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tuait de ses fonctions et lui ordonnait de s'éloigner immédiatement de la ville où il les avait remplies. Aussitôt que cet ordre luieut été signifié, Francke se rendit au conseil, pour se justifier des inculpations dont il était l'objet ; mais on refusa de l'entendre, et on lui intima même de quitter Erfurt dans les quarante-huit heures. En vain ses paroissiens intercédèrent-ils pour que leur pasteur leur fût laissé, ils ne purent rien obtenir; quelques-uns furent même condamnés à la prison, et Francke dut se séparer d'eux le 27 septembre 1691, après quinze mois de résidence à Erfurt. Il reçut, à cette occasion, des témoignages d'estime bien propres à le consoler de sa disgrâce. Les ducs de Gotha, de Cobourg et de Weimar lui firent offrir des places dans leurs États; mais il les refusa, pour accepter celle de professeur des langues orientales à la nouvelle Université de Halle, que l'Électeur de Brandebourg venait de fonder. Il fut nommé en même temps pasteur de l'église de Glaucha, faubourg de Halle. Il est remarquable que la vocation de professeur lui parvint le jour même où on lui signifia l'arrêt de son bannissement.

L'église à laquelle il était appelé était dans un fort triste état: non-seulement le vrai christianisme, celui qui renouvelle les cœurs et qui influe sur tous les détails de la vie, n'y était pas connu, mais encore les mœurs y étaient fort relâchées. Les désœuvrés et les ouvriers de Halle avaient l'habitude de fréquenter les cafés et les cabarets des faubourgs de Glaúcha, et y portaient tous les vices que produisent la fainéantise et la boisson. Francke remplit fidèlement le poste difficile de pasteur de cette église, jusqu'en 1715, où la cure de Saint-Ulrich, à Halle, lui fut confiée. Ses prédications à Glaucha et à Halle eurent pour objet, comme à Erfurt, les grandes vérités du christianisme, dont son cœur était plein. Quoique très diverses pour la forme, elles roulaient toutes sur le même fond; la corruption de l'homme, la grâce de Dieu manifestée en Jésus-Christ, et la sainteté de vie que doit produire la foi au Seigneur, y étaient sans cesse rappelées. Nous avons parcouru plusieurs de ses sermons, dont un grand nombre ont été imprimés: ils sont pleins de chaleur et de vie, et nous en aurions présenté

quelques extraits dans cette notice, si nous ne prévoyions que les faits qui nous restent à raconter dépasseront déjà les limites que nous nous étions prescrites. Nous nous bornerons donc, pour faire connaître les idées de Francke sur la prédication, à citer ce qu'il en dit dans un de ses ouvrages:

«Beaucoup de prédicateurs s'occupent de l'éloquence sacrée, comme s'il devait y avoir des orateurs dans l'Église de Dieu. Nous ne devons pas être des orateurs, mais des pères. Le prédicateur doit exhorter ses auditeurs au bien, comme un père y exhorte ses enfans, et ses exhortations doivent être disposées de la manière qu'il juge la plus propre à lui faire atteindre son but unique, celui de sauver ce qui était perdu. Un père de famille ne songe pas à faire l'orateur, ni å tenir de beaux discours sur l'éducation ou sur les bonnes mœurs; que le pasteur s'en abstienne aussi. Le prédicateur doit ressembler à ces arbres dont le tronc est élevé, mais dont les branches s'étendent et se penchent vers la terre, en sorte que ceux qui ne pourraient monter à leur cime puissent cependant cueillir du fruit et s'en nourrir. Le principe de régler ses discours selon son auditoire, et de prêcher savamment quand on parle à des auditeurs instruits, me paraît fort dangereux. Les pharisiens étaient, certes, des auditeurs instruits, et cependant, quand le Sauveur leur parle, il leur dit avec toute la clarté et toute la simplicité possibles ce qui leur manque. Que l'on suive cet exemple, et qu'on ne perde jamais de vue, quel que soit le degré de culture des personnes auxquelles on s'adresse, qu'avant tout il importe de les convertir. »

Francke ne négligea pas non plus ces réunions particulières, dont il avait précédemment reconnu l'utilité; il y expliquait des livres entiers de la Bible, en exposant les vérités qu'ils contiennent dans le même ordre où les écrivains sacrés les présentent : il rassemblait en outre tous les jours, matin et soir, ses paroissiens à l'église : ces exercices, qui duraient environ une demi-heure, se composaient du chant de quelques versets de cantique, de prières, de la lecture d'un chapitre de la Bible et de son explication. Le samedi, il indiquait le texte sur lequel il prêcherait le lendemain, et invitait ses paroissiens à y réfléchir d'avance, pour être mieux préparés à profiter du sermon. Le dimanche soir, il analysait en peu de

mots, son discours du matin, et faisait voir comment on pouvait en appliquer les vérités à sa conduite de la semaine. Le jeudi matin, il lisait une portion de l'ouvrage d'Arnd sur le vrai Christianisme (1), et le vendredi, il en reproduisait les idées dans un sermon qu'il prêchait régulièrement ce jour-là. On voit, par ce que nous avons dit, que Francke était un ouvrier fidèle, qui savait que tout son temps appartenait au maître qui lui avait confié la culture de sa vigne : il ne se croyait pas quitte envers Dieu ni envers son Église, à l'aide d'une seule prédication faite le dimanche; non, tous les jours et plusieurs fois le jour il montait en chaire pour essayer de gagner quelques âmes ou pour édifier celles qu'il avait déjà amenées à la connaissance du salut. »

Francke publia aussi plusieurs petits écrits pour l'instruction de son troupeau; une traduction de l'un d'eux, intitulé Conseils surla manière de lire l'Écriture sainte, a été imprimée par la Société des Traités Religieux de Paris; il serait peut-être utile que cette société admît au nombre de ses publications quelques autres des petits ouvrages de l'homme savant et pieux dont nous racontons la vie.

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Francke remplit jusqu'en 16.99 les fonctions de professeur des langues orientales; à cette époque, il fut nommé professeur de théologie. Ses efforts, dans cette nouvelle situation pour faire considérer l'étude de l'Écriture sainte comme la base de toute la théologie, et pour mettre fin aux débats scolastiques, sont très remarquables, et furent abondamment bé

nis.

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Il avait pour principe que c'est par la méditation de la Bible qu'on devient théologien, mais il désirait en même temps que ses disciples acquissent, non pas seulement la connaissance

(1) Du vrai Christianisme. C'est le plus connu des ouvrages de Jean Arnd. Il en existe deux traductions françaises : l'une, qui parut en 1725, est du comte de Zinzendorf, qui la dédia au cardinal de Noailles; l'autre est de Samuel de Beauval. Ce livre a aussi été traduit en latin, et dans presque toutes les langues de l'Europe et de l'Asie. Il continue à être lu avec édification en Allemagne par un grand nombre de chrétiens.

des doctrines chrétiennes, mais aussi la conviction que ces doctrines sont vraies. Il cherchait, en conséquence, à leur montrer, 1o en quoi consiste le vrai christianisme; 2' comment la doctrine de Jésus-Christ doit être enseignée avec la simplicité des Apôtres, et comment sa rédemption doit être le point de départ et le but de tout enseignement; 3' que l'étudiant en théologie doit s'appliquer de tout son cœur à bâtir pour lui-même sur le même fondement sur lequel il excitera un jour les autres à bâtir. Il leur rappelait souvent aussi que, pour atteindre leur but, il ne suffisait pas de leurs propres efforts, quoique ces efforts dussent être persévérans et soutenus ; mais qu'il fallait encore le secours du Saint-Esprit, qui seul peut produire cette foi qui produit elle-même la vie chrétienne. « Je « crois que l'étudiant qui s'imagine pouvoir étudier la théologie sans le secours du Saint-Esprit est dans une grande « erreur, disait-il, et tant qu'il demeure dans cette erreur, « il ne peut devenir qu'un pharisien aveugle. » Quand il voyait des jeunes gens se vouer trop légèrement à la carrière du saint ministère, il leur disait souvent: « Chers amis, c'est une chose « sérieuse que d'être chargé du salut de plus d'une âme, j'en« tends par là du salut d'autres âmes que sa propre âme. »

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Francke tint des cours sur presque toutes les branches de la théologie, mais surtout sur l'exégèse, la morale évangélique et les devoirs pastoraux. Ce dernier cours a été publié par son fils en deux volumes in-8°. Il se compose d'une série d'observations. Dans la 131e, relative à la prédication, il rappelle l'exemple instructif et touchant d'un ancien prédicateur qui s'était fait la règle, quand il devait prêcher, de rentrer en lui-même, et d'appliquer à son propre cœur le texte qu'il avait choisi, oubliant à quels auditeurs il aurait à faire et se regardant lui-même comme le seul homme auquel il devait parler. « Quand je me préparais de cette manière, disait ce pieux vieillard, il arrivait d'or« dinaire que mes paroissiens trouvaient que j'avais lu dans « leurs cœurs, ce qui me convainquit que ce n'est pas seulement « en moi, mais aussi dans les autres, que le péché habite. »

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Francke assure que de tous ses travaux académiques, aucun n'a été couronné d'autant de bons résultats que le cours où

¡l exposait aux étudians en théologie les difficultés du saint ministère. Beaucoup de ses auditeurs ont reconnu que c'est en y assistant qu'ils ont été réveillés de leur sommeil spirituel. Il continua ce cours tous les jeudis, jusqu'à sa mort. Il ne s'y attachait à aucun plan, mais se réglait entièrement sur ce qu'il savait des besoins de ses élèves. A dater de 1695, quelques étudians écrivirent ses leçons à mesure qu'il les donnait. Il en a été publié sept volumes, deux par lui-même, et cinq, après sa mort, par son fils. On y trouve des réflexions excellentes, et tout-à-fait pratiques. Il en est une que nous reproduirons ici, parce que nous avons éprouvé nous-même combien elle est juste. Elle se rapporte à la manière dont les personnes ordinairement occupées de sujets théologiques ou religieux doivent passer le dimanche :

« L'étude et la prière sont deux choses distinctes, » dit Francke; · « les étudians en théologie feront donc bien de s'abstenir, pendant les jours de fête, de toute étude, pour ne songer qu'à aller eux-mêmes dans les pâturages du Seigneur, afin de se fortifier dans la foi et de croître dans l'amour de Christ. Que le samedi soir l'étudiant interrompe tout travail; qu'il se prépare au dimanche, et qu'il emploie le dimanche même à se mettre le plus possible en communion avec Dieu; qu'il songe, pendant ce jour, non à devenir plus savant, mais à devenir plus pieux et meilleur. De quelle utilité ne seraient pas pour les étudians des dimanches régulièrement employés ainsi! Mais celui qui, le dimanche, se livre à ses travaux ordinaires, qui, en assistant à la prédication, ne cherche qu'à attraper quelques idées qu'il puisse un jour reproduire dans ses propres discours, ne parviendra jamais à la vraie vie chrétienne. »

Nous avons cité de préférence ce passage, parce que c'est là un point sur lequel les chrétiens peuvent aisément se faire illusion. Ils s'imaginent sanctifier le dimanche, en continuant celles de leurs occupations ordinaires qui se rapportent de quelque manière à la religion, et ne songent pas que ce n'est qu'en s'occupant de leurs propres âmes qu'ils peuvent se préserver de cette sécheresse à laquelle sont surtout exposés ceux qui sont appelés par état ou par la nature de leurs études à considérer souvent la religion comme une science.

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