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« Si un étudiant en théologie, » dit-il ailleurs, « ne regarde pas comme son affaire principale de détruire l'empire de Satan dans son âme et d'y établir le règne de son Dieu, il peut être certain de ne jamais atteindre son but; et s'il ne croit pas à mes paroles et pense que son premier soin doit être de s'instruire, quitte à songer ensuite à l'établissement du règne de Dieu en lui-même, je lui déclare qu'il sera forcé de reconnaître plus tard, à son dommage, ce que maintenant il ne veut pas croire à son avantage et à son bien. »

Francke sentait toute l'utilité de l'enseignement catéchistique; et il fonda, pour mieux préparer les étudians à le donner, un institut où ils en apprenaient les règles principales, et s'exerçaient, sous l'inspection d'un directeur, à donner l'instruction religieuse aux enfans. Chaque leçon était critiquée par les autres étudians présens, ce qui donnait souvent lieu à des discussions utiles sur la manière de présenter les vérités de la religion.

L'Université de Halle est redevable à Francke et à ses collègues Breithaupt (1), Antoine et J. H. Michaelis, d'une autre fondation utile; nous voulons parler du Collegium orientale theologicum qu'ils créèrent en 1702. Ils choisirent douze élèves distingués par leur conduite morale, l'étendue de leurs connaissances et leurs facultés intellectuelles, et résolurent de les mettre en état, au moyen d'une instruction étendue, de remplir un jour des fonctions supérieures dans l'Église. Ils étaient logés et nourris gratuitement; ils devaient suivre les cours publics, s'appliquer à l'étude de l'Ancien et du NouveauTestament dans les langues originales, et étudier en outre le chaldéen, le syriaque, la langue rabbinique, l'arabe et l'éthiopien, afin de s'entourer ainsi de toutes les lumières qui pouvaient leur faciliter l'intelligence de la Bible. Beaucoup d'hommes célèbres depuis comme théologiens ont été formés dans ce collége.

Les soins de Francke n'étaient d'ailleurs pas limités à ce petit nombre de jeunes gens ; il organisa pour tous les étudians des réunions, où ils lisaient la Bible ensemble; l'un d'eux était

(1) C'est le même qui avait déjà été collègue de Francke à Erfurt.

spécialement chargé de l'expliquer; tous les autres ajoutaient leurs remarques aux siennes.

Pour compléter ce que nous avons à dire des travaux académiques de Francke, il faudrait parler ici des ouvrages qu'il écrivit sur la théologie et dont quelques-uns sont spécialement destinés aux étudians; mais leur examen serait sans intérêt pour beaucoup de nos lecteurs. Nous en connaissons jusqu'à treize; ils portent tous le cachet du vrai christianisme, et sont aussi distingués par la manière dont les idées y sont présentées, que par les idées mêmes qu'ils contiennent. Plusieurs de ces ouvrages excitèrent contre Francke les attaques des partisans d'une froide orthodoxie, aux yeux desquels la vie intérieure, sur laquelle Francke insistait le plus, n'était que du mysticisme. Les membres du clergé de Halle furent presque tous au nombre de ses adversaires les plus ardens. La foule se portait à ses sermons, et les prédications des autres pasteurs étaient d'autant plus abandonnées qu'on goûtait plus ses sermons : cette circonstance peut avoir surtout contribué à les irriter. Ils ne cessaient de porter à Magdebourg et à Berlin des accusations contre ses doctrines, ce qui força deux fois l'autorité à nommer des commissions chargées d'examiner l'état des choses et de chercher à rétablir la paix. Toutes deux rendirent une justice entière à Francke. L'un des principaux griefs des membres du clergé était un sermon qu'il avait fait sur les faux prophètes, et où ils crurent se reconnaître. Francke protesta qu'il n'avait pas songé à les peindre; mais il ajouta que, de peur que cette déclaration ne fût prise pour une justification de leur doctrine et de leur manière d'exercer le saint ministère, il devait convenir qu'à plusieurs égards ce qu'il avait dit des faux prophètes leur était effectivement applicable.

Ce que nous avons rapporté des nombreux devoirs de Francke, comme pasteur et comme professeur, aura montré à nos lecteurs quelle devait être son activité. Il sentait tellement le prix du temps, qu'on lui entendait dire quelquefois qu'en consacrant à quelqu'un une heure de sa vie, il croyait lui faire un grand présent. On comprendra encore mieux à quel point cette assertion était vraie, quand on saura de quelle manière

il employait le temps que n'exigeaient pas ses fonctions publiques. En voici un exemple. Ayant appris qu'un de ses amis était dans le besoin, et n'ayant pas de quoi venir à son aide, il résolut d'écrire et de publier à son profit, sous le titre de Observationes Biblica, un ouvrage périodique qu'il continua, de mois en mois, pendant près d'un an ; mais ne sachant où prendre le temps de le rédiger, il se fit la loi de ne rester le soir qu'un instant à table, et d'écrire ce journal pendant le temps qu'il mettait d'ordinaire à souper.

Nous allons maintenant suivre Francke dans cette carrière de bienfaisance, qui l'a surtout rendu célèbre. Nous avons vu en lui le pasteur qui ne veut savoir parmi son troupeau autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. (1.Cor., 11, 2), et le professeur qui enseigne la doctrine que l'homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi (Romains, 11, 27); nous allons voir maintenant le philanthrope, qui non-seulement vit par l'Esprit, mais qui marche aussi selon l'Esprit, et dont la charité active opère de grandes choses, parce que la foi qui transporte des montagnes et qui est dans son cœur, lui procure de grands secours.

Francke était pauvre : « Je n'ai pas l'habitude d'économiser « un seul liard, » dit-il dans une lettre qui a été conservée; « mais « je sais être content quand j'ai le vêtement et la nourriture. « Mon bon père céleste fournit à mes besoins comme à ceux « des petits des oiseaux; il me donne grain après grain, en sorte « que je ne suis jamais dans l'indigence, et que je n'ai jamais ́ « de superflu, mais que je dois toujours attendre tout de sa « main qui donne toujours. » — Les mendians de Halle avaient l'habitude de se présenter à un jour fixe de la semaine chez les personnes qui consentaient à les soulager. Ils se réunissaient tous les jeudis devant la porte de Francke, qui leur faisait distribuer de la nourriture; ayant réfléchi qu'il pourrait, à cette occasion, leur offrir aussi toutes les semaines une aumône spirituelle, il les fit un jour entrer dans sa maison, et adressa aux plus jeunes quelques questions sur les vérités de la religion. Leur extrême ignorance lui fit vivement sentir la nécessité de les instruire, et il les prévint que toutes les semaines, avant de leur donner les secours qu'il avait cou1829. — 12o année.

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plans à mesure qu'il réalisait les choses qu'il s'était d'abord proposées, cette maison, malgré l'acquisition d'une seconde qui y était adjacente, ne suffit bientôt plus à ses immenses projets. Il se décida donc à acheter un terrain étendu, occupé alors par une ancienne auberge, et à y faire toutes les constructions qui lui paraissaient nécessaires : c'est là que s'élevérent successivement les vastes bâtimens qui forment encore aujourd'hui la Maison d'orphelins de Halle; elle ne le cède en rien aux autres institutions du même genre qui existent en Europe. Ce bel établissement, commencé en 1698, fut complété en dix années; il continue encore à remplir le but philanthropique que son fondateur s'était proposé. Francke n'entreprit pas ces immenses travaux à la légère ; il ne céda pas non plus à un besoin d'activité inconsidéré; mais il était excité et soutenu dans toutes ses œuvres par l'esprit de foi et de prière qui, après lui avoir fait accueillir quatre orphelins au nom du Seigneur, lui persuadait maintenant d'en accueillir des centaines en son saint nom. On ne peut lire sans émotion les détails que Francke a consignés dans son journal sur les soins de la Providence dont ses pieuses et charitables entreprises furent l'objet ; on se sent fortifié, par les faits qu'il rapporte et qui sont tous tirés de sa propre expérience, dans la conviction que le secours de Dieu ne manque jamais à ceux qui se confient en lui. Souvent ses ressources paraissaient épuisées; il lui arriva plus d'une fois de ne pas savoir comment acheter les provisions de la journée, quoiqu'il eût chaque jour plusieurs centaines de bouches à nourrir; une fois même il dut vendre la seule cuiller d'argent qu'il y eût dans la maison, pour satisfaire aux plus pressans besoins, et cependant jamais ces enfans et ces étudians nombreux, auxquels il avait à fournir leur pain quotidien, ne furent privés d'un seul repas; jamais les ouvriers employés aux bâtisses ne furent retardés d'un seul jour pour leur salaire. Toujours au moment convenable, quoique souvent au dernier moment, Dieu, à la gloire duquel cette œuvre était entreprise, lui envoyait le secours nécessaire : tantôt c'étaient des sommes importantes, tantôt ce n'était que le denier de la veuvė, quelquefois des provisions de blé, des pièces de toile ou d'autres

choses également utiles. Le Seigneur de toute grâce savait toujours, à l'heure du besoin, toucher le cœur de ses fidèles en faveur des pauvres orphelins. Mais si Dieu exauçait, c'est que Francke priait ; sa vie entière était une vie de prière. Nous sentons qu'il nous est impossible de donner même une faible idée do sa confiance et de sa foi. Il faudrait réimprimer ici chaque page, de son journal. Des chiffres ne feraient non plus connaître que bien imparfaitement les bénédictions dont il fut combić; c'est par les rapports qui existent entre le besoin et le moment, la quotité et les circonstances du secours qu'on doit surtout les apprécier. Nous en citerons quelques exemples, pris à peu près au hasard entre une foule d'autres, et nous laisserons parler Francke lui-même :

a... Nous éprouvâmes, en février 1699, dit-il, un dénûment si grand que je vis bien que nous étions dans un vrai temps d'épreuves. Sans ressource aucune, j'avais cependant tous les jours à suffire à de grands besoins. Je me souvins alors de cette déclaration de JésusChrist Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes choses vous seront données par-dessus (Matthieu, vi, 33), et pour me conformer à sa volonté, je m'efforçai d'éloigner de mon esprit toute inquiétude pour les besoins temporels, travaillant en même temps à me mettre en communion toujours plus intime avec mon Dieu. En dépensant le dernier argent, qui me restait, je m'écriai: «Domine, respice ad indigentiam meam; Seigneur, regarde à mon indigence, » puis j'allai à la Faculté donner ma leçon de théologie. En rentrant, je trouvai chez moi un étudiant qui m'attendait; il me portait soixante-dix écus de la part d'amis chrétiens qui demeuraient à plus de quatre-vingt lieues de Halle. »

« ... C'était un vendredi ; je venais de débourser mon dernier écu, et cependant je devais payer le lendemain les ouvriers qui travaillaient à la nouvelle maison. L'économe vint en effet le jour suivant me demander l'argent nécessaire, et je dus lui répondre qu'il ne me restait rien. Il me demanda si du moins je ne pouvais pas lui donner de quoi payer les scieurs de bois et les femmes qui prenaient soin des petits enfans, et qui, étant pauvres elles-mêmes, ne pouvaient se passer de leur salaire. Il me fallut lui répondre que je n'avais pas même de quoi suffire à cette petite dépense; « mais,» ajoutai-je, «Dieu sait que cette maison d'orphelins existe, et que nous manquons

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