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souvent de celles qui ne pouvaient convenir aux parties': enfin on exprimait ce qui se serait mieux entendu sans en faire mention. L'esprit de défiance qui régnait alors, et qui était sans doute un reste des hostilités passées, faisait estimer ces cautelles; car on les appelait ainsi : et celui-là passait pour le plus habile, qui en mettait le plus, et qui faisait les actes les plus prolixes.

Ce même esprit apporta un grand changement dans l'instruction et dans le jugement des procès. Ils se décidaient auparavant avec peu de cérémonie par les seigneurs, et par ceux qui avaient le plus d'expérience des coutumes; mais depuis ce temps, on les embarrassa d'une infinité de procédures et de délais, en sorte que l'on ne pouvait plus le terminer sans le secours des clercs et des docteurs. De là sont venus les lieutenans des baillis et des sénéchaux, et les autres juges de robe longue.

L'étude du droit romain eut ses avantages aussi bien que ses inconvéniens : elle adoucit la dureté des coutumes, et établit des maximes certaines, sur lesquelles on pût raisonner d'un cas à l'autre. Depuis ce temps on a cessé d'alléguer, et même de lire les anciennes lois des barbares. Au temps que l'on commença d'étudier le droit romain, on les connaissait encore, puisque Otton de Frisingue dit que de son temps les plus nobles des Français suivaient la loi salique ; et l'auteur du second livre des fiefs, dit que les causes se jugeaient en Italie, ou par les lois romaines, ou par les lois des Lombards, ou par les coutumes du royaume, c'est-à-dire, à ce qu'on croit, de l'empire d'Allemagne. Depuis, ces lois anciennes ont disparu; et du. temps de Philippe de Valois, où l'on prétend que la loi salique fut de si grand usage pour la succession de la conronne, on n'alléguait point ses paroles comme d'une loi écrite, mais seulement sa force comme d'une coutume inviolable. On ne se servait point même du nom de loi salique, et le premier qui en ait parlé, que je sache, est Claude de Seissel, évêque de Marseille, sous Louis XII. Les coutumes reçurent done un changement notable, tant par nouveaux usages qui s'introduisirent dans les traités et

Otto Frising. lib. 4, chron, cap. 32.

les

dans les jugemens, que par les maximes nouvelles qui furent alors reçues ou éclaircies. Et c'est ce mélange du droit romain avec les coutumes, qui fait le droit français d'au- · jourd'hui.

§ XXII. Première rédaction des coutumes,

Il reste à voir en quelle forme ce droit est venu jusqués à nous, c'est-à-dire, comment on a rédigé les coutumes par écrit. La diversité des coutumes devint fort embarrassante, lorsque les provinces furent réunies sous l'obéissance du roi, et que les appellations au parlement devinrent fréquentes. Comme les juges d'appel ne pouvaient savoir toutes les coutumes particulières, qui n'étaient point écrites en formes authentiques, il fallait ou que les parties en convinssent, ou qu'elles en fissent preuves par témoins. Il arrivait de là que toutes les questions de droit se réduisaient en faits, sur lesquels il fallait faire des enquêtes par turbes, fort incommodes pour la dépense et pour la longueur. Encore ces enquêtes n'étaient pas un moyen sûr de savoir la véritable coutume, puisqu'elles dépendaient de la diligence ou du pouvoir des parties, de l'expérience et de la bonne foi des témoins. D'ailleurs, il se trouvait quelquefois preuve égale de deux coutumes directement opposées, dans un même lieu, sur un même sujet. L'on peut juger combien cette commodité de se faire un droit tel que l'on en avait besoin, faisait entretenir de faux témoins, et combien l'étude de la jurisprudence était ingrate, puisqu'après qu'un homme y avait appris le droit écrit, avec beaucoup de travail, ou que, par sa méditation, il avait tiré de bonnes conséquences sur des principes bien établis, il ne fallait, pour ruiner toutes ses autorités et toutes ses raisons, qu'alléguer une coutume contraire et souvent fausse. Enfin les coutumes étaient très incertaines en ellesmêmes, tant par l'injustice des baillis et des prévôts qui les méprisaient pour exécuter leurs volontés, que par la présomption de ceux qui s'attachaient plus à leurs opinions particulières, qu'à ce qu'ils avaient appris par la tradition de leurs anciens. C'est ainsi qu'en parlait Pierre de Fon

taines, dès le temps de St.-Louis, se plaignant que son pays était presque sans coutumes, et qu'à peine en pouvaiton trouver un exemple assuré par l'avis de trois ou quatre personnes.

Je crois que l'étude du droit romain y contribua; comme il était estimé universellement, sans être bien entendu, ni légitimement autorisé, chacun en suivait ce qu'il voulait, ou ce qu'il pouvait. D'ailleurs, les plus savans en lois n'étaient pas toujours les plus expérimentés dans les coutumes, qui ne s'apprennent que par l'usage des affaires, et toutefois leurs opinions étaient respectées et suivies dans les jugemens, et il y en a grand nombre qui ont passé en cou

tume.

L'écriture était le seul moyen de fixer les coutumes, et de les rendre certaines malgré leur diversité; aussi commença-t-on à les écrire sitôt que les désordres qui les avaient produites furent un peu calmés, et que le temps les eut un peu affermies, c'est-à-dire, sur la fin du onzième siècle et quoiqu'il nous reste peu de mémoire de rédactions si anciennes, je présume toutefois que ce qui paraît avoir été fait en un pays, s'est aussi fait ailleurs, et que le temps et les rédactions postérieures ont fait périr la plupart des plus anciennes. La première que je connaisse, est celle des usages de Barcelone, par l'autorité du comte Raimond Berenger le Vieux, en 1060. Les anciens fors de Béarn étaient pour le moins du même temps, puisqu'ils furent confirmés en 1088, par le vicomte Gaston IV. Vers le même temps, c'est-à-dire en 1080, ou environ, Guillaume-le-Bâtard ayant conquis l'Angleterre, fit assembler les plus nobles et les plus sages de chaque comté, et sur leur témoignage, fit rédiger les anciennes coutumes des Anglais-Saxons et des Danois qui étaient mêlés avec eux. Ce fut l'archevêque d'York et l'évêque de Londres, qui les écrivirent de leur propre main. Je mets au nombre de ces coutumes rédigées, les livres des fiefs des Lombards, composés vers l'an 1150 par deux consuls de Milan : ils portent le titre de coutumes, et ne sont en effet que des usages anciens recueillis par des juges expérimentés. On y peut

• Préf, du conseil de Pierre de Fontaines.

aussi rapporter le miroir du droit de Saxe1, ou Sachs Senspiegel, qui est le plus ancien original du droit d'Allemagne, bien que, suivant l'opinion des plus doctes 2, il n'ait été écrit que vers l'an 1220.

En France, on écrivit les coutumes vers le même temps, et ces premiers écrits furent principalement de trois sortes: les chartes particulières des villes, les coutumiers des provinces, et les traités des praticiens. Examinons-les en particulier.

Vers la fin du douzième siècle, et pendant tout le treizième, on écrivit les droits des coutumes de plusieurs villes dont les chartes ont été, comme je crois, les premiers originaux de nos coutumes. Je ne parlerai que de celles que j'ai vues, ou entières, ou énoncées dans les histoires; et ce peu suffira pour faire juger des autres 3.

La plus ancienne est la charte de la commune de Beauvais, donnée par le roi Louis-le-Jeune en 1144, qui contient l'expression de plusieurs coutumes, concernant la jurisdiction du maire et des pairs. Elle ne porte que confirmation de ces droits déjà accordés par Louis-le-Gros; mais on n'en rapporte point les lettres, et peut-être n'étaitce qu'une concession verbale. De même on prétend que Guillaume Talvas, comte de Ponthieu 4, accorda le droit de commune à Abbeville, vers l'an 1130, quoique la charte de Jean II, qui est rapportée, ne soit que de l'année 1184.

Je trouve aussi 5 qu'en 1173 Henri Ier, roi d'Angleterre, permit aux habitans de Bordeaux d'élire un maire. En 1187, Hugues, duc de Bourgogne, accorda aux habitans de Dijon le droit de commune semblable à celle de Soissons, qui par conséquent est plus ancienne, mais dont la charte n'est point datée. Celle de la comté de Beaune est de 1263; celle de Bar-sur-Seine, de 1234; celle de Semur, de 1276. Je pourrais en rapporter de plusieurs autres lieux moins con

'Speculum saxonicum.

a V. Herman. Conreg. hist. jur. german.

3 J'ai donné l'analyse de plusieurs de ces chartes dans mon introduction aux lois des communes, chap. 3, sect. I.

4 Hist. des comtes de Ponthieu.

5 Chronie. Burdeg.

Recueil de pièces servant à l'histoire de Bourgogne par M. Peyras.

sidérables. Je mets en ce rang l'établissement fait à Rouen en 1205'; entre les clercs et les barons de Normandie, qui contient plusieurs coutumes touchant la jurisdiction ecclésiastique, certifiées par les experts; la charte de Rouen, donnée par le roi Philippe-Auguste en 1207, qui est la confirmation des anciens droits et priviléges de cette ville, pour ce qui regarde la commune et le trafic enfin l'établissement de la commune de Rouen, de Falaise, et du Ponteau-de-Mer, qui est sans date, mais qui semble être plus ancienne, et règle la création et le pouvoir du maire et des échevins.

:

Outre ces titres particuliers à chaque ville, on commença aussi à écrire les coutumes des provinces entières; et c'est le second genre d'écrits que j'ai marqué. Telles sont les anciennes coutumes de Champagne, publiées par Pithou; celles de Bourgogne, qui se trouvent dans le recueil de du Peyrat; les coutumes notoires du Châtelet, publiées par Brodeau, qui sont la plupart des résultats d'enquêtes par turbes, faites depuis l'an 1300 jusqu'en 1387; l'ancienne coutume de Normandie, celle d'Anjou, les anciens usages d'Amiens, et plusieurs autres qui se trouvent encore en manuscrits. Mais les plus considérables sont les établissemens de Saint-Louis donnés par M. du Cange, qui contiennent les coutumes de Paris, d'Orléans et d'Anjou, telles qu'elles étaient alors; le nom d'établissement signifie édit ou ordonnance. Pierre de Fontaines, qui vivait du même temps, le fait voir, puisque, traduisant une loi du Digeste, il appelle l'édit du préteur, ban et établissement. Je les mets toutefois au rang des coutumes, parce que la préface porte expressément qu'ils sont faits pour confirmer les bons usages et les anciennes coutumes, avec quelques corrections tirées des lois et des canons. Saint-Louis les fit en l'année 1270, avant son voyage d'Afrique.

La troisième espèce d'écrits qui contiennent les mêmes choses, et peuvent passer pour les originaux de nos coutumes, sont les ouvrages que quelques particuliers habiles composèrent en ce même temps pour l'instruction des

Hist. Norman. de Duchesne, à la fin.

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