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REVUE LITTÉRAIRE ET RELIGIEUSE.

TRAITÉ DE LA VÉRITÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE, où l'on établit la Religion chrétienne par ses propres caractères, par Jacques ABBADIE; nouvelle édition avec des notes explicatives ou critiques, par M. L*** ( LACOSTE)», théologul et vicaire-général du diocèse de Dijon.4 vol. in-12, ensemble de 1870 pages. Dijon, 1826, chez VICTOR LAGIER, et Paris, chez HENRY SERVIER, rue de l'Oratoire, n° 6. Prix: 12 fr

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Nous regrettons de n'avoir pu annoncer plus tôt cette nouvelle édition du grand ouvrage d'Abbadie; mais comme elle a été imprimée, loin de Paris et par les soins d'un ecclésiastique étranger à notre communion, nous ignorions, nous-mêmes qu'elle eût paru. Quoique près de trois ans se soient déjà` écoulés depuis sa publication,, nous croyons de notre devoir d'en parler dans ces feuilles, puisqu'il s'agit ici de l'un des écrits les plus importans que possède notre Église. On peut être, au premier abord, un peu surpris de voir un vicairegénéral et un théologal catholique être l'éditeur du livre d'un docteur en théologie protestant; cet étonnement cesse toutefois quand on sait qu'Abbadie, qui a attaqué le catholicisme dans un autre ouvrage intitulé La Vérité de la Religion chrétienne réformée, s'abstient, dans ces quatre volumes, de toute controverse avec l'Eglise romaine. Il déclare lui-même « qu'il a le « dessein d'écrire pour les chrétiens, en général (vol. 11, p. 388), et il s'interdit en conséquence tout ce qui pourrait sembler dirigé contre les opinions particulières d'une portion d'entre eux. Sans cette précaution, son ouvrage n'aurait probablement pas été lu autant qu'il l'a été; et ses lecteurs catholiques, se défiant de ses intentions, n'en auraient peut-être pas tiré le bien qu'il a fait à un grand nombre.

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Dès son apparition, le Traité de la Vérité de la Religion chrétienne reçut l'accueil qu'il méritait; on s'en occupa, on le 1829.-12° année.

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prona comme on prône aujourd'hui des ouvrages d'un tout autre genre ; et en étudiant l'histoire littéraire du temps, on est surpris de voir la place qu'y tient ce livre de théologie. Les hommes dont les croyances étaient les plus opposées à celles de l'auteur, Bayle, par exemple, rendaient hommage à la solidité et à la profondeur de son esprit, à la clarté et à l'élégance de son style; et dans les salons les plus spirituels de Paris, on lisait et on relisait l'ouvrage de l'homme supérieur qui, comme Claude, Du Bosc et tant d'autres ministres, était forcé de faire jouir les pays étrangers d'un mérite dont Louis XIV ne voulait pas dans son royaume. Madame de Sévigné en fait mention plusieurs fois dans ses lettres : « Je ne << crois pas qu'on ait parlé de la religion comme cet hommelà, » écrit-elle à Bussy-Rabutin après avoir lu le second tome d'Abbadie; et celui-ci, dont les mœurs ne prêtaient que trop au scandale, et dont l'incrédulité était avouée, lui répond : « Jusques ici, je n'ai point été touché de tous les autres livres qui me parlent de Dieu; mais le livre d'Abbadie me fait va« loir tout ce que je n'estimais pas : encore une fois, c'est un « livre admirable ; il me peint tout ce qu'il me dit, et force ma « raison à ne pas douter de ce qui lui paraissait incroyable. »> - Plus de quarante ans après, deux écrivains catholiques, l'abbé Houteville, dans son Discours historique et critique sur la méthode des principaux auteurs qui ont écrit pour et contre le christianisme depuis son origine, et l'abbé Desfontaines, dans des Lettres à l'abbé Houteville, confirmèrent le jugement que l'on avait porté de ce livre lors de sa première publication. Ce dernier, critique sévère et habile, va jusqu'à trouver Abbadie supérieur à Pascal. Sans examiner si ce jugement est fondé, nous le rapporterons parce qu'il est curieux : « Peut-on comparer, dit-il, des pensées détachées, des réflexions so« lides, mais peu naturelles, des spéculations abstraites, des « raisonnemens métaphysiques, à un corps d'ouvrage complet, nourri d'un style éloquent, et où l'érudition et le rai<< sonnement ne laissent rien à souhaiter? Aussi ce livre admi« rable efface aux yeux de l'univers tout ce qui s'est publié « avant lui pour la défense du christianisme. Quelles conver

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sions n'a-t-il pas opérées! Que d'esprits forts n'a-t-il pas << convertis ! »

Nous nous réjouissons de voir de notre temps, où certains fanatiques attaquent le protestantisme avec tant de fiel, un vicaire-général catholique juger Abbadie avec autant d'impartialité que le faisaient Houteville et Desfontaines, et rendre justice à son livre en le réimprimant et en l'annotant. Les notes fort peu nombreuses que M. Lacoste a ajoutées çà et là au texte, n'ont en général d'autre but que de faire ressortir le mérite de l'auteur. Si nous en exceptons deux ou trois où il compare une version catholique de la Bible avec l'ancienne traduction dont Abbadie se servait et dont le style a quelquefois vieilli, et deux ou trois autres, où il cherche à éclaircir le sens, ou bien où il met les lecteurs catholiques en garde contre la tendance trop protestante, à ses yeux, de quelques passages, elles ne contiennent toutes que des éloges. C'est ainsi qu'il dit dans une note du second volume : « Qu'il y 'a « peu de livres où la discussion soit aussi pressée et aussi approfondie, où l'on tourne, retourne une démonstration, et «< où on la pousse comme le fait Abbadie. » Ailleurs il s'écrie, avec une égale admiration : « Il y a plus de suc et de substance « dans les quatorze à quinze pages de ce chapitre que dans des <«< in-folio tout entiers. » Dans une courte notice sur Abbadie, placée en tête du premier volume, il ne craint pas de dire que « c'est un des écrivains qui a rendu le plus de services à la religion. »

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Nous n'ajouterons rien à ces éloges, empruntés à des hommes de caractères et d'esprits bien différens; mais il nous semble que l'aveu échappé au sceptique Bussy-Rabutin, dans l'épanchement d'une correspondance familière, est de toutes ces recommandations celle qui a le plus de poids. Ce n'est pas seulement un critique qui juge; c'est un incrédule qui regarde l'auteur du Traité de la Vérité de la Religion chrétienne comme sa partie adverse, et qui cependant est contraint, par la force des preuves qu'Abbadie fait valoir, à se reconnaître vaincu. Il n'acquiert, il est vrai, que la conviction de l'esprit, et non celle du cœur ; il ne change ni de mœurs ni de vie, et demeure

éloigné de Dieu, parce qu'il n'applique que ses facultés intellectuelles et non ses facultés morales à l'appréciation de la religion; mais si nous n'avons pas la joie de le compter parmi les hommes dont la conversion témoigne de l'efficace de la foi, nous pouvons du moins le ranger au nombre de ceux dont l'esprit a été forcé d'admettre le christianisme comme système, et qui ont dû reconnaître que sa vérité leur était démontrée par des preuves irrésistibles. Abbadie produit de tels effets parce qu'il est à la fois philosophe et théologien, et qu'il attaque ses adversaires avec les mêmes armes dont ils ont coutume de se servir. Dans ce temps-ci, où l'on est si souvent appelé à rendre raison de sa foi, l'étude de cet ouvrage peut donc être très utile. Nous le recommandons particulièrement aux jeunes gens qui se préparent pour le saint ministère dans nos facultés de théologie. Puisque tant de gens semblent croire que le christianisme est un objet de raisonnement plutôt qu'un objet de foi, il est bon de montrer comment un raisonnement solide arrive aux mêmes conclusions que la foi humble avait acceptées, et de prouver que les systèmes opposés à l'Évangile sont toujours produits par un faux jugement ou par le manque de connaissances suffisantes, quand ils ne le sont pas par l'endurcissement et les passions du cœur.

Nous ne nous proposons pas de présenter ici une analyse de l'ouvrage d'Abbadie, qui se compose proprement de trois ouvrages distincts, publiés dans l'origine à plusieurs années d'intervalle les uns des autres, mais depuis lors presque toujours réimprimés ensemble, parce qu'ils forment en quelque sorte un tout; l'auteur établissant dans le premier (vol. 1 et 11 ) la religion chrétienne par ses propres caractères; prouvant dans le second (vol. 1) la divinité de notre Seigneur JésusChrist, vérité qu'il regarde comme le centre de toutes les autres; et recherchant dans le troisième (vol. iv) les sources de la morale, ce qui le conduit à examiner les motifs et les objets qui peuvent principalement déterminer l'homme dans ses actions, et les rapports qui existent entre la morale et la religion.

Le premier ouvrage ou le Traité de la Vérité de la Religion

chrétienne proprement dit, est divisé en deux parties; dans la première, Abbadie descend de cette proposition: Il y a un Dieu, jusqu'à celle-ci : Jésus, fils de Marie, est le Messie promis; et, dans la seconde, il monte de celle: Il y a aujourd'hui des chrétiens dans le monde, jusqu'à celle-ci : Il y a un Dieu; s'attachant en même temps à prouver la divinité du christianisme par le témoignage des martyrs, par la vérité des saintes Ecritures, par la considération de quelques faits éclatans et de quelques passages des livres saints, enfin par une étude intime des caractères de la religion chrétienne. Dans la première partie, il fait surtout usage des preuves de connaissance, et dans la seconde, des preuves de sentiment; mais, dans toutes deux, afin que les incrédules n'aient aucun motif de se défier de lui, il commence par douter de tout, et ne reçoit les vérités qu'à mesure qu'elles deviennent évidentes. Nous avons surtout été frappés, dans la seconde partie, des huitième, neuvième et dixième tableaux de la quatrième section, dans lesquels il considère les mystères de la religion chrétienne, la convenance de ces mystères avec les lumieres de la raison, et les rapports du christianisme avec la religion judaïque. Il ne sera pas inutile de citer quelques passages des deux premiers :

«Il faut pour croire, non-seulement être persuadés des vérités. révélées, mais savoir ignorer ce qu'il a plu à Dieu de nous en cacher; être dans une disposition à dire : Je ne sais et je ne comprends pas, aussi bien que: Je crois. Il faut baisser la vue devant le côté obscur, comme il faut se réjouir en contemplant le côté lumineux. L'incrédulité nous fait rejeter des vérités qui devraient frapper nos yeux, et la curiosité déréglée de l'esprit nous empêche de respecter les saintes obscurités qui les environnent. De ce principe, on peut conclure qu'il n'y a rien de plus extravagant, ni de plus impie en même temps, que le dessein de quelques docteurs, illustres d'ailleurs par leur érudition et par leurs lumières, qui ont voulu faire comme une religion de plain-pied, et en ôter toutes les difficultés, coupant souvent des nœuds qu'ils ne pouvaient dénouer. C'est ignorer que les ténèbres de la religion suivent la nature des choses ou entrent dans le plan et dans le dessein de Dieu, comme les Apôtres nous le font comprendre, lorsqu'ils nous apprennent que le dessein

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