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spirituelle, qu'il parvint à la connaissance de la vérité, telle qu'elle est en Christ ; nous allons donc revenir un instant sur nos pas, et examiner quelle avait été jusque là l'histoire de son âme.

Son éducation avait, dès sa jeunesse, été dirigée d'après les principes chrétiens, et elle avait donné à son esprit une disposition sérieuse et recueillie. A l'âge de dix ans, il pria sa mère de lui accorder un cabinet, où il pût travailler et prier sans être dérangé: souvent il s'y agenouillait, et demandait avec simplicité à Dieu tout ce que désirait son cœur. Une de ses prières les plus fréquentes était celle-ci : « Bon Dieu, je « sais que les professions qui s'exercent dans le monde con« tribuent finalement toutes à ta gloire; mais je te demande « néanmoins de permettre que ma vie te soit tout entière et « uniquement consacrée. » L'exemple d'une sœur aînée, qui mourut fort jeune, lui fut très utile : animée d'une vraie piété, elle dirigeait les lectures de son frère, et cherchait surtout à lui inspirer le goût de la Bible. Les impressions salutaires qu'il reçut de ses conversations avec elle, ne s'effacèrent pas entièrement pendant le temps de ses études; mais elles furent affaiblies par l'ardeur avec laquelle il cherchait à étendre ses connaissances, et qui absorbait toutes ses facultés. Voici comment' il s'exprime lui-même, dans des papiers qu'il a laissés, sur son séjour à l'Université de Kiel : « Je connaissais tous les principes « du dogme et de la morale; j'étais en état de prouver toutes «<les doctrines par l'Écriture sainte ; j'observais tous les de« hors de la piété ; mais la théologie était dans ma tête et non « dans mon cœur; elle n'était pour moi qu'une science qui n'occupait que ma mémoire et mon imagination; j'étudiais sa « théorie, sans jamais considérer son côté pratique. Quand je « lisais dans l'Écriture sainte, c'était pour devenir plus in«struit, et non pour me faire à moi-même l'application de ce « qu'elle enseigne. Je mettais par écrit toutes mes remarques ; « mais je songeais peu qu'il fallait aussi écrire et graver la Pa« role de Dieu dans mon cœur. » Francke demeura aussi pendant tout son séjour à Leipsick, dans cette disposition d'esprit, etce n'est qu'à Lunebourg qu'il en vint à réfléchir sérieusement

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sur son état spirituel. Les adulations dont il avait été jusque là l'objet, à cause de son savoir, ne le suivirent pas dans cette petite ville, et les rapports intimes qu'il y entretint avec quelques vrais chrétiens lui furent de la plus grande utilité. Peu après son arrivée, on le pria de se charger de prêcher quelques semaines après: « J'étais alors dans une telle disposition d'esprit », dit-il dans le journal que nous avons déjà cité, et dont nous présenterons encore d'autres extraits, « que je ne son« geai pas seulement à m'exercer dans la prédication, mais « que je désirai aussi édifier mes auditeurs. J'eus l'idée de prendre pour texte ces paroles de saint Jean : Ces choses ont a été écrites, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de « Dieu, et qu'en croyant vous ayiez la vie par son nom (Jean, xx, 31), et je me proposai de montrer à cette occasion ce que « c'est qu'une foi vivante et véritable, et en quoi elle diffère « de cette foi vaine, qui n'a son siége que dans l'imagination. «En réfléchissant sérieusement à ce passage, je sentis que je « n'avais pas encore moi-même la foi que je voulais recom<< mander aux autres, et au lieu de méditer davantage sur mon « discours, c'est sur moi-même que se portèrent toutes mes pensées. Toute ma vie passée se présenta à moi, comme une « ville aux yeux d'un homme placé sur une tour élevée. D'a« bord je crus pouvoir faire le compte de mes péchés ; mais « bientôt je découvris dans mon cœur l'incrédulité, ou du << moins cette foi morte, que j'avais prise si long-temps pour la « foi véritable, et d'où découlaient mes fautes innombrables, «< comme d'une large source. » Francke décrit ensuite l'inquiétude et le tourment que lui fit éprouver cette triste découverte. Il résolut de renoncer à prêcher, s'il ne trouvait pas la paix avant le jour fixé pour son sermon; mais cette paix, qui surpasse toute intelligence, fut accordée à ses prières: ses doutes disparurent; il se sentit assuré en son cœur de la grâce de Dieu en Jésus-Christ. Il prêcha donc sur le texte qui l'avait rendu attentif à sa propre misère, et il put dire comme saint Paul: Ayant maintenant un même esprit de foi, selon qu'il est écrit, j'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; nous croyons aussi, et c'est pour cela que nous parlons (2 Corinthiens, IV, 13). C'est

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de cette époque que Francke date sa conversion; quarante ans après il disait encore, peu de jours avant sa mort, en faisant allusion à ces jours de bénédiction, «que Dieu avait alors «ouvert dans son âme la source intarissable de la connaissance de Jésus-Christ, de laquelle étaient coulés des fleuves « de consolation et de joie pendant toute sa vie. »

Un séjour de quelques mois, que Francke fit à Hambourg,lui fut aussi très salutaire, en lui faisant connaître le prix et les avantages de la communion des saints. Les chrétiens de cette ville vivaient très unis, et se voyaient souvent, pour se communiquer leurs expériences chrétiennes, s'exhorter les uns les autres, et s'édifier ensemble. Témoin des bons résultats de ces rapports fréquens et intimes, il se fit toujours un devoir de recommander des réunions du même genre : « Il en est des « chrétiens», disait-il, « comme des charbons ardens : s'ils « sont séparés les uns des autres, ils peuvent facilement s'éteindre; mais s'ils sont réunis, leur feu s'entretient par le « contact, et il arrive souvent que le bois sec qui les avoisine « s'enflamme à son tour. >>

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Les succès que Francke avait précédemment obtenus à Leipsick,lui faisaient penser qu'il pourrait, plus facilement que partout ailleurs, annoncer dans cette Université la vérité qu'il avait appris à connaître depuis qu'il en était parti. Il résolut d'y retourner, et d'y ouvrir plusieurs cours; mais, avant de donner suite à ce plan, il se rendit à Dresde, pour y faire la connaissance de Spener, et lui demander ses directions et ses conseils. Cet homme excellent, qui était alors à la tête du mouvement religieux en Allemagne, l'admit dans son intimité, et approuva entièrement ses desseins.

Francke, ainsi qu'il l'avait projeté, ouvrit plusieurs cours à Leipsick; dans l'un, il expliqua les Epîtres de saint Paul aux Philippiens, aux Corinthiens et aux Éphésiens ; dans un autre, qui eut un succès extraordinaire, il s'attacha à montrer les difficultés que présentent les études théologiques, et les secours dont ceux qui s'y livrent peuvent le plus utilement faire usage. Quoiqu'il eût transporté ce cours d'une salle particulière dans un auditoire public, pour pouvoir y admettre plus

de monde, l'affluence était si grande, que l'on se pressait au dehors, à la porte et aux fenêtres, pour pouvoir entendre. Ces leçons furent abondamment bénies: un grand nombre des jeunes gens qui y assistèrent se convertirent de tout leur cœur au Seigneur, et continuèrent leurs études dans un tout autre esprit qu'ils ne les avaient commencées. De tels résultats déplurent aux partisans de l'orthodoxie sans vie qui dominait alors dans les Universités : quelques professeurs surtout, jaloux de la faveur dont jouissaient les leçons de ce jeune homme, à peine entré dans la carrière de l'enseignement, l'accusèrent d'être le chef d'une nouvelle secte de piétistes, tandis que tous ses efforts ne tendaient cependant qu'à ramener l'esprit de la primitive Église et de la réformation. « L'expérience « journalière nous apprend », dit Francke dans une réponse aux inculpations dont il fut l'objet, « que pour « que pour être nommé « piétiste, il suffit de s'occuper sérieusement de la Parole de « Dieu, de reconnaître sa grâce salutaire, qui est apparue à « tous les hommes, de renoncer aux passions mondaines et à l'impiété, et de vivre dans le monde selon la tempérance, la piété et la justice. Qu'on en fasse l'essai, qu'on se décide à se « convertir de tout son cœur au Seigneur, et l'on verra si le « nom de piétiste vous est épargné. Qui, tel est au sein du « christianisme l'aveuglement du grand nombre, que ceux qui éprouvent une repentance et une conversion vérita«bles, sont accusés de se faire une nouvelle religion, d'a«< dopter une foi nouvelle, de former une nouvelle secte. Ce « n'est pas d'une nouvelle religion qu'il s'agit dans cette af« faire, mais c'est de nouveaux cœurs. »

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Les choses en vinrent au point que Francke et ses amis durent comparaître devant une commission, pour rendre compte de leur foi. Malgré les efforts du clergé, du consistoire de Leipsick et de la faculté de théologie, ils furent déclarés innocens; mais la faculté, pour arrêter son influence, âta à Francke le droit de tenir des cours. Il continua néanmoins encore quelque temps ceux qu'il avait ouverts sous la protection de la faculté de philosophie; l'on vit, ce qui du reste s'est reproduit plus d'une fois, des hommes, étrangers par leur pro

fession aux sciences théologiques, accorder, par une certaine libéralité de sentiment, protection aux vérités de la religion contre ceux-là même qui étaient chargés de les enseigner et de les défendre.

En 1690, Francke fut appelé comme pasteur à Erfurt; il y eut pour collègue le docteur Breithaupt, qui prêchait, comme lui, la nécessité de la conversion et de la foi. Leurs prédica tions étaient très suivies, et comme ils craignaient de n'être pas toujours compris par tous leurs auditeurs, ils réunirent chaque semaine dans leurs maisons ceux qui désiraient que le sujet du sermon prêché le dimanche précédent leur fût plus familièrement développé. Francke recommandait avec instance à ses paroissiens la lecture de la Bible, et répandait avec profusion parmi eux le Nouveau-Testament et des livres de piété. Sa doctrine leur parut d'abord étrange, et nouvelle; mais ceux qui suivirent son conseil de sonder les Écritures ne tardèrent pas à se convaincre qu'elle n'était autre que la doctrine de Jésus-Christ, et plusieurs la reçurent dans leurs cœurs. D'autres, au contraire, ne virent en Francke qu'un enthousiaste, un piétiste et un novateur. On l'accusa de faire venir et de distribuer des livres hérétiques, et l'autorité lui défendit sévèrement de continuer à le faire. Francke ne crut pas que ce titre pût convenir aux livres excellens que seuls il cherchait à répandre, et continua ses distributions comme avant. Averti de cette circonstance, le conseil de la ville se fait livrer le premier paquet qui arrive pour lui; il mande le pasteur, et ordonne que le paquet soit ouvert en sa présence. On l'ouvre; mais on n'y trouve que des Nouveaux-Testamens., Francke assure que -cette petite contrariété, qu'on lui avait fait éprouver, fut très utile à la vente de ses livres qui s'écoulèrent tous en un seul jour, tandis qu'en temps ordinaire il lui aurait fallu plusieurs semaines pour les placer...:

Ces vexations, n'étaient d'ailleurs que la préparation à une persécution plus grande : excité par les rapports défavorables qu'on ne cessait de lui faire sur le compte de Francke, l'Électeur de Mayence rendit un arrêt par lequel, se fondant sur ce qué Francke passait pour être le chef d'une nouvelle secte, il le desti-

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