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n'a-t-il à rendre compte que de quatre-vingt-dix-neuf brebis? Le maître en oublie-t-il une seule? ne lui redemande-t-il pas la centième? Et le pasteur qui paît, non des bêtes brutes, mais des âmes immortelles, n'aurait pas à rendre un compte rigoureux au souverain Pasteur, au Roi des rois, à Dieu enfin, de toutes les âmes qui lui sont confiées jusqu'à une seule? Oui, dans toute administration il y a une responsabilité, et dans chaque administration l'importance de la responsabilité est proportionnée au caractère de celui à qui l'on est comptable, et à la nature de la charge qu'on a reçue. Puis donc que dans le ministère évangélique c'est à Dieu, à Dieu proprement que l'on a à rendre compte, que c'est des intérêts de sa gloire, de sa vérité qu'il s'agit, que ce sont des âmes immortelles qu'on a sous sa garde, pour veiller sur elles, les conduire et les nourrir, que ce sont leurs intérêts éternels, que c'est leur salut en un mot, dont on est expressément et uniquement appelé à s'occuper, toutes ces considérations réunies donnent à la responsabilité du saint ministère l'importance la plus grande qui puisse

exister.

Aussi, écoutons de quelle manière ce Dieu souverainement jaloux de sa gloire, ce Dieu qui ne se peut renier lui-même, el dont on ne peut se moquer, (Deut. cxx, 20. Rom. xx, 2. Col. x, 8), s'adresse dans sa Parole à ceux qui sont établis conducteurs de son peuple, pasteurs de ses troupeaux : « Fils de l'homme, parle aux enfans de ton peuple, et dis-leur : Quand je ferai venir l'épée sur quelque pays, et que le peuple du pays aura choisi quelqu'un d'entre eux et l'aura établi pour leur servir de sentinelle,.... si la sentinelle voit venir l'épée, et qu'elle ne sonne point dù cór; en sorte que le peuple ne se tienne point sur ses gardes, et qu'ensuite l'épée survienne et ôté la vie à quelqu'un d'entre eux, celui-ci aura bien été surpris dans son iniquité, mais je redemanderai son sang de la main de la sentinelle. Toi donc, Fils de l'homme, je l'ai établi pour sentinelle à la maison d'Israël; tu écouteras done la parole de ma bouche, et tu les avertiras de má part. Quand j'aurai dit au méchant: Méchant, tu mourras de mort, et que tu n'auras point parlé au méchant pour l'avertir de se détourner de sa voie, ce méchant mourra dans son iniquité, mais je redemanderai son sang de la main

Mais si tu as averti le méchant de se détourner de sa voie, et qu'il ne se soit point détourné de sa voie, il mourra dans son iniquité, mais tu auras délivré ton âme. » (Ézéchiel, xxx, 2-9). Obéissez à vos conducteurs et soyez-leur soumis, car ils veillent pour vos âmes comme devant en rendre compte. (Hébreux, xi, 17.) Si je prêche l'Evangile, je n'ai pas sujet de m'en glorifier, parce que la nécessité m'en est imposée, et malheur à moi si je ne prêche pas l'Évangile! (1. Corinth. ix, 16.) Ah! tenons-le pour bien certain, tant que l'Évangile sera vrai, tant que Dieu respectera la gloire de ses perfections et des lois morales dont il est la source immuable, tant que le mensonge et la vérité ne seront pas indifférens, tant que l'enfer et le ciel ne seront pas une même chose, tant qu'il y aura un chemin du ciel et un chemin de l'enfer, nécessairement le ministère évangélique emportera avec lui la responsabilité la plus sérieuse et la plus redoutable qui se puisse concevoir.

Ils connaissaient toute la grandeur de cette sainte charge, ils en sentaient toute la responsabilité, les pasteurs de l'ancienne Église, surtout dans les temps périlleux où il fallait lutter contre les hérésies et le relâchement des mœurs, ennemis plus dangereux pour l'Eglise que les décrets de persécution des empereurs romains. Qu'on jette les yeux sur saint Augustin, cet extraordinaire flambeau donné de Dieu à son Église, et l'on apprendra par son propre témoignage (lettre 21°), qu'il craignait si fortles dignités ecclésiastiques, qu'il n'osait sortir de sa retraite et paraître dans les villes où il savait que le siége était vacant; tellement que pour le faire prêtre, il fallut qu'on se saisît de lui, et qu'on le forçât à l'obéissance, dans l'intérêt de l'Église. « Apprehensus, dit-il lui-même, presbyter factus sum. Je faisais mes efforts pour me sauver dans la dernière place, afin de ne point encourir les dangers attachés aux plus élevées. » Qu'on interroge saint Jean Chrysostome, il répondra : « Je ne crois qu'il y en ait beaucoup d'entre les pasteurs qui soient sauvés(1); » qu'on écoute saint Grégoire, il dira: « Je voudrais savoir si

pas

(1) Non arbitror inter sacerdotes multos esse qui salvi fiant, sed multòplures qui pereant. (Homel. 3, in Act. Apost.)

quelques-uns de ceux qui occupent les premières places seront sauvés (1). » Qu'on ouvre ainsi les pages de l'histoire de l'Église, et l'on verra encore qu'un saint Ambroise et beaucoup d'autres fidèles serviteurs de Christ redoutaient l'état ecclésiastique, parce qu'ils savaient qu'il est rare d'y être sauvé. Enfin il sera à propos de citer l'exemple de Moïse lui-même, comme étant un des plus frappans ; c'est dans cet illustre serviteur de Dieu que l'on voit l'humilité, le saint tremblement avec lequel on doit approcher du ministère sacré. Depuis quarante ans qu'il avait quitté la cour de Pharaon et qu'il vivait dans une profonde retraite, quels progrès cet ami de Dieu n'avait-il pas dû faire dans la sainteté et la vie spirituelle! Cependant lorsque Dieu veut lui conférer l'auguste mission d'aller délivrer et conduire son peuple, Moïse reculant devant l'honneur redoutable et les difficultés de ce ministère,commence avec le Seigneur un combat de résistances bien digne de fixer notre attention. Il expose d'abord à Dieu son indignité en général: Qui suis-je, moi, pour aller vers Pharaon, et pour retirer d'Égypte les enfans d'Israël (Exode ш, 11)? Quand Dieu lui a répondu d'aller et qu'il serait avec lui, Moïse cherche une autre excuse dans la difficulté de faire comprendre au peuple quel est ce Dieu de leurs pères qui l'a envoyé vers eux, quel est son nom. Le Seigneur détruit cette difficulté en lui déclarant quel nom il doit lui donner auprès de son peuple. Alors Moïse va chercher une nouvelle excuse dans l'incrédulité des enfans d'Israël : Mais ils ne me croiront point, dit-il à Dieu; ils diront: l'Éternel ne t'est point apparu (Iv, 1). Dieu, dans sa bonté, pour fortifier son serviteur et pour ôter tout fondement à cette excuse, l'arme de la preuve des miracles qu'il fait en sa présence, et que Moïse répétera devant les enfans d'Israël, comme le sceau irrécusable de sa mission divine. Cependant Moïse continue à se défendre de se charger d'un tel ministère, et il allègue un autre obstacle tiré de l'embarras de sa langue et de sa difficulté à s'exprimer. Le Dieu tout-puissant et tout-bon dissipe encore cette excuse, en lui disant que comme c'est lui

(1) Miror si salvantur aliqui ex his qui principantur.

même qui fait la bouche de l'homme, qui fait le muet, le sourd et le voyant, il saura bien lui donner une bouche convenable, et lui enseigner ce qu'il aura à dire. Moïse se voit donc vaincu dans toutes ses objections.

La mission proposée était grande, elle était extraordinaire, sans doute; mais aussi les moyens étaient certainement proportionnés à cette mission. Moïse avait bien toutes les ressources désirables pour l'accomplir pleinement et pour le porter à s'en charger avec joie et sans hésiter davantage; cependant il ne peut encore s'y résoudre, il résiste encore, il dit à Dieu, soupirant et humilié: Hélas! Seigneur, envoie, je le prie, celui que tu dois envoyer. Il faudra qu'enfin la colère de t'Éternel s'embrase contre Moïse; ce n'est qu'à ce courroux, et quand il se verra forcé de suivre l'ordre que Dieu lui donne, que Moïse va céder. Ainsi donc cet humble et grand serviteur de Dieu n'accepte que par obéissance et y étant contraint, un ministère qui n'était que la figure du ministère ecclésiastique, puisque celui-ci consiste à faire sortir le peuple de l'Égypte du siècle et à l'introduire dans la terre promise qui est le ciel. Et même il existe bien plus de difficultés, il faut de bien plus grands miracles dans le ministère qui s'occupe de sauver les âmes, que dans celui chargé d'opérer la simple sortie d'un peuple du sein d'une autre nation (1). En effet, quelle lumière ne faut-il pas avoir pour ne pas se laisser séduire par la fausse sagesse de ce siècle qui n'est que ténèbres et que folie devant Dieu, pour ne pas tuer les âmes en les nourrissant du poison de l'erreur! Quelle fermeté ne faut-il pas montrer pour résister aux faux docteurs, à ces séducteurs, dont la parole, ainsi que celle d'Hyménée et de Philète, ronge comme la gangrène et ne tend qu'à renverser la foi! Quelle force ne faut-il pas avoir pour reprocher au peuple ses prévarications, pour s'élever contre ses désordres! Quel courage pour aller troubler le pécheur dans la coupable joie qu'il aime à goûter en satisfaisant toutes les passions d'un cœur en révolte

(1) Voyez un ouvrage plein de vie et de piété, intitulé: Explication de l'Épître aux Romains (3 vol. Paris, 1752), au ch. viie.

contre Dieu! pour être, par rapport à Dieu, à sa gloire et à sa vérité, comme une ville forte, comme une colonne de fer, et comme des murailles d'airain, contre tout le pays, contre les rois de Juda, contre les principaux, contre les sacrificateurs et contre le peuple du pays! (Jérém. 1, 18.) Quel zèle, quelle fidélité, pour précher la parole, pour insister dans toutes les occasions, pour reprendre, censurer, exhorter avec toute douceur d'esprit et avec doctrine! (2, Tim. iv, 2.) Quelle vigilance, quelle fidélité, pour reprendre les déréglés, pour consoler ceux qui ont l'esprit abattu, pour soulager les faibles, et pour être d'un esprit patient envers tous! (1, Thes. v, 14.) Quelle attention, quelle fidélité pour ne donner jamais aucun scandale dans sa vie, dans ses mœurs, pour être le modèle des fidèles, en paroles, en conduite, en charité, en esprit, en foi, en pureté! (1. Tim. iv, 12.)

IV,

Oh! oui, quand on considère dans leur ensemble la nature, le caractère et les diverses parties de la charge du ministère évangélique, on a bien lieu de s'écrier avec l'Apôtre : Qui est suffisant pour ces choses? on a bien sujet de ne s'approcher du sacerdoce qu'avec humilité et tremblement; on doit bien comprendre les sentimens qu'en avaient les anciens évêques dont nous avons parlé, et qui avaient conduit saint Augustin, dans son livre de la Cité de Dieu, à poser à cet égard cette règle de conduite : « Quant aux dignités de l'Église, lors même qu'on s'y comporterait comme il faut, il y a de la honte à les dési«rer. De sorte que si personne ne nous impose ce fardeau, «< il faut vaquer à la recherche et à la contemplation de la vérité; et si on nous l'impose, il faut s'y soumettre par charité « et par nécessité (1). »

«

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O vous donc, jeunes lévites, qui aspirez à faire le service du sanctuaire, c'est à vous surtout que ces réflexions s'adressent; apprenez à la bien connaître, cette charge vers laquelle vous vous portez; réfléchissez, pesez ces choses et sondezvous bien. Si comme l'Apôtre saint Paul (Voy. Rom. 1. 1, Gal. 1. 1, 15, 16), vous ne devenez pas ministres

pour obéir

(1) Oliun sanctum quærit charitas veritatis; negotium justum suscipi necessitas charitatis.

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