il céda. Aussitôt il remonte sur son tribunal. Pro tribunali sedens. (Matth., xxvi, 29.) Et comme s'il lui était survenu de nouvelles lumières, il va prononcer un second arrêt. Pourtant encore il tente un dernier effort, en essayant de décider la populace à accepter Barabas à la place de Jésus. «Mais les prêtres excite«rent le peuple à demander qu'il leur délivrât plutôt Barabas. » Marc, xv, 11: Jean, xix, 14; Luc, xxIII, 33.) Barabas! un meurtrier, un assassin !

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(1) Gerhard pose à ce sujet un dilemme irréfatable: «Sois d'accord avec toi-même, ô Pilate! Car si le Christ est innocent, que ne le renvoies-tu absous? Et și tu crois qu'il a mérité d'être frappé de verges, pourquoi le proclames-tu innocent? » Gerhard, Harm., ch. cxcut, p. 1889.

«Enfin, Pilate voulant satisfaire la multitude, va parler. Appetlera-t-on jugement ce qu'il va prononcer? jouit-il en ce moment de la liberté d'esprit nécessaire à un juge qui va rendre un arrêt de. mørt?... Quels témoins nouveaux, quels documens sont venus changer sa conviction, cette opinion si énergiquement déclarée de l'innocence de Jésus ?... «Pilate voyant qu'il ne pouvait rien gagner << sur l'esprit de cette multitude, mais que le tumulte s'excitait de "plus en plus, se fit apporter de l'eau; et lavant ses mains devant «<le peuple, il leur dit: Je suis innocent du sang de ce juste : ce sera « à vous à en répondre. » (Matth., xxv11, 24.) Et il accorda ce qu'ils demandaient. (Luc, xxш, 24.) Et il le remit entre leurs mains pour être crucifié. (Matth., xxv, 26. )

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Lave tes mains, Pilate, elles sont teintes du sang innocent! tu l'as octroyé par faiblesse, tu n'es pas moins coupable que si tu l'avais sacrifié par méchanceté! Les générations ont redit jusqu'à nous : le Juste a souffert sous Ponce Pilate; Passus est sub Pontio Pilato!

« Ton nom est resté dans l'histoire pour servir d'enseignement à tous les hommes publics, à tous les juges pusillanimes, pour leur révéler la honte qu'il y a à ceder contre sa propre conviction.

Achevons. La preuve que Jésus ne fut pas, comme le soutient M. Salvador, mis à mort pour crime de blasphème ou de sacrilége, et pour avoir prêché un nouveau culte en contravention à la loi mosaïque, résulte de l'extrait même de la sentence prononcée par Pilate. Il existait chez les Romains un usage que nous avons emprunté à leur jurisprudence, et qui se pratique encore aujourd'hui; c'est d'attacher au-dessus de la tête des condamnés un écriteau contenant l'extrait de leur arrêt, afin que le public sache pour quel crime ils ont été condamnés. Voilà pourquoi «Pilate fit placer au haut de la croix « un écriteau sur lequel il avait tracé ces mots; Jesus Nazarenus Rex « Judæorum; » (Jean, xix, 19.) qu'on s'est contenté depuis de représenter par les initiales J. N. R. J. Cette inscription était d'abord en latin, comme étant la langue légale du juge romain; et elle était répétée en hébreu et en grec, pour en faciliter l'intelligence aux nationaux et aux étrangers. Les princes des prêtres, dont la haine soigneuse ne négligeait pas les plus petits détails, craignant qu'on ne prît à la lettre, comme une affirmation, ces mots: Jésus roi des Juifs, dirent à Pilate : «ne mettez pas roi des Juifs, mais qu'il s'est «dit roi des Juifs, Pilate leur répondit : Quod scripsi, scripsi; ce que «j'ai écrit restera écrit.» (Jean, xix, 21, 22.)

«Ceci répond victorieusement à une dernière assertion de M. Sal

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vador, page 88 : « Le Romain Pilate signa Parrêt; » car il veut toujours qué Pilate n'ait fait que signer l'arrêt qu'il suppose avoir été rendu par le Sanhedrin; mais il se trompe. Pilate ne se borna pas à signer, il écrivit ; il rédigea l'arrêt; critiqué dans sa rédaction, il la maintint ce que j'ai écrit, restera écrit. Voilà donc la vraie cause de la condamnation de Jésus! Nous en avons ici la preuve judiciaire et légale. Jésus fut victime d'une accusation politique ; il a péri pour le crime imaginaire d'avoir voulu attenter au pouvoir de César, en se disant Roi des Juifs! Accusation absurde, à laquelle Pilate n'a jamais cru, à laquelle les prince's des prêtres et les Pharisiens ne croyaient pas eux-mêmes; car ils ne s'en étaient point autorisés pour arrêter Jésus; il n'en avait point été question chez le grandprêtre; c'est une accusation nouvelle et toute différente de celle qu'ils avaient d'abord méditée; une accusation improvisée chez Pilate, quand ils virent qu'il était peu touché de leur zèle religieux, et qu'ils crurent nécessaire d'exciter son zèle pour César.

<«< Reprenons maintenant la question telle que je l'ai acceptée dans l'origine. N'est-il pas évident, contre la conclusion de M. Salvador, que Jésus, même considéré comme simple citoyen, ne fut jugé ni d'après les lois, ni d'après les formes existantes? Dieu, dans ses desseins éternels, a pu permettre que le juste succombât sous la malice des hommes; mais il a voulu du moins que ce fût en offensant toutes les lois, en blessant toutes les règles établies, afin que le mépris absolu des formes demeurât comme premier indice de la violation du droit. >>

Cet article est devenu plus long que nous ne nous l'étions proposé. Nos lecteurs penseront sans doute, comme nous, que quelque affligeant qu'il soit de voir des hommes consacrer leurs veilles à refaire, en quelque sorte, le procès de notre Seigneur Jésus-Christ, le livre de M. Salvador n'est pas un mal, puisqu'il a été suivi d'une Réfutation aussi complète, et qu'il a donné à M. Dupin l'occasion de prouver sans réplique que ce qu'on nomme le Jugement de Jésus-Christ, est moins un Jugement environné des formes légales, qu'une véritable passion, une souffrance prolongée. Nous ne nous joindrons, du reste, pas à M. l'Evêque de Chartres, qui s'écrie, à propos de l'ouvrage de M. Salvador, dans sa dernière Instruction pastorale sur les progrès de l'impiété: « La Charte a-t-elle donc quelque

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<«< chose de sérieux? peut-on dire qu'elle appuie et favorise la religion des chrétiens, si elle permet qu'on remplisse leur «âme d'une douleur inexplicable en outrageant ce que leur « foi a de plus saint et de plus intime?» Nous pensons, au contraire, qu'elle est bien sérieuse cette déclaration de la Charte : « Chacun professe sa religion avec une égale liberté, » le protestant comme le catholique, le juif comme le chrétien; ét nous sommes convaincus que la cause de la vérité ne peut être plus utilement servie, que par des discussions entièrement libres. C'est le choc qui produit l'étincelle, et qui sait combien le feu qui en provient peut éclairer d'esprits et réchauffer de cœurs?

MANUEL pour faciliter l'étude de l'Ecriture Sainte, par J.-R. HUBER ; traduit de l'allemand. 1 vol. in-12 de 248 pages. Paris, 1829, chez H. SERVIER. Prix: 2 fr.

C'est une bonne nouvelle à donner à ceux qui connaissent et qui aiment la Bible, que de leur annoncer un ouvrage destiné à leur en faciliter l'étude, c'est-à-dire à la leur faire encore mieux connaître et encore mieux aimer. Que de degrés de connaissance et de jouissance entre ceux qui viennent puiser à cette source intarissable de lumière et de félicité, et qui ont commencé à comprendre que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu! Et, d'un autre côté, combien de personnes qui lisent habituellement et même journellement la Bible, comme pour accomplir une tâche qu'elles se sont imposée, comme pour s'acquitter d'un devoir, mais pour qui ce saint livre est encore fermé, pour qui il n'est encore que la lettre qui tue, parce que l'Esprit qui vivifie ne leur a pas encore été donné! L'homme naturel, celui qui n'est pas né de nouveau par la puissance de l'Esprit, peut lire la Bible avec une certaine édification, et même avec un certain plaisir ; il voit des préceptes dont il reconnaît la beauté et la sainteté, des exemples qui le charment et l'étonnent; il est frappé de la grandeur des images et des expressions; mais tout cela reste en dehors de lui: c'est un magnifique édifice

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