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séquence de leurs principes, parce que le siècle était plus chrétien.

Les révolutions et les troubles furent nombreux dans ce pays, qui jouait un rôle bien plus important que son étendue et ses ressources ne paraissaient le comporter, et qui, resserré entre des états plus puissans, plus d'une fois agité fortement au moment où l'ennemi était à ces portes, dut quelquefois considérer sa perte comme inévitable. Cependant lorsque le péril était le plus imminent, sa délivrance était proche, et c'était toujours à un prince d'Orange que la tâche de libérateur était dévolue. C'est ainsi qu'on vit Maurice, fils du premier Guillaume, opposé à l'ambitieux Leycester, se distinguer dans un âge peu avancé par la réunion de solides et brillantes qualités. C'est ainsi encore qu'en 1672, quand Louis XIV déjà parvenu au cœur du pays, semblait n'avoir qu'à le vouloir, pour effacer à jamais de la carte de l'Europe le nom de la république qui avait eu l'audace de lui résister, un mouvement simultané dans toutes nos villes éleva aux dignités de ses ancêtres ce Guillaume III, qui devait dans la suite porter la couronne d'Angleterre. Environ quatre-vingts ans plus tard, lors d'une seconde approche des Français, une pareille révolution éclata en faveur de Guillaume IV, qu'on avait su écarter jusque là des emplois dans lesquels sa famille s'était distinguée. Chaque fois l'humiliation que les ennemis de cette famille lui faisaient subir devenait plus grande; mais chaque fois aussi elle était relevée avec plus d'éclat ; jusqu'à ce qu'enfin, après son expulsion totale en 1795, la couronne royale devint son partage en 1813. Cette esquisse rapide peut donner quelque idée du point de vue sous lequel une partie de la nation se plaisait à envisager les destinées de la maison d'Orange, tandis que cette manière de voir paraissait folie aux autres. Le sort de l'Église réformée, qui était l'Église nationale, avait été intimement lié aux changemens qu'avait subis le gouvernement politique; et à mesure que l'esprit aristocratique avait acquis plus de pouvoir, les opinions que les Arminiens avaient mises en avant au commencement du 17° siècle, sur les relations entre l'Église et l'État, avaient été plus généralement

admises. Dans le 18e siècle, une orthodoxie morte remplaça souvent la vie chrétienne qui s'était manifestée dans le siècle précédent, et bientôt on eut à combattre le poison de l'incrédulité que les nations voisines nous versaient à pleines mains. On apprenait à connaître les froids matérialistes de l'Angleterre, mais on recevait en même temps les écrits de ceux qui s'étaient voués à combattre leurs sophismes. Les plaisanteries plus dangereuses de Frédéric et de Voltairene manquaient pas de traducteurs. Les idées démagogiques trouvèrent un écho dans bien des cœurs. Dieu ne permit cependant pas que les armées françaises envahissent notre territoire avant 1795, époque où le jacobinisme avait déjà épuisé ses fureurs : nous n'eûmes pas chez nous de honteux excès à déplorer; mais une mort spirituelle, peut-être plus redoutable encore, s'empara de bien des esprits. Quelques-uns, adorant une liberté fantastique et idéale, ne regardaient la religion que comme le second des besoins ; tandis que d'autres allaient jusqu'à croire qu'ils devaient gouverner le Sauveur, en le faisant considérer comme citoyen. Dans l'assemblée nationale qui fut convoquée, on n'eut rien de plus pressé à faire que de déchirer les liens qui unissaient l'Etat à l'Eglise, et dans les débats qui eurent lieu à ce sujet, et qui roulèrent presque exclusivement sur des choses secondaires, il ne s'éleva pas une seule voix en faveur du principe spirituel qui formait la base de leur union; savoir que l'État, comme État, doit relever de Dieu, qu'il doit se considérer comme un personnage qui est chrétien, et dont tous les actes et décrets doivent avoir le principe chrétien pour mobile (1). Depuis cette époque, les utopies

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(1) Nous ne pouvons partager à cet égard l'opinion de notre correspondant. L'État ne saurait être un personnage chrétien, parce qu'il n'est pas composé uniquement d'hommes qui croient. Ce n'est que si tous ses membres étaient des saints et des fidèles en Jésus-Christ que tous les principes qui en émanent pourraient avoir le principe chrétien pour mobile. Songer à établir un lien et des rapports entre l'Église et l'État, ce serait vouloir attacher un homme vivant à un corps mort. Nous regardons leur complète indépendance comme très désirable; c'est une doctrine que nous avons souvent eu occasion d'établir dans nos Archives.

(Réd.)

se succédèrent les unes aux autres; des constitutions éphé mères se remplacèrent rapidement jusqu'à ce qu'une série de malheurs nous portât sous le sceptre d'un roi, et finit par nous engloutir dans le grand empire. Une suite de désastres, l'interruption presque totale du commerce, la dette tiercée, les fléaux de la conscription et des gardes d'honneur, tant de fortunes ruinées, tant de malheurs à prévoir, occupèrent trop les esprits pour faire prédominer une tendance religieuse; quoique sans doute, au milieu de tant de calamités, bien des soupirs se soient élevés vers Dieu, et aient été entendus de lui. Enfin, l'heure de la délivrance sonna, et quelle ame eût été assez endurcie pour ne pas reconnaître le doigt de Dieu, dans une révolution accompagnée de signes si évidens de la protection divine! Sans doute ce n'était pas à notre arc ni à nos flèches que nous pouvions donner gloire, lorsque nous vîmes une nation dont la valeur était reconnue, nous céder le terrain au moment où nous n'avions encore à lui opposer qu'une populace désarmée, et faire une retraite, qui ne fût accompagnée d'aucun des fléaux inséparables de la guerre, et qui, dans un pays tel que le nôtre, fruit de l'art et de l'industrie, aurait pu nous priver à jamais des moyens de reconquérir notre prospérité. Aussi vit-on alors la foule affluer dans nos temples, et Dieu adoré dans les dispensations de sa providence ; peut-être toutefois ce tribut d'adoration était-il encore chez plusieurs, plutôt celui des Israélites sous la loi que celui des Chrétiens sous la grace. On s'attendait trop au retour des bénédictions temporelles, dont notre patrie avait été autrefois l'objet. On espérait voir de nouveau notre pavillon flotter sur toutes les mers, et le commerce du monde se concentrer une seconde fois dans nos ports. Cet espoir fut trompé; le commerce avait vu d'autres canaux s'ouvrir pour lui, et ne remontait plus vers sa première source; nous n'en pûmes regagner qu'une part bien modeste. Bien des espérances furent donc déçues; il était impossible à un gouvernement, pour lequel la réunion avec la Belgique vint bientôt créer de nouveaux devoirs et de nouveaux embarras, de remplir des attentes si

exagérées. Bientôt la première ardeur s'affaiblit, les pertes,. fruits des premières expéditions maritimes, inspirèrent le découragement; on dut chercher de nouvelles consolations, et les besoins spirituels se firent sentir plus vivement.

Avant de passer au récit des événemens qui ont signalé notre histoire religieuse depuis la restauration, il sera peutètre nécessaire de donner quelques détails sur l'état général de la religion au milieu de nous. Il peut être considéré de deux manières différentes. Je suppose qu'un étranger vienne s'informer de l'état religieux de nos provinces: on lui dira, d'un côté, que rien n'est plus satisfaisant, que c'est chez nous que règne la véritable tolérance, qu'on peut dire : paix, paix; que le culte est en honneur, que nous avons, comme l'Angleterre, nos sociétés de missions, de traités, de prisons ; qu'on adapte les vérités de l'Évangile aux lumières du siècle et aux découvertes de l'exégèse, et qu'en évitant le sentier dangereux de la néologie allemande, en même temps que la roideur et l'exaltation qui voudraient nous ramener aux obscurités du moyen-âge, on a conservé ce juste milieu si désirable en toutes choses. De l'autre côté, on lui dira que l'état de l'Eglise, bien loin d'offrir matière à la joie et au contentement, présente les symptômes les plus alarmans ; qu'à la vérité, la néologie ne se montre pas conséquente, qu'elle ne s'est pas fait voir dans toute son absurdité; mais que cette absurdité même aurait pu réveiller bien des ames qui maintenant s'assoupissent de plus en plus. Le bon sens de notre nation, un respect extérieur pour l'Écriture-Sainte, et les traditions de la vie chrétienne dans beaucoup de familles, nous ont préservés de voir le Seigneur renié parmi nous, ainsi qu'il l'a été dans des pays voisins; mais la maladie, quoiqu'elle ne se soit pas tant montrée au dehors, n'en existe pas moins au sein des Eglises. Parmi ceux qui extérieurement se sont le moins écartés, on a conservé la plupart des mots dont on se servait jadis; mais j'en appelle à la conscience d'un grand nombre de pasteurs, pour me dire si la plus grande partie de ceux qui s'en servent y attachent encore les mêmes idées. Je demande si les dogmes vitaux de l'Évangile ne sont pas con

sidérés souvent comme des systèmes humains; tandis qu'on en appelle cependant toujours à la Bible: appel juste, sans doute, pourvu qu'on n'oublie pas que ce n'est pas le son de quelques textes isolés, mais l'étude de la Bible comparée à elle-même, qui, sous l'assistance de Dieu, nous met en possession de ce faisceau de vérités unies par le lien indissoluble de la foi. Quelquefois on entend annoncer les dogmes, mais ce n'est pas avec cette chaleur qui remue les ames; ce n'est pas avec cette entière persuasion qui peut nous convaincre que les dogmes de l'Évangile, après avoir été pour nous des vérités par la foi, deviennent des vérités dans l'histoire de notre propre cœur. Souvent on prêche des vérités, mais ce n'est pas toute la vérité. On annonce le pardon des péchés en Christ, mais on ne fait pas assez sentir que tous ont également besoin de ce pardon, et qu'il ne faut pas seulement renoncer aux péchés grossiers qui souillent notre corps, mais aussi aux péchés spirituels qui souillent notre ame. On annonce le Dieu de bonté, qui veut pardonner à tous, mais sans montrer en même temps le Dieu de sainteté, qui a horreur du péché, même dans le cœur du plus juste. Jamais l'Évangile ne court plus de dangers que lorsqu'il jouit d'une certaine faveur parmi les mondains ; parce que le monde est toujours enclin à substituer aux vérités de la foi les systèmes de la raison humaine. Ainsi que vers la fin du 18e siècle, il était du bon ton de ne pas admettre le christianisme, il est maintenant convenu qu'il faut être chrétien; mais tandis qu'on admet autant de christianisme qu'on le croit convenable, et qu'on jette un regard de dédain sur les aberrations de l'impiété, on se croit aussi le même droit envers ceux qui sortent de ce cercle de convention, et à qui Dieu a fait reconnaître que l'Évangile n'est pas un système de vérités qu'on peut se contenter d'admettre pendant quelques jours ou pendant quelques heures, mais qui doit être la base de toutes nos théories et de toute notre pratique, le principe de tout ce que nous faisons et de tout ce que nous pensons. Tout ce qui passe la ligne de démarcation qu'on s'est plu à fixer est regardé comme du mysticisme, de l'obscurantisme ou de l'exagération; on suppose à ceux qui l'adoptent

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