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rir celui qui les opérait. Et ici on voit clairement que les chefs en voulaient à la vie de Jésus, parce que son caractère et son autorité ne leur convenaient pas; sans cette conclusion, l'argument de Caïphe ne présenterait aucun sens. En quoi les miracles de Jésus pouvaient-ils être désagréables aux Romains? Quand même le peuple aurait cru en lui plutôt qu'aux Scribes et aux Pharisiens, il n'en serait pas résulté de changement dans les affaires du gouvernement impérial, à moins que Jésus ne se fût montré ennemi de Pilate ou de César. Ce n'est pas parce que Jésus ressuscitait les morts et nourrissait ceux qui avaient faim, que les Romains seraient venus exterminer le lieu et la nation. Si donc même chacun avait cru en lui, co n'aurait pas été une raison pour le faire mourir. D'un autre côté, ses miracles étaient de nature à faire réfléchir et à convaincre les Pharisiens et les sacrificateurs eux-mêmes. Ils étaient frappans, nombreux, et avaient été opérés dans le cours de plusieurs années. Quand même ils auraient dû attirer la vengeance de Rome, ils devaient persuader aux Juifs que celui qui triomphait sur la mort était capable aussi de les délivrer des mains des Romains, comme les juges et les prophètes d'autrefois avaient délivré leurs pères des mains des Philistins. Les miracles avaient de tout temps été la preuve d'une mission divine; il avait été annoncé qu'ils serviraient à faire reconnaître le Messie que les Juifs attendaient. Jésus prétendant être le Messie, n'aurait pas dû être condamné pour avoir donné des preuves de sa mission. Pour le condamner, le conseil aurait eu deux choses à établir, d'abord que Jésus prétendait être le Messie, et ensuite que ses prétentions étaient blasphématoires, parce qu'elles étaient fausses; car si Jésus montrait par des preuves évidentes qu'il était le Messie, comment le juger digne de mort? Et si les preuves de sa mission, c'est-à-dire ses miracles, étaient estimées d'avance des preuves contre lui, comment le véritable Messie aurait-il jamais pu légitimer ses droits et faire croire en lui? Le conseil se conduisit comme s'étaient conduits les pères des Juifs; les prophètes venaient de la part de Dieu, ils donnaient des preuves de leur autorité; mais comme saint Étienne le dit aux sacrificateurs : Eequel des pro

phètes vos pères n'ont-ilspoint persécuté? Ils ont même tuécoux qui ont prédit l'avènement duJUSTE. Jésus est venu de la part de Dieu; il a montré ses titres, on lui a résisté et on l'a tué. Nous pouvons même dire de Moïse qu'il n'avait pas pour sa mission d'autres preuves que celles que Jésus offrit pour prouver la sienne, des miracles. Si cependant les Hébreux l'avaient tué à cause de ses miracles, ils n'auraient jamais eu « ni lieu, ni nation, » et M. Salvador n'aurait pas eu occasion de publier ses compilations, et de venger la mémoire des sages et vertueux membres du conseil de Jérusalem.

Nous avons admis jusqu'ici l'exactitude des faits que M. Sa lvador rapporte, et nous avons montré que quand même les choses se seraient passées comme il le prétend, il ne serait pas fondé à en tirer les conclusions auxquelles il arrive. Maintenant il nous reste à prouver qu'il n'est pas même un historien fidèle, et que les faits se sont passés tout autrement qu'il ne les raconte. En effet, les chefs, au lieu de se taire et de ne rien entreprendre contre Jésus jusqu'à la prétendue délibération légale dont parle M. Salvador, cherchèrent au contraire constamment à s'emparer de lui et à s'en défaire d'une manière illégale et violente. Les historiens sacrés, qui sont les seules autorités auxquelles M. Salvador puisse, ainsi que nous, en appeler, contiennent à ce sujet de nombreux détails; nous nous bornerons à rappeler ce que saint Jean dit s'être passé à la fête des tabernacles: Après avoir entendu ses discours dans le temple, quelques-uns de ceux de Jérusalem disaient : N'est-ce pas celui qu'ils cherchent à faire mourir? et le voilà qui parle librement. Les chefs auraient-ils en effet reconnu qu'il est véritablement le Christ? Cependant, plusieurs du peuple crurent en lui, et disaient Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n'en fait celui-ci? Les Pharisiens ayant appris ce que le peuple disait sourdement de lui, ils envoyèrent, de concert avec les principaux sacrificateurs, des sergens pour se saisir de lui. Le dernier et le grand jour de la fête, Jésus se trouva là, et dit à haute voix : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Qui croit en moi, des fleuves d'eau vive découleront de lui, comme l'Écriture le dit. Plusieurs ayant entendu ces paroles, disaient: Celui-ci est vérita

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blement le prophète ; d'autres disaient : Celui-ci est le Christ. Les sergens donc retournèrent vers les principaux sacrificateurs et les Pharisiens, qui leur dirent: Pourquoi ne l'avez-vous pas amené? Les sergens répondirent: Jamais homme n'a parlé comme cet homme. Les Pharisiens leur dirent: Avez-vous été aussi séduits? y a-t-il quelqu'un des chefs ou des Pharisiens qui ait cru en lui? Mais cette populace, qui n'entend point la loi, est execrable. Nicodème, qui était un d'entre eux, leur dit: Notre loi condamne-t-elle un homme sans l'avoir out auparavant, et sans s'être informé de ce qu'il a fait? Ils lui répondirent: Es-tu aussi Galiléen? informe-toi, et tu verras qu'aucun prophète n'a été suscité de la Galilée. Et chacun s'en alla à sa maison (Jean vr). Rien n'est plus clair que ce récit. Il était connu publiquement que les chefs cherchaient à faire mourir Jésus, et cependant ils ne pouvaient légalement le faire sans accusation quelconque, sans mandat légal. Ils envoient leurs agens saisir un citoyen innocent et libre; ceux-ci n'étant pas dans leur droit, au lieu de remplir leur mission, reviennent tout émus et prévenus en faveur de celui qu'ils devaient arrêter, Les chefs, loin de les punir pour n'avoir pas obéi à leurs ordres, mais avoir suivi leur volonté propre et agi selon leur opinion personnelle, se mettent à discuter avec eux, et cherchent à leur persuader de penser comme eux, et non pas comme le peuple. Nicodèmé, l'un d'eux, leur reproche alors d'agir d'une manière illégale et injuste, et leur dit qu'au lieu de maudire le peuple, ils devraient reconnaître qu'il est plus juste et plus éclairé qu'eux. Ils ne lui répondent que par des injures et des sophismes; et, sans prétendre avoir agi légalement ni régulièrement, ils cherchent à mettre Jésus hors de la loi; ils préjugent la question de son innocence, et parce qu'il est venu de Galilée, ils se croient libres de s'emparer de sa personne et de le tuer. C'est dans ce même esprit qu'ils résolurent, après la résurrection de Lazare, de ne pas se donner de relâche que leur projet sanguinaire ne fût accompli.

Mais revenons à l'ouvrage de M. Salvador. Quand le meurtre de Jésus est décidé, il nous donne l'histoire de son arrestation; selon lui, le sénat rendit un jugement public pour qu'il fût, saisi. Pourquoi donc ne s'empara-t-on pas de lui? M. Sal

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vador nous apprend qu'il n'a pas voulu passer la frontière pour se sauver, et nous savons en effet, par le témoignage de saint Jean, que six jours avant la Pâque il était à Béthanie, où avait eu lieu la résurrection de Lazare. Son arrivée en cet endroit devait être connue de tout le monde, puisque de grandes troupes de Juifs ayant su qu'il était là, y vinrent, non-seulement à cause de Jésus, mais aussi pour voir Lazare qu'il avait ressuscité des morts; sur quoi les principaux sacrificateurs résolurent de faire mourir aussi Lazare (Jean xii, 9, 10). Nous voyons ensuite Jésus aller publiquement à Jérusalem, y être l'objet des acclamations du peuple, enseigner dans le temple, en chasser une seconde fois tous ceux qui y vendaient et qui y achetaient, renverser les tables des changeurs et les siéges de ceux qui vendaient des pigeons (Matt., xx1, 12); sans que les autorités fassent rien pour s'emparer de sa personne. « Cependant, » dit M. Salvador, « un perfide découvre le lieu où s'était retiré le prévenu; les gardes, autorisés par le grand-pontife et par les anciens, ac«courent le saisir. » Mais qu'est-il besoin d'un perfide pour arrêter un homme connu du public, et qui n'a rien fait ni rien dit de nouveau, depuis le jour où il dit à Lazare couché dans le sépulcre : « Sors dehors, » et où le conseil décida de le faire mourir? La réponse est facile; c'était une œuvre de ténèbres; ils voulaient le tuer avec le moins de risque et le plus de certitude possible.

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Dans tout le récit de M. Salvador il y a oubli volontaire ouinvolontaire de l'état de corruption et d'impiété dans lequel étaient le peuple juif et surtout ses chefs, à l'époque du ministère et du jugement de Jésus. Ici on ne peut se tromper; la lumière nous arrive de tous côtés. Jean-Baptiste, voyant plusieurs des Pharisiens et des Sadducéens venir à son baptême, il leur dit : Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère à venir? Faites done des fruits convenables à la repentance, et ne présumez point de dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père. (Matthieu, 111, 7-9). Quand Jésus-Christ chassa du temple ceux qui y vendaient, il leur dit: Il est écrit: Ma maison est la maison de prière; mais vous en avez fait une caverne de voleurs (Luc xix, 46),, Il tonna, comme le dit M. Salvador, contre les chefs du peuple,

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avec une véhémence qui prouve que leurs vices étaient notoires: Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites, car vous devorez les maisons des veuves, même sous le prétexte de faire de longues prieres. Vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat; mais le dedans est plein de rapine et d'intempérance. Vous payez la dime de la menthe, de l'anet et du cumin, et vous laissez les choses les plus importantes de la loi, c'est-à-dire le jugement, la miséricorde et la fidélité. Voyez tout le chapitre 23 de l'Evangile selon saint Matthieu.) Ce sont cependant là les mêmes hommes qui composaient le conseil devant lequel Jésus-Christ fut amené; ce sont les mêmes que M. Salvador appelle « les hommes les plus respectables de la nation, qui pensent agir légalement, qui avaient même tenté la douce voie d'admonition, et à qui il « n'est pas possible d'attribuer la permission des outrages coma mis contre leur victime; des hommes dont la nature, la dignité, l'âge, l'ordre qu'ils avaient suivi dans le jugement, « prouvent la bonne foi, » Mais malheureusement pour M. Salvador les historiens profanes sont d'accord avec Jean-Baptiste, avec Jésus-Christ, avec les apôtres, et avec saint Paul. Joseph surtout se prononce directement contre l'opinion favorable sur la composition du conseil, que M. Salvador se plaît à propager, Il déclare que « le peu de jouissances que les conqué«rans avaient laissées au peuple, leur étaient ravies par les prin«cipaux sacrificateurs et par les chefs, gens corrompus et détes« tables, qui avaient obtenu leurs places par la corruption et la « violence, et qui conservaient leur autorité par les plus hon«teux et les plus abominables crimes. La corruption était uni« verselle dans les affaires publiques et dans les affaires particu«lières, et je déclare à regret que si les Romains avaient tardé à « faire la guerre à ces misérables, la ville aurait été visitée d'un << jugement du ciel, semblable à celui qui surprit la ville de Sodome dont ils surpassaient les habitans en crimes(1). » Nous demander de croire qu'un jugement et une condamnation, et surtout la condamnation de Jésus, prononcée par un conseil composé de pareils élémens, sont légales et justes, c'est nous de

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