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SUR L'ENSEIGNEMENT ET L'ÉTUDE DU DROIT,

SUIVIES

DE QUELQUES RÈGLES SUR LA MANIÈRE DE SOUTENIR
THESE DANS LES ACTES PUBLICS.

CHAPITRE PREMIER.,

Des qualités de l'enseignement en général.

1. L'enseignement est l'art d'indiquer la voie la plus courte et la plus sûre pour acquérir une science solide; et comme le savoir consiste à connaître la cause et la raison des choses, et à faire couler comme de source des conséquences justes de principes vrais, je crois qu'un professeur n'atteindra jamais son but, s'il ne rend pas raison de ses préceptes à ses disciples, et s'il ne leur fait pas fortement sentir la liaison de chaque vérité avec le principe dont elle émane.

Aussi j'ai toujours blamé ce mot, le maître l'a dit, TOOT px, que les Pythagoriciens opposaient comme la tête de Méduse à leurs adversaires, lorsque ceux-ci leur proposaient des argumens trop pressans. Je n'approuve pas davantage la méthode de Pythagore lui-même, qui ne révélait qu'à un petit nombre d'élèves choisis les raisons de ses préceptes, et débitait au commun de ses auditeurs des règles arides qu'il leur donnait par forme d'oracles, sans les appuyer d'aucune démonstration. Quels qu'aient

été ses motifs, je n'en juge pas moins très utile de remonter

aux causes.

Felix qui potnit rerum cognoscere causas!

Selon moi, le devoir principal du professeur consiste, 1o non seulement à donner des principes lumineux à ses élèves, mais encore à leur donner la raison de ces préceptes, et à leur montrer la liaison qu'ils ont entre eux; 20 à les convaincre de la vérité de ces préceptes, de manière à ne laisser dans leur esprit aucun doute sur leur certitude.

SECTION PREMIÈRE.

De la clarté dans l'exposition des préceptes.

2. Le professeur qui veut enseigner d'une manière nette et lucide doit 1o définir exactement les matières qu'il veut traiter; 2o les diviser de la manière la plus naturelle; 3o expliquer avec soin les mots techniques; 4o éclaircir les préceptes généraux par des exemples peu nombreux mais qui saisissent par leur justesse, plaisent par leur élégance, et surtout frappent par leur clarté ; 5o s'assurer par des examens que ses élèves l'ont bien saisi; 6o éviter l'abus des citations; 7° bannir des leçons ces digressions ou trop subtiles ou purement scientifiques, qui peuvent être de quelque utilité entre docteurs, mais qui n'instruisent que peu les commençans; 8° se garantir surtout de ces trivialités burlesques qui excitent le rire des élèves aux dépens du respect qu'ils doivent à la chaire.

SECTION II.

De la liaison des préceptes.

3. Pour faire sentir cette liaison avec plus de facilité, il faut d'abord que le professeur fasse choix d'un livre élémentaire dans lequel toutes les matières soient clas

On trouve toutes les règles de la clarté dans ce passage de la loi des Wisigoths, liv, I, titre 1, chap. 6 : Erit concionans eloquio clarus, sententia non dubius, evidentiâ plenus: ut quidquid ex (doctrinali)

sées avec ordre, et les principes réduits à leur plus simple expression.

Le professeur doit ensuite, dans le cours de ses lecons, rappeler à ses élèves à quelle partie de la science se rattache chaque matière; les ramener sans cesse à la définition qu'il leur en a donnée; en un mot, leur inculquer comment chacune des vérités qu'il leur enseigne se lie avec le principe général; comment le principe général sort de la définition, et comment la définition elle-même rentre dans l'ensemble du système qu'il est chargé d'exposer.

Il doit surtout éviter de donner des règles contradictoires. Ce malheur arrive communément à ceux qui, dans la préparation de leurs leçons, puisent sans discernement dans toutes les sources, sans s'inquiéter ensuite si les idées des divers auteurs qu'ils ont mis à contribution, sont cohérentes entre elles ou ne le sont pas.

SECTION III.

De la démonstration des principes.

4. Personne n'a droit d'exiger qu'on l'en croie sur parole; et tout homme qui écoute peut raisonnablement exiger de celui qui parle la preuve de ce que ce dernier avance. Le professeur ne doit donc pas négliger d'appuyer sa doctrine par des preuves et des raisonnemens solides: il doit toujours apporter la démonstration de ce qu'il dit.

Cependant il est des points controversés qu'on ne peut pas décider avec la même assurance que ceux sur lesquels tout le monde est. d'accord. Alors le professeur doit se borner à déduire les motifs de l'opinion qu'il embrasse comme plus probable.

5. Mais doit-il, en pareil cas, discuter les sentimens opposés de ceux qui ont agité ces sortes de points? Je distinguerais à cet égard entre les commençans et les élèves déjà forts; car ce serait une absurdité, en matière d'en

fonte prodierit, in rivulis audientium sine retardatione recurrat; totumque qui audierit, ita cognoscat, ut nulla hunc difficultas dubium reddat.

seignement, que de proposer à ceux-là des difficultés aussi compliquées qu'à ceux-ci; comme c'en serait une, au physique, de donner à un enfant de six mois autant de nourriture qu'à un enfant de quinze ans.

Je pense donc qu'on doit, en général, s'abstenir de controverse devant les commençans. Mais devant des élèves plus avancés, on peut, sans risque, débattre tous les argumens pour et contre. Ces élèves en retireront même un grand fruit, si le professeur expose d'abord clairement et franchement les avis opposés; s'il les résume ensuite, les réduit à leur juste valeur, réfute ceux qui ne lui paraissent pas fondés, et propose une bonne solution.

SECTION IV.

Du style des leçons.

6. Les leçons ne sauraient être préparées avec trop de soin. Cujas, le plus grand des maîtres, préparait les siennes pendant huit heures. Mais les leçons ainsi préparées ne doivent pas être lues. A la vérité, ni une science, ni un art, ne peuvent être improvisés; mais la parole pour en rendre compte peut l'être.

La parole va et vient, pour ainsi dire, dans un sujet; elle se coupe au milieu d'une phrase, pour faire à cette phrase un commencement qui vaudra mieux, et qui rendra plus fortement l'idée à développer. Après avoir essayé une expression, elle en essaie une autre; elle ne peut pas effacer ce qu'elle vient de dire, mais elle le corrige en disant la même chose d'une autre manière. Tout cela, j'en conviens, ne peut pas faire des discours bien limés, mais cela est absolument nécessaire pour faire de bonnes démonstrations et de bons cours.

D'autres considérations encore se réunissent en faveur de ce mode d'enseignement.

La première condition pour enseigner quelque chose à un grand nombre d'hommes rassemblés, c'est de se rendre maître de leur attention et de la fixer; mais si l'attention du professeur lui-même est fixée avec ses yeux sur le papier qu'il lit, il ne jugera point, ou il jugera mal de celle

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