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morale des prisonniers, et il croit y avoir travaillé en leur distribuant des ouvrages auxquels on a donné une forme agréable et dramatique pour déguiser l'amertume des leçons. C'est ainsi qu'on amuse les enfans, ce n'est pas ainsi qu'on régénère les hommes. Une autre expérience a été faite ailleurs ; elle a été glorieuse et décisive. Madame Fry n'a apporté à Newgate que la Bible, et la Parole du Dieu qui a créé l'homme, a fait ce qu'elle seule peut faire, elle l'a changé, elle lui a donné un cœur nouveau et une existence nouvelle. Le cœur de l'homme est le même en France qu'en Angleterre : portez l'Evangile aux prisonniers, priez Dieu de leur ouvrir les yeux pour le comprendre, et vous verrez se renouveler les prodiges de Newgate. Après avoir parlé d'Howard et de la médaille que la Société vient de faire frapper en son honneur, M. Raoul Duval a fini en citant une belle parole d'un sage de l'Orient, qu'il a eu le temps d'amener mieux que nous, mais

dont nous ne voulons pas priver nos lecteurs : « Ce que j'ai

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dépensé, je l'ai perdu; ce que je possède, les caprices de la « fortune peuvent me le ravir; mais ce que j'ai donné est tou« jours à moi. »

M. Berville, chargé de présenter le résultat du concours sur la législation religieuse, dont les fonds ont été faits par M. le comte Gaëtan de la Rochefoucauld, s'est acquitté de cette tâche avec le talent qu'on connaît à cet avocat distingué. Un seul mémoire a été adressé à la Société, et il n'a pas été jugé digne du prix. Avant d'entrer dans l'examen de cet ouvrage, l'orateur a développé les idées du Comité sur le sujet important de la liberté des cultes. « Jusqu'ici, » a-t-il dit, « deux systèmes différens ont influé sur la direction des -« facultés humaines; le premier, celui de l'autorité, a eu pour résultat, dans l'ordre matériel, les corporations, les «entraves de toutes sortes apportées au commerce, et dans « l'ordre intellectuel, la censure et l'inquisition; le second, « celui de la liberté, a eu des conséquences bien différentes, « la liberté du commerce, la liberté des consciences, la liaberté de la presse, en un mot la liberté civile et religieuse. « Le premier était surtout insupportable dans ce qui concerne

« la religion; la contrainte n'est jamais plus cruelle que lorsqu'elle nous blesse dans ce que nous avons de plus cher et « de plus intime. Cette odieuse persécution a pesé long« temps sur la terre, elle a enfanté parmi nous la torture, les « guerres de religion, les massacres. » Et ici qu'il nous soit permis de nous arrêter un moment, pour exprimer notre profonde douleur de voir ressusciter dans le Canton de Vaud, dans un pays libre et protestant, cet esprit d'intolérance et de persécution qui ne se montre plus que là, mais qui ose encore s'y montrer avec son odieux cortège d'espionnage et de sentences injustes et arbitraires. Depuis quelque temps nous nous flattions de voir les autorités du Canton de Vaud revenues à un sentiment plus juste de leurs devoirs et de leurs intérêts; maintenant nous avons de nouveaux motifs de déplorer la conduite de ces persécuteurs, qui, dans leur aveuglement et leur passion, ne voient pas qu'ils attisent le feu qu'ils veulent éteindre, et qui attaquent le principe de la liberté religieuse au moment où il est fort de la victoire qu'il a remportée sur le monde (1).

« En France, il n'y a pas long-temps qu'il est permis de montrer sa croyance, a repris M. Berville; nous pouvons nous souvenir encore du temps où l'on voulait deviner pour punir. On a permis d'abord de penser ce qu'on voulait, puis de dire ce qu'on pensait; enfin d'agir selon sa conscience. La Charte nous a trouvés dans cette position, et elle nous y a confirmés. Deux principes y dominent, la liberté de tous les cultes et l'égalité de tous les cultes. Ce principe est établi dans l'opinion publique; il faut qu'il passe dans les habitudes de la nation. Le concours ouvert par le testament de M. Lambrechts a produit l'excellent mémoire de M. Vinet. Vous Vous êtes honorés vous-mêmes en couronnant cet ouvrage remarquable par de si rares qualités. Il restait un pas à faire la liberté proclamée en principe devait devenir vivante par son organisation.

(1) Voyez à la suite de cet article la déclaration faite par les pasteurs réunis à Paris, contre l'intolérance civile et la persécution, à l'occasion du jugement prononcé par le tribunal d'appel du Canton de Vaud, contre M. Lenoir.

1829. -12° année.

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Tout repose sur la séparation de l'ordre civil et de l'ordre religieux; désormais ils ne pourront plus usurper l'un sur l'autre, et ils y gagneront tous les deux. Pour nous faire mieux comprendre, nous citerons quelques exemples dans le mariage, il y a un acte civil et un acte religieux; jadis ils étaient confondus, et un tel ordre de choses avait les plus graves inconvéniens; aujourd'hui ils sont complètement indépendans l'un de l'autre, et l'ordre civil ne connaît pas des empêchemens qui sont purement religieux. De même pour les sépultures: les prêtres sont libres de refuser les sacremens, et l'ordre civil doit faire ce qu'il trouve convenable, sans troubler les prêtres ni les forcer à agir contre leur conscience. Tant que les croyances restent dans le for intérieur, elles sont à l'abri de tout contact avec le civil; mais il arrive un moment où la croyance se matérialise, c'est lorsqu'il s'agit du culte; il doit être libre dans tout ce qui ne tient qu'à des intérêts purement religieux; mais le législateur a droit d'intervenir du moment où l'ordre public serait troublé. Si, par exemple, un culte autorisait le vol, le gouvernement aurait le droit d'en interdire l'exercice. Dans ce qui concerne le culte, le législateur peut quelquefois, quoique rarement, défendre; jamais il ne doit ordonner : il ne peut imposer un acte quelconque, car ce serait se faire croyant, tandis qu'il ne doit jamais être que spectateur (1). »

L'unique mémoire parvenu à la Société est divisé en trois parties: 1° Garanties accordées par la loi. 2o Liberté des opinions. 3o Culte. Les questions sont plutôt tranchées que résolues; le style est digne d'éloges. M. le Rapporteur engage l'auteur a revoir son travail, et le sujet est remis au

concours.

M. Edouard Thayer rend compte du concours ouvert pour le meilleur mémoire sur l'abolition de l'esclavage; nous ne le suivrons pas dans ses développemens sur l'établissement de l'esclavage aux Antilles. Nous rappellerons seulement qu'un édit de 1716 permettait d'introduire en France des esclaves qui y restaient esclaves, que les abus le firent mo

(1) Ce discours ayant été improvisé, ainsi que la plupart de ceux dont nous avons cité des passages, nous n'avons pu le rétablir que sur les notes prises en l'écoutant.

difier en 1738, mais qu'en 1762 il s'en faisait encore un commerce public à Paris. Plus tard on s'éleva contre l'esclavage; Mirabeau s'unit à Wilberforce pour solliciter l'abolition de la traite. Les représentations de la philanthropie seraient restées sans effet; mais la persévérance de la charité chrétienne a triomphé de tous les obstacles, et la traite est aujourd'hui abolie de droit chez toutes les nations de l'Europe, à l'exception du Portugal, bien qu'elle ne le soit malheureusement pas complètement de fait. Ceux qui ont remporté une glorieuse victoire sur la traite attaquent aujourd'hui l'esclavage avec les mêmes armes ; espérons qu'ils auront les mêmes succès. Des pétitions arrivent de toutes parts; Liverpool, qui vivait autrefois de la traite, a envoyé la sienne contre l'esclavage, et elle est couverte de 70,000 signatures. Il est impossible de rappeler les efforts de la France en faveur des malheureux nègres, sans que le nom de M. de Staël ne se présente anssitôt au souvenir de tous, et surtout de ceux qui ont eu le bonheur d'assister à cette réunion la plus belle de toutes celles de la Société de la morale chrétienne, où ce noble ami de l'humanité, ce vrai chrétien, montrait, en frémissant d'émotion et de douleur, les instrumens de torture inventés pour punir des innocens. Ce jour-là c'était véritablement de la morale chrétienne qu'il s'agissait; et aussi quelles profondes émotions, quelle vraie chaleur, quel enthousiasme, comme il a porté des fruits! - Le concours, déjà prorogé d'un an, donné lieu qu'à deux mémoires : leur mérite a été jugé égal par le Comité, et le prix a été partagé entre MM. Dufaux et Billard, qui sont venus le recevoir des mains du président.

n'a

M. Coulmann a demandé la parole pour proposer d'envoyer la médaille de la Société à un jeune homme nommé Jean Pierre, du département des Vosges, qui a donné un rare exemple de piété filiale. Il annonce que M. le duc d'Orléans et un membre de la Société, instruits de la conduite de ce jeune homme et de sa misère, l'ont fait participer à leurs bienfaits.

LA CONSECRATION de nos jeunes missionnaires, à laquelle nous avons eu le bonheur d'assister le 2 mai, a dignement terminé

la semaine. Jamais le temple de la rue Saint-Antoine n'avait vu une pareille affluence ; jamais une cérémonie plus touchante n'avait été offerte à nos regards, et n'avait plus fortement ému nos cœurs

Après une prière de M. le pasteur Marron, et le chant d'un cantique, M. Grand-Pierre est monté en chaire, et a prononcé un discours plein de vie, de force et d'onction sur ce texte : L'amour de Jésus-Christ nous étreint (2. Cor. V. 14.) Nous ne ferons pas ici une analyse de ce sermon (1). Citer quelquesuns des passages qui nous ont le plus frappés nous paraît la meilleure manière de faire comprendre et sentir à nos lecteurs l'effet qu'il a produit :

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....

Le Sauveur du monde, peu de jours avant de remonter dans la gloire, se trouve avec ses disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et il veut donner à ses serviteurs de tous les temps une grande leçon sur la nature de la vocation à laquelle il les appelle, et sur l'esprit et les dispositions qui seules peuvent la leur faire remplir dignement. Il adresse à cet effet à ses disciples, en la personne de saint Pierre, une question dont nous nous proposons de peser le sens aujourd'hui. Et quelle est cette question? Pensezvous qu'il lui propose un point de théologie, qu'il veuille savoir si Pierre a compris le système évangélique, qu'il lui demande s'il a étudié suffisamment l'art de la parole, qu'il l'examine sur telle autre branche des connaissances humaines? Non, il ne lui fait que cette simple question: Pierre, m'aimes-tu ?...

« ....

Mes chers amis, j'ai besoin de vous le dire avant de terminer; et cette pensée, je voudrais la laisser comme un aiguillon dans vos âmes, une grande responsabilité pèse sur vous comme missionnaires, et comme missionnaires français en particulier. Elle pèse sur vous comme missionnaires; vous l'avez déjà compris, puisque Dieu vous a confié le ministère de la réconciliation, et que vous vous trouvez chargés du salut d'un grand nombre d'âmes; mais vous n'avez peut-être pas réfléchi autant aux engagemens que vous contractez vis-à-vis du monde chrétien. Sachez qu'à votre vie, à vos travaux, à votre zèle, à votre activité, sont suspendus d'immenses intérêts.... Vous avez pour spectateurs de vos travaux, de votre mi

(1) Il est sous presse, et paraîtra dans quelques jours chez H. Servier.

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