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son œuvre et profiter de ces dispositions favorables, que l'on voit d'ordinaire s'affaiblir promptement dans l'esprit des hommes, si l'on néglige de les entretenir? Nullement. Un homme l'eût fait; le Messie ne le fait pas : il est sûr de son œuvre. Il s'éloigne immédiatement, se dérobe à la multitude étonnée, se retire dans un désert et, pendant plus de quarante jours, personne ne sait ce qu'il est devenu.

« Alors Jésus fut emmené par l'Esprit dans un désert, pour être tenté par le diable. » Quelques-uns ont cru qu'il s'agissait ici du désert de Sinaï; mais il est plus probable qu'il s'agit d'un lieu sauvage, situé entre Jérusalem et Jéricho, traversé par la grande route qui réunit ces deux cités, connu sous le nom de désert de Quarantania, et qui est aussi le lieu de la scène de l'histoire ou de la parabole du bon Samaritain. Sinaï est très éloigné du lieu où Jésus fut baptisé ; Quarantania, au contraire, en est très rapproché. Jésus, en se retirant dans le désert, voulut sans doute se dérober à ces tendres liens de parenté et d'amitié dont sa vie avait été jusqu'alors entourée, et s'accoutumer aux rudes privations dont devaient être remplis les jours du Messie; mais il voulut surtout se préparer par le jeûne et la prière à l'œuvre qu'il allait commencer. Ainsi le verra-t-on plus tard, dans de grandes occasions, se retirer aussi dans le désert ou sur la montagne, et pendant toute une nuit, prier Dieu. ( Luc, v, 16; vì, 12. )

Il y eut plus encore : l'Esprit de Dieu poussa Jésus dans le désert(Marc, 1, 12). Ce fut avant tout la volonté, la direction particulière de Dieu; et le but pour lequel Dieu voulut que le Messie se rendit dans le désert, nous est clairement révélé dans l'Évangile : c'était afin qu'il fût tenté par le diable (Mathieu, iv, 1 ).

Nous croyons inutile de nous arrêter sur l'existence et l'influence de cet Esprit de ténèbres, qui est désigné sous plusieurs noms dans nos Écritures, et en particulier sous celui qu'emploie saint Matthieu, dans le verset que nous avons transcrit. Il suffit de lire les révélations divines avec un esprit droit et sincère, pour reconnaître qu'elles affirment avec autant de clarté qu'aucune autre vérité de la religion, non-seulement

l'existence de cet Esprit mauvais, mais encore l'union dans laquelle il se trouve avec le principe mauvais qui est dans le cœur de l'homme. Le chrétien ne peut ici hésiter. Ta parole est la vérité (Jean, xvn, 17), dit-il; et il ne le dit pas seulement, il le croit aussi. Du reste, à ce témoignage qui ne saurait tromper, s'en joignent deux autres qui ont aussi quelque poids, la raison et l'expérience. La raison, qui est obligée de reconnaître sur la terre deux classes d'hommes, les bons et les mauvais ou, comme parle l'Écriture (Jean m, 10), les enfans de Dieu et les enfans du diable, en passant du connu à l'inconnu (abstraction faite de la Révélation,) est amenée à croire qu'il y a aussi parmi les anges ces deux classes de bons et de mauvais, L'expérience apprend, non-seulement à ceux qui ont été éclairés sur ce qui se passe au dedans d'eux et régénérés par la Parole de la vérité, mais encore (nous en avons pardevers nous de nombreux exemple) à tous ceux qui veulent bien faire quelque attention aux mouvemens de leur cœur, qu'outre le penchant au mal qui est attaché à leur nature, ils ont encore à combattre une influence maligne, qui se plaît à les surprendre en mille occasions, et surtout dans les momens mêmes où leurs pensées et tout leur être sont le plus tournés vers Dieu, lorsqu'ils s'élèvent vers lui par la prière, ou se trouvent même en présence de l'autel de la réconciliation.

Voici quelle avait été la teneur de la première promesse de salut faite à l'homme : Je mettrai inimitié entre toi (le Serpent ancien, l'Esprit des ténèbres) et la femme, et entre la semence et la semence de la femme; cette semence te brisera la tête et tu lui brlseras le talon (Genèse, m, 15.)

La tête du serpent, c'est sa cause, son empire, ses conseils, sa ruse. La semence de la femme, c'est, ainsi qn'on l'a reconnu dans tous les âges, le Réparateur des misères humaines, le Messie, notre Seigneur Jésus-Christ, né d'une femme ( Galates, iv, 4.), comme dit l'Écriture, et qui a paru pour détruire les œuvres du diable (1. Jean, 1, 8); bien que l'on puisse et doive aussi entendre, dans un sens secondaire, par semence de la femme, les imitateurs de Christ, ceux qui, par une nou

velle naissance, sont, dans un sens spirituel, les enfans de Sion et auxquels il est dit : Le Dieu de paix brisera bientôt Satan sous vos pieds (Romains, xy1, 20).

Nos saintes Écritures ont résolu la grande question de l'origine du mal dans le monde, qui a si fort occupé la sagesse humaine; et elles l'ont résolue d une mani re bien simple, bien, propre à satisfaire une raison humble et éclairée. Cette œuvre de séduction que nous voyons, hélas! se répéter sans cesse dans la société humaine, s'est opérée en grand au commencement du monde : un Esprit de ténèbres a voulu séduire, et a réellement entraîné dans le mal des êtres encore innocens et purs. Je sais qu'ici l'on fait mille objections, et que des esprits qui voudraient assumer les fonctions et le titre de conseillers de Dieu, disent Pourquoi cela a-t-il été permis? Mais je sais aussi que, les yeux arrêtés sur la croix réparatrice de Christ, sur la gloire qui en rejaillit pour le Dieu véritable et vivant, sur celle qui en découle aux siècles des siècles pour tous ceux qui croient, je vois les plus puissantes objections perdre toute leur force, et que je ne puis plus faire autre chose que m'écrier avec l'apôtre : O profondeur des richesses et de la sagesse et de la connaissance de Dieu (Romains, x1, 33)!

Selon la première promesse, le second Adam devait vaincre l'ennemi par lequel le premier Adam avait été vaincu; et c'était par cette victoire que la délivrance de la postérité d'Adam devait être accomplie, que les chaînes de l'humanité captive devaient être rompues, et que pour elle devaient être conquis de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habite ( 2. Pierre, m, 13). C'est pour cela que, lorsque le second Adam eut accompli son œuvre, la Parole de Dieu dit: Il a dépouillé les principautés et les puissances, qu'il a produites en public, triomphant d'elles en la croix (Colossiens, 1, 15).

Mais comment le second Adam, combattant pour l'espèce humaine déchue et coupable, a-t-il vaincu l'ennemi et dépouillé les principautés et les puissances? Il ne l'a point fait par un simple acte de sa toute-puissance; car alors l'ennemi eût pu dire qu'il était vaincu parce qu'il n'y avait point de force qui pût résister à une telle force; et que de cette défaite

l'on ne pouvait rien conclure sur l'objet même du débat. Nous pourrions montrer comment l'ennemi a été vaincu par les souffrances même et par la mort de l'homme des douleurs ; nous pourrions montrer comment, sur la croix, il fit Satan menteur; et comment, en manifestant toute la gloire du Dieu invisible, il couvrit d'opprobre l'Esprit de ténèbres. Le tentateur avait blasphémé la sainteté divine, en disant au premier homme: «Quand même vous pécheriez, vous ne mourrez nullement »Genèse, m, 4); et ici, sur la croix, Satan fut fait menteur, et la vérité, la justice et la sainteté de l'Eternel furent magnifices; car Emmanuel, le Saint, y mourut pour le péché. Le tentateur avait blasphémé l'amour infini de Dieu pour les créatures, en donnant à entendre au premier homme que Dieu leur avait fait la défense par jalousie, pour les empêcher de parvenir au bonheur: Dieu sait qu'au jour que vous en mangerer, vos yeux seront ouverts et vous serez comme des dieux ( verset 5 ); mais ici, sur la croix, Satan fut fait menteur, et la bonté, l'amour infini de l'Éternel furent magnifiés; car Emmanuel, le bienaimé du Père, y mourut, pour réconcilier et sauver éternellement ceux qui étaient devenus ennemis. Ainsi la victoire du Capitaine de notre salut (Hébreux, n, 10) ne fut pas une victoire physique accomplie par la force irrésistible de son bras; mais une victoire morale, accomplie en mettant son âme sainte en oblation pour le péché, en manifestant la gloire des perfections éternelles de Dieu, en convainquant l'ennemi de nos âmes de mensonge et d'impuissance, et le contraignant ainsi à s'enfuir honteux loin de nous.

Mais ce n'est pas à considérer le dernier combat, le combat de la croix, que notre sujet nous appelle; nous devons examiner le premier combat, le combat du désert.

Adam, par lequel est venu la mort, avait succombé à une tentation de l'Esprit des ténèbres : Jésus-Christ, par lequel vient la vie, devait résister à une pareille tentation, et demeurer vainqueur. Comme la défaite de l'un fut le commencement et la cause de notre chute, la victoire de l'autre devait être le commencement et la cause de notre restauration. Voilà pourquoi l'Esprit le poussa au désert, pour y être tenté par le diable.

Jésus demeure là quarante jours et quarante nuits sans`rien manger du tout (Luc, iv, 2). Dieu, pendant ce temps, soutint sa vie sans nourriture. Celui qui a donné la vie à toute créature, ne peut-il pas, si cela lui plaît, soutenir cette même vie immédiatement et par sa toute-puissance, sans recourir aux moyens qu'il a daigné lui-même déterminer dans le cours ordinaire des choses? N'est-ce pas ici le cas de dire avec Jésus : La vie n'est-elle pas plus que la nourriture (Matthieu, vì, 25 )♫♪ Nous savons que quelques personnes ont avancé qu'il fallait✅ entendre par les quarante jours un espace de temps plus court, dans le but de faciliter à Dieu, par cette hypothèse, le main-tien de la vie de Jésus, et à Jésus même son jeune ; mais nous ne pensons pas que Celui dont la puissance éternelle et la divinité se voient comme à l'œil par la création du monde (Romains 1, 20), ait besoin de ces aides officieux.

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Après ces quarante jours, Jésus ressentit une faim naturelle. S'il avait été jusqu'alors dans un état ordinaire,'il eût éprouvé beaucoup plus tôt cette sensation de la faim; mais il ne la ressentit que lorsque sorti d'un état extraordinaire, et dont nous ne saurions expliquer la nature, il fut revenu dans un état naturel, où il éprouva les besoins qu'entraîne l'organisation de notre corps.

Ce fut alors que le tentateur s'approcha de lui. Peut-être celui qui avait séduit nos premiers parens espérait-il que Jésus étant, comme homme, semblable à nous en toutes choses, il remporterait sur lui quelque avantage, et renverserait ainsi tout le plan de la rédemption. Un célèbre théologien suisse, George Müller, remarque que, vu la véritable humanité de Jésus, il n'y avait pas une impossibilité absolue qu'il succombât dans cette lutte avec l'Esprit des ténèbres (1); nous pensons qu'en effet, en ne considérant que l'humanité du Rédempteur, il y avait possibilité qu'il succombât à ces tentations; et qui peut dire ce qui fût arrivé, si son humanité n'eût été soutenue par sa divinité? Mais, grâces à Dieu, si le premier homme était de la

(1) Müller's Glaube der Christen, George Müller était frère de l'illustre historien Jean de Müller.

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