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Une commission avait été nommée et avait conclu au renvoi des pétitions au Conseil d'État pour qu'il fût répondu aux pétitionnaires que le Grand-Conseil voyait avec plaisir leur attachement à l'Église nationale; qu'il n'entrait point dans ses vues de favoriser des changemens religieux, mais qu'il ne voyait au cune nécessité de prendre des mesures nouvelles; que la loi du 20 mai était suffisante, et que les autorités veilleraient à réprimer, soit la violation de la loi, soit les désordres qui pourraient être commis par le peuple à l'occasion des sectaires. ( Nouv. Vaudois, du 16 mai.) Nous puiserons dans ce même numéro du Nouvelliste quelques traits de la longue et mémorable discussion à laquelle ces pétitions ont donné lieu, parce qu'ils font ressortir le véritable esprit qui a présidé à la rédaction et à l'adoption de la loi du 20 mai, et prouvent d'une manière évidente, ce que nous avons déjà plus d'une fois répété et ce que les persécuteurs avaient cependant nié jusqu'ici, savoir que ce n'est pas à la séparation seulement qu'on en veut, mais aux doctrines vitales de l'Évangile.

M. le doyen Curtat a ouvert la discussion. Après avoir exprimé des sentimens de tolérance envers les dissidens, il propose, comme moyen d'empêcher la dissidence, la réimpression et la mise en vigueur des ordonnances ecclésiastiques, où le gouvernement est présenté comme représentant de la Religion de l'Etat, où il est défendu aux jeunes Ministres de tenir des assemblées particulières, etc., ordonnances qui ne sont plus connues, parce qu'elles renferment des articles maintenus et des articles abrogés, et qu'elles n'ont jamais été publiées dans leur entier telles qu'elles existent aujourd'hui légalement (1).

M. le landammann Monod combat la proposition par un

(1) Ces ordonnances n'ont pas été publiées, il est vrai, sous leur forme actuelle ; mais on nous a assuré qu'elles existent en manuscrit dans toutes les cures du Canton; elles sont donc connues de ceux qu'elles intéressent spécialement. Il serait facile peut-être de faire de ces ordonnances, si l'on en exigeait l'observation à la rigueur, un instrument d'oppression et de tyrannie sur les consciences, si ce que nous avons appris de leur contenu est exact. Nous soinines disposés à le croire, d'après M. Curtat lui-même, qui veut qu'on s'appuie sur elles

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motif qui fait le plus grand honneur à sa franchise, et nous paraît être à la fois un beau témoignage rendu aux doctrines professées par les dissidens, et une éclatante réfutation de l'accusation tant répétée qu'ils cherchent à fonder une religion nouvelle. Si, comme nous le pensons, l'opinion de M. Monoď est fondée en fait, il en résulte que les dissidens d'aujourd'hui, sont, quant à la doctrine, fidèles à l'Église nationale du Canton de Vaud, et que leurs adversaires sont de véritables sectaires. « Qu'est-ce que les ordonnances ecclésiastiques por«tent relativement à l'enseignement? a dit M. Monod. Une « seule chose qu'il doit être basé sur la Confession de foi helvétique. Or, cette Confession de foi renferme-t-elle l'enseignement que nous suivons généralement dans ce Canton? « N'est-elle pas plus rapprochée de la doctrine des seçtaires que « celle qu'on nous prêche le plus ordinairement? Cette question « ne saurait, je crois, être résolue qu'en leur faveur. Réimpri« mer les ordonnances, ne serait-ce pas dire à nos ecclésiastiques: Enseignez comme les sectaires ? » — Voilà, ce nous semble, les ordonnances ecclésiastiques du Canton de Vaud dûment atteintes et convaincues de momerie, et une partie du clergé atteinte et convaincue de violer les ordonnances et la Confession de foi qu'ils ont tous, au moment de leur consécration au saint, Ministère, prêté serment d'observer. Ce n'est pas nous qui portons ce coup à l'Eglise du Canton de Vaud; c'est un des magistrats les plus éclairés et les plus justement estimés du Canton, un de ceux qui ont le plus contribué à la régénération politique de leur patrie, et qui en connaissent le mieux l'esprit et les institutions. On avouera que la position est assez singulière d'un côté, la loi exige que tous les Ministres du Canton de Vaud prêtent serment de se conformer, dans leurs enseignemens, à la Confession de foi helvétique; de l'autre côté, une loi qui n'a rien abrogé de la

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pour empêcher les Ministres de Jésus-Christ de tenir des assemblées, de prendre part aux missions, etc. Nous ne disons pas que telle ait eté l'arrière-pensée de M. Curlat, mais telle aurait été, à notre avis, la conséquence de l'adoption de sa proposition.

première poursuit et punit comme sectaires les chrétiens qui enseignent franchement selon cette Confession, et qui protestent contre ceux qui ont violé le serment qu'ils ont prêté à cet égard; car, ne l'oublions pas : « Réimprimer les ordon« nances, ce serait dire au clergé du Canton de Vaud: Enseignez « comme les sectaires. » Et cependant ces ordonnances sont la loi fondamentale de l'organisation ecclésiastique du Canton. Mais revenons aux débats du Grand-Conseil.

M. Alphonse Nicole (1) a pris franchement et chrétiennement la défense de la liberté de conscience; et en pensant qu'il faut régler avec soin la discipline de l'Eglise, il s'est élevé avec force contre toute tentative de statuer sur le dogme. En appuyant la proposition de M. le doyen Curtat, les conséquences de cette proposition ne l'ont pas frappé comme elles nous frappent. Attaché de cœur à l'Église nationale, il ne pense pas cependant que le Gouvernement ait le droit de prohiber les assemblées de ceux qui se séparent d'elle. Il s'appuie sur l'exemple de nos réformateurs, et pense que la liberté de conscience et la liberté de culte sont inséparables. La persécution ne peut produire que des hypocrites, des incrédules ou des martyrs. « La loi contre les sectaires a fait beaucoup de «mal. On s'est accoutumé à regarder comme criminelles des « assemblées paisibles et pieuses; on a traduit devant les tri« bunaux des personnes dont le crime était d'avoir prié ou « chanté des cantiques; la Bible est devenue corps de délit. » Après avoir établi une distinction fort juste entre le prosélytisme louable qui est de l'essence même du christianisme, et le prosélytisme qui, enfreignant des droits, peut être réprimé par les lois, distinction que la loi du 20 mai n'établit pas, M. Ni

(1) M. Nicole a prouvé déjà depuis long-temps la loyauté et l'indépendance de son caractère. Il était accusateur public en chef du Canton de Vaud, et fut subitement destitué, le 17 juin 1819, pour avoir défendu l'indépendance du ministère public en matière de conclusions pénales, et avoir refusé de violer sa conscience et sa conviction, et de conclure conformément aux ordres du Conseil d'État, daus une affaire qui a été jugée à deux reprises par les tribunaux dans le sens des conclusions que voulait prendre M. Nicole. (Red.)

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coleacité l'exemple des Pays-Bas, de l'Allemagne, de la France, de l'Angleterre, où règne la liberté des cultes, et il a rappelé qu'à Rome même, sur le Capitole, dans l'hôtel de l'ambassade prussienne, il y a une chapelle protestante; qu'à Florence et à Gênes, il existe des églises protestantes. Pour réfuter l'objection que cette tolérance est bonne pour les grands Etats seulement, il a ajouté l'exemple de Genève, où le Conseil Souverain a proclamé la tolérance, et où la force publique a été employée pour protéger les dissidens contre les mauvais traitemens dont les menaçait la populace. S'il y a eu de l'opposition contre la liberté du culte des dissidens, elle s'est manifestée surtout dans une partie du clergé (1). - « Le bruit de « nos persécutions, a dit M. Nicole, a retenti dans toute l'Eu« rope, et partout la loi du 20 mai a été blâmée par les jour«naux et les écrits de quelque couleur qu'ils puissent être.... « Rien n'est plus fâcheux, surtout pour un petit peuple, que « de mériter des reproches ou le mépris... Il y a toujours du

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(1) M. le Pasteur Chenevière, dans une lettre en date du 26 mai, insérée dans le Nouvelliste Vaudois du 30, a réclamé contre cette assertion de M. Nicole, et a déclaré que jamais le clergé de Genève ne s'est adressé à l'autorité pour exprimer le vœu qu'on empéchát les dissidens de se réunir comme ils l'entendaient, ou qu'on les génát le moins du monde..... Lorsque, ajoute M. Chenevière, des ministres se sont déclarés séparés de notre Église, nous leur avons retiré le caractère ecclésiastique, parce qu'on ne pouvait plus les compter parmi les chefs d'une Église dont ils ne voulaient plus étre membres ; nous n'avons rien fait au-delà..... M. Chenevière regarde comme facilement résolue la grave question de savoir si le caractère ecclésiastique peut être ainsi retiré. Quant à nous, nous sommes disposés à penser que non, et à croire que le caractère de Ministre de Jésus-Christ est extièrement indépendant de l'Eglise extérieure à laquelle on appartient. Quel moyen la vénérable Compagnie de Genève a-t-elle d'empêcher qu'un ministre continue à se considérer et à agir comme tel malgré son arrêté? Si ce caractère pouvait être retiré, comment avonsnous des Ministres dans l'Eglise réformée? Des Ministres séparés d'une Eglise nationale ne peuvent évidemment exercer aucune fonction publique dans cette Eglise; mais quant à leur retirer le caractère et le sceau de Ministre de l'Évangile, c'est ce qui n'est au pouvoir que de Celui qui donne le Saint-Esprit. (Réd.)

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danger dans les grandes aberrations des peuples; et les aber<«<rations ne se mesurent pas à l'étendue du territoire, mais « à la sainteté des principes qu'on viole. » L'orateur signale trois moyens de prévenir la propagation de la dissidence : 1o la tolérance. Partout où il y a persécution, les sectes s'étendent; elles se vengent en faisant des prosélytes. L'histoire ne présente pas une seule exception à cette règle générale, Les âmes généreuses se trouvent plus à l'aise dans une Eglise persécutée que dans une Église persécutante. Le christianisme a toujours été persécuté. 2o Les encouragemens à donner aux Pasteurs de l'Eglise nationale. Plusieurs membres s'en sont séparés, parce qu'ils n'y trouvaient pas une nourriture spirituelle suffisante. M. Nicole craint que quelques Pasteurs n'aient été entravés, dégoûtés dans l'exercice de leur ministère, et que ce n'ait été là lạ cause de leur séparation. — 3° Lạ réimpression des ordonnances ecclésiastiques.« L'orateur a « médité pendant deux ans sur les causes de ce qui se passe dans le Canton, et il n'est arrivé qu'à une seule solution: » c'est, dit-il, « qu'il est parmi nous des gens qui regardent la Religion comme une institution purement politique ; mais il espère que la grande majorité pense autrement, et comprend « que les chrétiens doivent toujours être soumis à l'Etat, le christianisme jamais. » Il termine par exprimer le vœu personnel qu'on prie le Conseil d'Etat de voir s'il ne pourrait pas bientôt proposer, le rapport de la loi du 20 mai, et faire disparaître de la législation du Canton une tache si fâcheuse. « Si « nous conservons plus long-temps une loi si déplorable, » s'estil écrié, « on finira par considérer les législateurs du Canton.de « Vaud comme les alliés des Jésuites et des Dominicains.»

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Telle est l'analyse décolorée de cet excellent et chrétien discours. Jamais la salle du Grand-Conseil n'avait retenti d'accens plus généreux et plus indépendans.

M. le landamman Clavel s'est opposé à la motion de M. le doyen Curtat. Il affirme que, dans tous les pays protestans, le, Gouvernement est l'Évêque, le Chef en matière de religion, et pense qu'une entière liberté de culte peut convenir à un Etat naissant comme les Etats-Unis d'Amérique, où le Gouverne

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