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DEUXIÈME LETTRE DE M. NAZON, professeur à la faculté de théologie protestante de Montauban, AUX RÉDACTEURS DES ARCHIVES

DU CHRISTIANISME.

Nous nous empressons de nous rendre à l'invitation que nous fait M. Nazon de publier la nouvelle lettre qu'il vient de nous adresser. Notre but n'étant pas de guerroyer, nous laisserons sans réponse tout ce qui peut à la rigueur s'en passer. Nous avons publié en entier l'une des pièces du procès; nous en publierons encore quelques autres. Ce sera la meilleure manière de mettre au grand jour la tendance ANTI-ÉVANGÉLIQUE des enseignemens de ce professeur, et d'appeler l'attention de la France protestante sur cette grande plaie de nos Églises :

MESSIEURS LES RÉDACTEURS,

Paris, le 11 septembre 1829 (1).

Après la réponse dont vous avez accompagné ma lettre du 3 août, vous ne trouverez pas étonnant que je vienne vous importuner de nouveau, et que je réclame pour ma nouvelle missive la même hospitalité que vous avez accordée à la première. Je m'engage d'ailleurs à ne pas frapper une troisième fois à votre porte, et à chercher un autre asile, si je juge nécessaire de faire encore quelques excursions dans le champ des annotations.

A la veille de quitter Paris, je n'ai pas le loisir d'entrer dans le fond de la question théologique qui nous divise, et dont je me propose de faire dans quelque temps le sujet d'une brochure, afin qu'on puisse décider entre vous et moi avec plus ample connaissance de cause. Je me borne pour aujourd'hui à quelques explications qui ne tiennent qu'incidemment aux doctrines.

Vous m'assurez que c'est à tort que je me suis vu attaqué dans votre article du mois de mai; pardonnez une erreur que bien des personnes ont partagée; elles ont également pensé que vous vouliez me faire connaître au public, lorsque vous donniez à deviner quelle est

(1) Cette lettre a sans doute été écrite le 11 octobre, quoique portant par mégarde la date du 11 septembre; elle nous est parvenue le 14 octobre. (Réd.)

des diverses sectes anabaptistes, sociniennes, arméniennes, et même quakers et méthodistes, celle pour laquelle et par laquelle la chaire dont vous parliez est élevée; elles n'ont pas pu s'imaginer que vos lecteurs iraient chercher en Allemagne le mot de l'énigme; il était depuis long-temps connu d'un grand nombre d'entre eux, et il y avait mille à parier contre un que les autres borneraient leurs recherches à la France, et arriveraient finalement à Montauban. Quoi qu'il en soit, j'accepte vos explications; je les crois sincères; il n'y avait ni personnalités ni insinuations dans votre article; il est seulement fâcheux que sa forme ait conduit tant de gens à le penser. Mais maintenant que nous nous entendons sur ce point, passons plus avant.

Rien dans ma lettre n'énonce qu'il n'y a pas dans votre article des raisonnemens destinés à établir votre manière d'envisager la tentation. Je n'ai absolument eu en vue que la partie qui concerne mon cours, et j'ai dit et je répète encore que vous m'avez répondu par des assertions au lieu de raisonnemens; j'ajoute qu'il n'y a pas autre chose dans votre réplique, puisque dans la note 1 de la page 394, vous écrivez : Notre intention n'est pas de réfuter ici les sophismes et les faux raisonnemens de M. Nazon. Sophismes et faux raisonnemens tant qu'il vous plaira, inais que d'autres pourront trouver fort logiques; car permettez-moi de vous le dire, ce n'est pas sur la forme que prit le diable, et dont, par parenthèse, vous avez donné une merveilleuse explication, que repose le premier, mais sur le pouvoir qu'il aurait d'opérer des miracles, qui, s'il existe, et vous ne le niez pas, réduit à néant la preuve que nous tirons de ces faits surnaturels en faveur de la vérité de la religion (1).

J'ai dû appeler l'auteur de l'article censeur anonyme, parce qu'il

(1) D'un côté, la Parole de Dieu déclare que les miracles établissent la divinité de la révélation (Jean x, 38. Actes iv, 30); de l'autre, des miracles sont, dans cette même Parole, attribués au démon. Tels sont ceux qui lui sont attribués dans l'histoire de la tentation du Seigneur (Matth. Iv et Luc Iv), et ceux manifestés dans la personne des démoniaques de l'Évangile: tel est encore le pouvoir de séduction attribué à Satan. (Luc XIII, 16; Jean XIII, 2; 1. Pierre 8; Ephés. VI, 11: Apoc. xII, 12, etc.) Ce double fait ne présente rien de contradictoire; et si Dieu a permis, dans le même temps où il manifestait sæ puissance par des miracles, que Satan manifestât son existence et son influence par des actes surnaturels, le triomphe constant de la puissance du Seigneur sur celle du démon ajoute un nouveau poids à la preuve tirée des miracles en faveur de la religion. (Réd.).

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ne s'est pas fait connaître, que je ne pouvais pas deviner qu'il fût un des rédacteurs des Archives, et qu'il n'en est pas moins anonyme pour cela. Je vous répondrai que si, dans la plupart des journaux religieux, philosophiques, politiques, etc., il ne se trouve pas un nom à la fin de chaque article, ces journaux, pour la plupart, ont un gérant qui signe, et qui est responsable de tous les articles non signés ; que le Globe, que vous donnez pour exemple, porte la signa. ture de M. L. Dubois, et que les initiales des noms de ses coopérateurs se présentent presque toujours; je vous répondrai que les rédacteurs de deux journaux protestans, les Mélanges et la Revue, signaient tous leurs articles, et que, comme ceux des Archives ne se sont jamais fait connaître, on ignore qui ils sont, d'où ils viennent, à quelle Eglise ils appartiennent; et si, après l'invitation que je leur adresse de SE NOMMER TOUS, ils continuent à se cacher derrière la toile, je ne verrai dans un pareil silence qu'un calcul de prudence humaine; car la parfaite charité bannit la crainte (1).

Puisque vous avez jugé convenable de transcrire tout entière mon exposition de la tentation du Sauveur, qui n'était pas destinée telle quelle à l'impression, et dont le style peut faire souffrir mon petit amour propre d'auteur, je releverai quelques inexactitudes qui se sont glissées dans la copie que vous avez en main. Page 393, avant-dernière ligne, à la suite de la phrase: ce serait folie que de ne pas s'arrêter au sens littéral, ajoutez que présentent les versions en traduisant diabonos par diable - Page 394, ligne 2, après la citation du v. 1. ajoutez: D'après les explications des commentateurs, le premier membre, etc. Même page, ligne 20, rétablis

(1) M. Nazon n'aura pas eu occasion de vérifier cette assertion; elle elle est erronée en fait quant aux deux journaux protestans qu'il cite. Le Globe ne porte la signature de M. L. Dubois que depuis la promulgation de la dernière loi sur la presse. Si, après tout, un nom suffit à M. Nazon, il trouvera celui de M. Juillerat-Chasseur, l'un des pasteurs de l'Église réformée de Paris, sur la couverture des 143 livraisons des Archives, qui ont paru jusqu'à ce jour. - Jean Huss avait mis pour épigraphe à son livre sur l'Unité de l'Eglise : Lecteur, inquiète-toi de ce qui t'est dit dans ce livre, et non de savoir qui en est l'auteur. Nous tenons à M. Nazon le même langage; nos noms ne font rien à l'affaire, puisqu'il n'a pas d'action à intenter à nos personnes; c'est de ses doctrines qu'il s'agit : qu'il les défende et qu'il ne cherche pas à détourner l'attention du fond des choses, en la dirigeant sur des personnalités. (Réd.)

sez: Le sens littéral des versions nous conduit donc à admettre un miracle rien n'indique dans le texte grec (1). En outre, que dans mes développemens oraux, j'ai eu soin de répéter à diverses reprises, et j'en appelle au souvenir de mes auditeurs, que dans mes critiques, je n'avais absolument en vue que les interprétations des scholiastes, et je crois qu'un ton ironique et ce que vous appelez de profanes sarcasmes peuvent être quelquefois permis en parlant des absurdités dont ils ont si souvent affublé la Parole sainte, qui était, ainsi que je l'ai déjà fait observer, entièrement hors de cause, et que, malgré votre invitation, je continuerai à y laisser en pareille occurrence (2).

Maintenant, que dirai-je de vos longues remarques sur mes courtes remarques qui, d'après votre manière de raisonner, doivent tout au moins contenir un peu de vérité, puisqu'elles vous ont fait si long-temps retarder l'impression du numéro qui les porte, et vous ont obligés à mettre tant de noir sur du blanc ? Je dirai que votre journaliste allemand, qui est sans doute un frère (a), se trompe (a) Les frères peuvent penser beaucoup de mal des autres, et en dire quelquefois; mais, comme de raison, ils ne se jettent jamais la pierre. Il est reconnu que parmi eux tous les hommes sont des saints, toutes les femmes des saintes, et tous les enfans des anges. Lorsque l'un d'eux est appelé à déloger de ce monde, il est toujours mûr pour l'éternité : en conséquence on lui délivre pour le paradis un pompeux passepor!, dont la petite congrégation prétend s'arroger le monopole. Heureusement ⚫il est un bureau plus élevé auquel il est encore permis de recourir, et où peut-être son visa sera plus d'une fois biffé. (NAZON.)

(1) Le petit nombre et le peu d'importance des inexactitudes que présente, d'après M. Nazon lui-même, le texte de ses leçons que nous avons en main, fait ressortir l'exactitude générale de ce texte. (Réd.) (2) Sortons des généralités : cette phrase de M. Nazon signifie ici qu'admettre que ce fut le Diable qui tenta le Seigneur est une telle absurdité, que l'ironie est l'arme la plus convenable pour l'attaquer. Rappelons qu'au nombre de ces scholiastes si denués de bon sens, qui ont partagé cette manière de voir, se sont trouvés tous les théologiens de quelque renom dans l'Eglise protestante, les Luther, les Calvin, les Pictet, les Turretin, les Claude, les Amyraut, les Drelincourt, les Dumoulin, les Daillé, les Mestrezat, les Dubosc, les Encontre, les pieux et savans rédacteurs de la Confession de foi de notre Eglise, etc. Voilà les hommes dont M. Nazon ne craint pas de combattre les convictions par des sarcasmes. (Réd.)

du tout au tout, quand il affirme que je suis encore très indécis et très chancelant dans mes vues et mes convictions, et que je ne fais point connaître ma propre persuasion Je ne l'ai jamais cachée (1), et il me semble que j'use assez largement de la liberté d'instruction qui règne aujourd'hui partout (2); vous en fournissez vous-mêmes la preuve, en me reprochant d'attaquer les vérités fondamentales (d votre manière) de la religion chrétienne. Je ne reculerai pas davantage devant l'appel que vous faites à ma conscience relativement à mon exposition de la tentation. Voici ma pensée, et toute ma pensée, telle que je l'ai fait entendre en plein auditoire : Je suis pleinement convaincu que l'ennemi dont il est parlé dans cette tentation est un HOMME; mais quel est cet homme ? l'Écriture n'en dit rien; dès lors, de toutes les conjectures ou hypothèses qu'on peut imaginer (car on ne peut qu'imaginer), celle d'un membre du sanhedrin me paraît la plus vraisemblable (3), mais n'en demeure pas moins une simple spéculation de l'esprit, qu'on peut rejeter ou admettre sans que la foi ait rien à y démêler, et sans qu'elle courre le moindre

(1) M. Nazon a si peu avoué dans son exposition de la tentation les convictions qu'il professe aujourd'hui que, dans la première lettre qu'il nous a écrite, il a à moitié eu l'air de les nier, en attribuant à une ruse du malin notre assertion à cet égard. (Voyez p. 385.) (Réd.).

(2) Au lieu de se vanter, non de l'usage, mais de l'abus qu'il fait de cette liberté, M. Nazon aurait dû nous dire en quoi il la fait consister: car il conviendra qu'il doit y avoir des limites; et si, à son avis, la liberté d'enseigner le déisme ou le mahométisme dans une chaire privilėgiée, appartenant à nos Eglises, ne saurait être laissée à un professeur, celle d'y enseigner l'arianisme ou le socinianisme, ou le néologisme, ou le rationalisme, ou toute autre erreur fondamentalement en opposition avec la Parole de Dieu et avec la doctrine de l'Eglise réformée de France, ne saurait pas davantage lui appartenir; même si l'enseignement était véritablement rendu libre par le gouvernement, c'est-à-dire si, à côté du néologisme de M. Nazon, d'autres professeurs avaient le droit d'ouvrir des cours où ils établiraient la vérité de Dieu; et si lẹ devoir de répondre chaque jour à l'appel au cours de M. Nazon n'était pas obliga toire, sous peine de ne pouvoir devenir pasteur en France, comme nu! n'est contraint d'être docteur, nos Eglises auraient toujours le droit et le devoir de demander: croyez-vous ? à celui qui se présenterait pour instruire leurs futurs conducteurs. (Red.)

(3) Que nos lecteurs veuillent bien rapprocher cet aveu de la 1oo remarque de M. Nazou dans sa lettre du 3 août, pag. 385. (Réd.)

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