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certitude que des jeunes gens qui, après avoir quitté leur église au sein de laquelle ils avaient été élevés dans les principes de la piété, s'étaient rendus à l'académie, en sont revenus pleins de scepticisme et d'orgueil. Nous croyons savoir que vous-même, Monsieur, tout en montrant une coupable indulgence et une pernicieuse faveur à ces jeunes sceptiques, vous êtes affligé de la voie qu'ils prennent, et dites ne savoir comment y obvier. Comment y obvier, Monsieur....? En prenant pour base de vos instructions la Parole éternelle, le rocher des siècles; en n'étant plus vous-même comme un enfant flottant et emporté çà et là à tout vent de doctrines (1), mais en venant au contraire à l'unité de la foi, à la connaissance du Fils de Dieu, à la mesure de la parfaite stature de Christ (2).

Voici, à ce qu'il nous semble, l'état des choses. Pendant le dernier siècle et jusqu'en 1814, des révolutions et des crises. religieuses avaient eu lieu dans le monde protestant, et particulièrement dans les deux contrées qui, dans l'empire de l'intelligence et de la religion tiennent peut-être le premier rang dans le monde, l'Angleterre et l'Allemagne. L'Angleterre accomplit la première sa période irréligieuse. Dès le milieu du

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(1) Eph., IV, 14. (2) Eph., IV, 13. de dire, ne regarde point, graces à Dieu,

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Ce que nous venons tous les étudians de

Montauban. Plusieurs sont vraiment sérieux dans leur vocation : les journaux étrangers mêmes se plaisent à leur rendre un juste témoignage. Voici ce que dit la Gazette évangélique de Berlin dans l'article que nous avons déjà cité : « En terminant, nous devons <«< ajouter la remarque réjouissante qu'il y a à Montaubau environ qua<< rante étdians qui s'occupent d'une manière sérieuse, non-seulement de « ce qui regarde les sciences, mais aussi de ce qui regarde la foi, et qui, voyant bien les défauts que nous avons indiqués, s'occupent avec « d'autant plus de zèle de la partie pratique; et, comme ils ont trouvé « par eux-mêmes le salut en Christ, ils cherchent aussi, pendant leurs an« nées d'Université, à le communiquer à d'autres; ils se rassemblent « souvent pour leur édification commune et pour l'interprétation pratide l'Écriture; ils ont fondé entre eux une société des traités, etc.>> Puisse le nombre de ces jeunes gens, l'espérance de nos Églises, se multiplier! Nous ignorons si le nombre indiqué par le journal allemand est entièrement exact. Il est, nous le craignons, au-dessus de la réalité.

« que

siècle dernier et même avant, elle commença à se relever du néant dans lequel elle était tombée à cet égard.

L'Allemagne commença sa période irréligieuse à peu près au moment où l'Angleterre venait d'accomplir la sienne. Elle la parcourut d'une manière plus vaste; l'esprit systématique des Allemands érigea l'incrédulité en dogmatique; et le rationalisme, franchissant les limites qu'il avait dû jusqu'alors respecter, parut dans les chaires des universités et s'assit dans les sanctuaires du Seigneur. En un grand nombre de contrées, les temples furent déserts; non-seulement le christianisme, mais même les idées religieuses disparurent, et de terribles calamités nationales furent la suite de cette vaste apostasie. Cet état de choses dura jusqu'en 1813, époque à laquelle l'Allemagne paraît avoir accompli sa période irréligieuse, et où l'on vit avec les premières pensées de respect pour la Parole de Dieu se réveiller aussi les premiers sentimens d'indépendance et de gloire nationale. Que faisaient, pendant que ces périodes irréligieuses s'accomplissaient autour d'elles, les églises réformées de France? A peine s'en doutaient-elles, ou elle ne les connaissaient du moins que par un bruit lointain et confus qui, nous nous en souvenons, remplissait toutes les âmes honnêtes d'un certain effroi. Leur état précaire, leur manque de ressources, leur ignorance des langues étrangères, cette ligne de démarcation qu'un doigt puissant avait tracée autour d'un vaste empire, et qui en en faisant une immense place d'armes, disait en même temps à tout ce qui était du ressort des idées et de la religion: Vous ne passerez pas; tout cela avait gardé la France. Les églises protestantes sans doute y manquaient en général d'une vie véritable et d'une science profonde; mais au moins elles avaient conservé une certaine pureté de doctrine. Mais en 1814 et 1815, les barrières sont enlevées; voilà cette mystérieuse Allemagne, dont il n'avait pas même été permis à une plume éloquente de nous redire quelques accens, la voilà ouverte à notre curiosité. On commence à chercher, à s'aventurer dans cette terre inconnue : d'abord on s'y perd sans pouvoir s'y reconnaître, et les plus éclairés même n'y voient goutte. C'est ainsi que l'éditeur,

homme de talens, d'un journal religieux du Midi, appelle M. Marheineke un calviniste rigoureux, tandis que le savant et profond docteur est fort luthérien dans sa doctrine(1), et même par fois un peu trop philosophe; mais on est dans une telle confusion d'idées, qu'il suffit que l'on croie à la divinité réelle de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ (que toutes les communions chrétiennes du monde confessent,) pour être appelé calviniste, quoique l'on pense du reste sur les doctrines distinctives de la réforme. Mais bientôt l'on devient plus hardi; on ne s'occupe guère que des ouvrages allemands marqués au coin du néologisme. Ce sont ceux-là qui intéressent, car c'est quelque chose de nouveau (2). Le vertige de raison humaine qui a fait long-temps tourner les têtes allemandes, commence à se montrer parmi nous ; ce rationalisme que l'on avait tant redouté s'introduit peu à peu; on apprend des néologues à changer à son gré l'Écriture, et à en ôter les vérités qui déplaisent, par des interprétations bizarres; et en 1825 ou 1826 (nous ne savons au juste l'année), déjà l'on peut entendre du haut de la chaire de dogmatique de l'Académie protestante de Montauban, conformément au système du ratio alisme, que « par le diable, il faut entendre un Juif, « membre du grand Sanhedrin, l'un des principaux sacrificateurs, où le grand pontife lui-même qui, à diverses re«prises, sonda Jésus-Christ.,». Kobas' Et quand est-ce que le rationalisme s'introduit ainsi à grands pas dans les églises protestantes de France? Quand les autres

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(1) In Ihm (Christus) und durch Ihn hat er (Gott) die MENSCHHEIT prædestinirt zur adoption. Marheineke Dogmatik, § 283. Certes, ce n'est pas là être un calviniste rigoureux ! (Mélanges de religion. juin 31829.)

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(2) Parmi les écrits de Bretschneider, ce sont les Probabilia qui se sont surtout répandus (dit un journal théologique allemand dans un article sur Montauban que nous avons déjà cité); ils ont fait naître beaucoup de ́doutes parmi les étudians, et ont eu une influence d'autant plus fâcheuse qu'on les a regardés presque comme irréfutables, et que l'on n'a eu connaissance ni des réfutations qui en ont été faites, ni des explications l'auteur lui-même a données plus tard. (Ev. Kirch. Zeitung.) 1829. — 12° année.

que

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églises et les autres contrées le rejettent. Depuis 1814 tout est changé en Allemagne, et le rationalisme lui-même est changé dans ceux qui en sont encore partisans. Entraîné par le mouvement qui l'entoure, il est devenu bien moins grossier, bien moins profane, bien moins moqueur que celui que l'on veut transplanter en France et inoculer à nos églises. Mais il y a bien plus, il n'est plus une université en Allemagne où les saines doctrines de la vérité ne soient professées hautement par des hommes pleins de science, pleins de talens, pleins de piété, qui ont été eux-mêmes renouvelés par la grace divine, et qui ont reçu non point l'esprit de ce monde, mais l'esprit qui est de Dieu, afin qu'ils connaissent les choses qui nous ont été données de Dieu (1). Berlin, autrefois le foyer de l'incrédulité, Berlin où les encyclopédistes français apportèrent à l'Allemagne ce poison que, modifié par les intelligences germaniques, l'Allemagne serait maintenant (si l'on n'y prenait garde) sur le point de renvoyer à la France, Berlin et son université sont devenus un foyer de lumière, et du haut des chaires de plusieurs vénérables docteurs, découlent, par la bénédiction divine, des ruisseaux d'eaux vives qui vont fertiliser au loin les églises que le rationalisme avait frappées de stérilité et de mort. L'Allemagne avait commencé sa période irréligieuse au moment où l'Angleterre venait d'achever la sienne; faudra-t-il que les églises protestantes de France commencent cette funeste période, au moment où pour l'Allemagne elle vient de finir? Eh quoi! n'avons-nous pas eu en France assez d'incrédulité? L'infidélité ~déplorable qui a pesé sur la France catholique romaine, et à quelques égards aussi sur la France protestante pendant le siècle dernier, ne sera-t-elle pas, pour ainsi dire, comptée, imputée à nos églises? Faudra-t-il que seules, et pour elles-mêmes, elles se mettent à parcourir cette sphère de désolations? Tandis que les églises d'Angleterre, d'Allemagne, de Suisse, d'Amérique, les églises protestantes de toute la terre, marchent en avant, les églises protestantes de France marcheront-elles seules en arrière, et se précipiteront-elles dans cet abîme de

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rationalisme, d'incrédulité, de déïsme, duquel les autres églises sortent maintenant avec un cri de réjouissance?...

Nous savons qu'elles en sortiraient aussi une fois elles-mêmes, nous savons que les portes de l'enfer ne prévaudront point contre l'Eglise du Seigneur, nous savons qu'après avoir accompli ce cycle de ténèbres, elles reviendraient elles-mêmes à la lumière; mais nous frémissons à la pensée de cette longue période de calamités qui se prépare; nous voudrions leur épargner ce long et funeste détour; et faibles comme nous le sommes, nous réunirons du moins pour cela toute la puissance de nos prières et de nos efforts.

Oui, Monsieur, ce qu'il faut aux églises protestantes de France, ce n'est pas un rationalisme incrédule, dédaigneux et moqueur, mais la vie religieuse, la vie chrétienne. Le premier les perdrait, mais celle-ci les sauvera. Quel bien cette vie religieuse et chrétienne, cette doctrine qui est selon la vérité, n'ont-elles pas déjà fait à ces églises, partout où elles ont pénétré ; c'est ce que confessent quelques-uns, de ceux-là mêmes qui jusqu'à cette heure s'en étaient montrés les adversaires; et ce fait nous réjouit et nous donne de bonnes espérances, en nous faisant comprendre que l'âge, le temps, l'expérience, l'examen, font voir les choses aux esprits sincères sous un tout autre point de vue qu'ils ne les avaient envisagées au premier abord. Nous le déclarons encore, car nous ne pouvons dire assez ouvertement et franchement toute notre pensée : il est absolument indispensable à la prospérité et même à l'existence des églises protestantes de France, que le rationalisme soit rejeté loin d'elles, et que la vérité et la vie chrétiennes (qui lui sont diametralement opposées) se propagent dans leur sein et les remplissent. Il le faut, Monsieur, pour les individus, parce que c'est là seulement ce qui les sauve, ce qui au milieu de cette vie, qui n'est certes qu'une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui ensuite s'évanouit (1), leur fait recevoir et posséder la vie éternelle. Il le faut pour les familles, parce que cela seul fortifiera et sanctifiera

(1) Jacq. IV, 14.

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