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ordinaire des choses, que le théologien de Bruges suppose avoir été mis en œuvre par l'Esprit de ténèbres, au moyen de la puissance surnaturelle qui lui était accordée, pour présenter aux yeux de celui qu'il voulait séduire, cette brillante image de la gloire des royaumes de la terre. Ainsi donc, Monsieur, tout bien examiné, vous le voyez, malgré votre répugnance à vous approprier le bien d'autrui, vous voilà dans l'obligation de reprendre pour votre propre compte les lunettes que vous avez mises dans les mains du Diable (1)

Quant à votre quatrième remarque, vous y dites que votre histoire de la tentation n'était qu'une simple conjecture. Dans votre première remarque vous avez dit qu'elle n'était qu'une simple hypothèse. Comme nous ne croyons pas qu'il y ait une grande différence entre conjecture et hypothèse, il faut que ce soit ou par inattention ou par pauvreté d'argumens, que sur

(1) Voici en entier, et tel qu'il se trouve dans le commentaire de Lucas, ce passage de ce docteur ; il est sur cette parole du verset 8; Et gloriam eorum. Et gloriam eam quæ administrationem illorum consequitur : brevibus describens, simul et ante oculos apparere faciens singulorum gloriam, illud opibus clarum, hoc viribus; aliud frequentiá populorum, aliud alio conspicnum et gloriosum denique quidquid in orbe magnificum habet magnorum regum strepitus, opes, famulitium, palatia, copias, adorantium turbas, obsequia, pompas, triumphos, legationes, nutum omnipotentem, aliaque permulta: harum rerum omnium mirum quoddam theatrum repente objecit oculis Jesu. Potuit autem hoc efficere, partim prospectivæ sive opticæ artis vi, quam non ignorat (qua arte AB HOMINIBUS conficiuntur inspicilla, quæ longissime distantes res oculis exactissime subjiciunt ) partim præstigio perstringens oculos Jesu permittentis. » In sacro sancta quatuor Jesu-Christi Evangelia, F. Luce Brugensis Commentarius, ex officina Plantiniana 1606. in loco.

Remarquons en passant que ce ne sont pas les royaumes de la terre, mais les diverses scènes de gloire qu'ils peuvent offrir que Lucas pense avoir été mises ainsi sous les yeux de Jésus. Nous ne savons pas pourquoi M. Nazon a traduit prospectiva ars par dioptrique, au lieu de perspective : ce n'est pas la même chose; il doit le savoir. On connaissait depuis long-temps, au siècle de Lucas, les règles et les effets de la perspective; mais nous ne croyons pas que l'on connût alors les phénomènes et les instrumens de la dioptrique, dont les lois fondamentales n'ont été découvertes que par Descartes.

quatre remarques, vous ayez répété deux fois la même. Nous ne pensons donc pas qu'il soit nécessaire de revenir sur ce sujet. Nous dirons seulement que l'assertion qu'on peut admettre ou rejeter cette explication sans aucun danger pour la foi et la piété est complètement fausse à nos yeux. La rejeter, sans doute; mais l'admettre, jamais.

Quand à ce que vous dites ironiquement dans la même remarque sur notre bonne foi et nos charitables intentions, ainsi que sur notre bile qui a été échauffée, nous ne nous y arrêtons pas. Ce sont des paroles que l'on croit d'obligation dans le monde, quand on se défend contre des inculpations dont on sent toute la force. Nous nous trouvons, dans l'estime des autres et dans notre propre estime, placés de manière à ce que nous ne devions pas même penser à répondre à ces petits badinages-là. Vous pourrez donc une autre fois vous en abstenir.

En terminant votre lettre, vous paraissez vous glorifier de nier une doctrine que nous avons appelée une des doctrines fondamentales du christianisme (et non pas comme vous nous le faites dire dans votre lettre : les doctrines fondamentales), savoir, la corruption naturelle du cœur de l'homme, et son impuissance par lui-même de faire le bien. Ce n'est pas ici le moment d'examiner votre système théologique nous ne pouvons que vous dire, Monsieur, que nous sommes affligés de vous voir affirmer d'une manière répétée que l'homme peut faire le bien, ce qui est vraiment bien et tel aux yeux de Dieu le juste juge, sans la grace de Dieu, et de vous voir ainsi vous inscrire en faux contre le témoignage de tant d'hommes sages (et pourquoi ne dirions-nous pas de tous les hommes sages?) qui ont déclaré et déclarent, même sans être chrétiens, que pour penser et faire le bien, il faut que cela leur soit donné de Dieu; ce que les plus grands philosophes païens ont euxmêmes professé, parce que quoique encore dans de profondes ténèbres, ils étaient humbles et se connaissaient eux-mêmes. Nous sommes fachés de vous voir vous inscrire en faux contre les déclarations de Celui que vous appelez votre maître et de sa Parole éternelle, qui nous disent: Hors de moi vous ne pouvez rien faire. Demeurez en moi et moi en vous: comme

le sarment ne peut point de lui-même porter de fruit s'il ne demeure au cep, vous ne le pouvez point aussi si vous ne demeurez en moi. Celui qui demeure en moi et moi en lui porte beaucoup de fruits(1). Non que nous soyons capables de nous-mêmes de penser quelque chose, comme de nous-mêmes, mais notre capacité vient de Dieu (2). Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis, et sa grâce envers moi n'a point été vaine; mais j'ai travaillé beaucoup plus qu'eux tous; toutefois non point moi, mais La GRACE DE DIEU qui est avec moi(3). C'est DIEU qui produit en vous avec efficacité le vouloir et l'exécution selon son bon plaisir (4) (même le vouloir, la volonté bonne est produite par l'efficace de Dieu!) Je puis toutes choses EN CHRIST qui me fortifie (5), et tous les passages sur la corruption naturelle de l'homme qu'il serait inutile de citer. Nous sommes fàchés de vous voir vous inscrire en faux contre ces paroles que chaque dimanche doivent prononcer tous les ministres et pasteurs des Eglises réformées de France, et que, quoique vous les ayez condamnées dans la chaire de professeur, vous avez sans doute plus d'une fois proférées dans la chaire de prédicateur (6): «Nous reconnaissons et confessons... que nous sommes de pauvres pécheurs, nés dans la corruption, enclins au mal, incapables par nous-mêmes de faire le bien (7); doctrine salutaire, qui, en enseignant à l'homme où est l'impuissance et où est la force, le rend seule parfaitement propre à toute bonne œuvre, tandis la doctrine enivrante de l'orgueil de l'homme que vous opposez, en lui faisant croire qu'il y a des forces là où il n'y en a pas, qu'il peut faire le bien sans la grâce de Dieu, l'égare, lui rend impossible de faire ce qui lui est demandé, et a par cela même une tendance destructive de tout bien, et dangereuse pour l'Église et pour la société.

que

lui

Enfin, Monsieur, quant à ce que vous dites en terminant

(1) Jean, 15, 4, 5.-(2) II. Cor., 5, 5.—(3) 1 Cor. 15, 10.—(4) Philip, 2, 13.—(5) Phil., 4, 13.—(6) Nous avons nous-mêmes entendu dernièrement M. Nazon prononcer ces paroles en chaire!-(7) Voyez soit la liturgie de Genève, soit toutes les liturgies en langue française: dans la plupart se trouve conçus el nés dans la corruption.

votre lettre, sur notre pouvoir de parole et de raisonnement, sur ce que quelques articles encore de semblable force, et vous êtes un homme confondu, ce ne sera ni à vous ni à nous, mais à d'autres de juger si vous êtes un homme confondu, ou si vous ne l'êtes pas. Nous dirons seulement qu'il nous paraît que dans ces paroles vous faites usage de ce qu'on appelle ironie, et vous voulez donner à entendre par là que nous avons trop peu de talens pour que vous puissiez nous craindre. Eh bien! Monsieur, en ceci, du moins, nous avons le plaisir d'être d'accord avec vous. Oui, nous avons peu de talens, et ce n'est pas non plus le talent que nous cherchons, mais la vérité. Et il nous paraît que puisque notre article, si destitué de tout pouvoir de parole et de raisonnement, a produit cependant sur vous l'effet dont votre lettre est la marque, c'est une preuve qu'à défaut de talens, il y avait du moins beaucoup de vérité (1). Car comment supposer qu'un article qui eût été dépourvu à la fois de tout talent et de toute vérité, aurait pu porter un professeur à déchirer certain voile favorable dont il s'étoit enveloppé jusqu'à cette heure, à venir se présenter à toutes les églises de France, et à leur dire, en présence même des églises de l'étranger où notre feuille parvient: - Eglises de France, qui me confiez vos enfans pour les instruire dans les saintes lettres et dans la foi réformée, et les préparer à devenir vos conducteurs spirituels, c'est moi qui leur ai enseigné que par le Diable il faut entendre un Juif, membre du grand Sanhedrin, l'un des principaux sacrificateurs, ou le grand pontife lui-même, qui, à diverses reprises, sonda Jésus-Christ! C'est moi qui ai professé hautement d'enseigner des doctrines anabaptistes, soci

(1) Si nous sommes bien informés, M. Nazon a lu en plein auditoire notre article du mois de mai, et a essayé dans deux leçons de le réfuter. Il valait donc à ses yeux la peine d'une réfutation. Nous croyons savoir aussi qu'il a communiqué d'avance à ses élèves la réponse qu'il nous a adressée. M. Nazon était bien libre d'en agir ainsi; mais nous ne pouvons nous empêcher de voir dans cette démarche un manque de dignité, et un vain désir de popularité qui doit peiner les hommes graves et sérieux.

niennes, quakers et méthodistes, pour m'excuser de ce que je renversais dans le même instant l'une des doctrines fondamentales de l'Eglise chrétienne réformée! - C'est à la vérité seule, quand elle est dite ouvertement, simplement et sans le prestige que le talent sait donner à l'erreur, qu'il appartient, Monsieur, de produire de semblables effets. Nous avons fini sur votre lettre.

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Et maintenant, Monsieur, ce sont d'autres pensées qui viennent se presser dans notre esprit et dans notre cœur. C'est le bien de ces églises de France pour lesquelles vous devez former des ministres; c'est l'avancement de ce règne de Christ, dont vous pourriez être l'un des plus puissans promoteurs. Et qu'en est-il, Monsieur? Nous dirons franchement toute notre pensée, et nous croyons que si elle n'est pas partagée de tous, elle l'est du moins d'un grand nombre et sans doute d'une grande majorité : Votre chaire, telle qu'elle est occupée, non-seulement n'est pas un bien, mais est un mal et une grande plaie pour nos églises. Beaucoup de pasteurs fidèles, qui ont pu voir la chose mieux que d'autres, ont déjà versé des larmes à cette pensée. Vous faites plus de mal que vous ne pensez et que vous ne voulez. Nous croyons savoir avec une parfaite certitude que plusieurs jeunes gens, fatigués de ces hypothèses et de ces doutes continuels dont on les entretient, nourris par là dans le scepticisme et dans cet orgueil de la raison humaine qui veut prendre dans le ciel les mystères de Dieu, pour les mettre sous ses pieds, dans la boue, reconnaissant que ces doctrines du socinianisme et de l'arianisme qu'on leur présente d'ordinaire, ne sont conséquentes ni avec elles-mêmes, ni avec la parole de Dieu, suivant en leur jeune et folle humeur l'exemple de ces enfans qui brisent tout ce qu'ils trouvent afin de voir ce qu'il y a dedans, et puis, s'apercevant que cela n'est plus bon à rien, le jettent loin. d'eux, tombent plus bas que vous n'êtes tombé vous-même, et se jettent dans l'incrédulité et le rationalisme, qui avec leur vide affreux et leur silence de mort, ont du moins le mérite d'être beaucoup plus conséquens que ces doctrines bigarrées qu'on leur enseigne. Nous croyons savoir avec une parfaite

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