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fortune, l'état, la vie, l'honneur de chaque citoyen, qu'il faudra bien qu'on s'en occupe avec tout le soin qu'ils exigent.

« On ne peut pas se dissimuler qu'une grande partie de notre législation est incohérente, ou défectueuse, ou incomplète, et mêlée, entre autres, de plusieurs législations qui

se contredisent.

« Ce mélange si extraordinaire ne peut pas naturellement subsister.

« Il est nécessaire qu'il disparaisse, et que la législation soit réformée.

« Ce sera, à la vérité, un travail pénible, qui exigera du temps, qui demandera même une main courageuse pour l'entreprendre, qui demandera aussi de la sagesse pour l'exécuter, et qui ne pourra guère avoir lieu' qu'à une époque où notre situation politique sera entièrement affermie. Mais aussi ce beau travail, messieurs, s'il vient à être achevé, répandra encore un nouvel éclat sur le règne du monarque. »

Simplification de certaines lois.

73. Il ne suffirait pas d'agir sur la législation par une espèce de travail purement matériel, qui consisterait à la débarrasser des dispositions absurdes, inutiles ou abrogées, et à y établir un peu d'ensemble et d'unité.

Il y aussi des lois (et je ne parle ici que dans l'ordre civil) qui exigeraient l'attention spéciale du législateur. J'en veux seulement indiquer quelques-unes.

1o Les lois sur les faillites. Cette partie du code de commerce a été portée, en apparence, dans l'intérêt des créanciers; mais, par le fait, l'exécution en est ruineuse pour eux 1. Il en résulte que les faillites pourraient actuellement se définir, un moyen de libération à titre universel.

2o Les lois sur les expropriations forcées. Ces lois ren

En ce moment (août 1834) on prépare un projet de loi qui sera soumis aux Chambres dans la prochaine session.

dent le paiement des créanciers long, coûteux, difficile, incertain; elles privent les propriétaires de la facilité de trouver à emprunter sur hypothèque, et deviennent ainsi l'une des principales causes qui entretiennent l'usure, et empêchent la baisse de l'intérêt de l'argent. J'ai indiqué le moyen de simplifier les formes de l'expropriation, sans rien ôter au droit du fisc, ni rien retrancher aux vocations des officiers ministériels; dans l'introduction placée en tête de mon recueil des lois de procédure, page xxxi et suivantes.

30 J'ai aussi exprimé, au même endroit, page XLVI et suivantes, le désir de voir simplifier, dans l'intérêt des mineurs peu fortunés, quelques-unes des solennités, selon moi un peu trop coûteuses, que le code de procédure a prescrites pour la conservation des biens des mineurs en général.

Ancien droit de remontrances.

74. Dans l'ancien régime, «les parlemens et les cours souveraines avaient le dépôt des lois, étaient chargés d'examiner et vérifier celles qu'il plaisait au roi de leur adresser, de faire des remontrances que l'intérêt de l'état ou l'utilité des citoyens pouvaient rendre nécessaires, et de porter même leur zèle et leur fidélité jusqu'au refus d'enregistrer, dans les occasions où ils ne pouvaient se prêter à l'exécution de la nouvelle loi, sans trahir le devoir et la conscience.» (Maximes du droit public français, t. 11, p. 1.)

Ce droit d'examen et de remontrances n'existe plus; les tribunaux n'ont aucune participation au pouvoir législatif. (Chart. const., art. 15.) Leur unique devoir est de faire lire, publier et enregistrer les lois, purement et simplement, sans retard ni modification, de s'y conformer ponctuellement, et d'en procurer la stricte et prompte exécu

tion.

Il serait néanmoins très utile que chaque année les cours rédigeassent les observations qu'elles auraient eu occasion de faire sur les vices et les inconvéniens nés de l'application de telle ou telle loi. Ces observations seraient adressées au ministre de la justice, qui les mettrait sous les yeux du roi et des deux chambres, afin que l'on pût, avec une

entière connaissance de cause, proposer, dans la forme constitutionnelle, les changemens qui seraient reconnus nécessaires. Sans cela, on ne découvrira que difficilement les abus qui se glisseront dans l'administration de la justice; car tout le monde, je pense, est d'accord en ceci, que celui qui applique journellement les lois est plus à portée que le législateur d'en connaître le fort et le faible, et d'indiquer le moyen de corriger ce qui est défectueux. Il faut donc que l'un soit averti par l'autre.

La cour de cassation était autorisée « à envoyer chaque année au gouvernement une députation pour lui indiquer les points sur lesquels l'expérience lui aurait fait connaître les vices ou l'insuffisance de la législation.» (Loi du 27 ventose an viii, art. 86.) Cette forme paraît être tombée en désuétude. Tant pis 1.

§ VIII.

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Observations générales.

75. Aux observations particulières qui précèdent, j'ajouterai quelques observations générales quirévèlent le secret de la grande popularité qu'avaient acquise les parlemens.

2

Ire Observation. Les cours ne doivent jamais se montrer fiscales. La cause du fisc n'est mauvaise, dit-on, que sous un bon prince : elle ne doit donc pas être favorable sous un prince constitutionnel. Cela ne veut pas dire qu'il faut toujours juger contre le trésor public. Là aussi est un intérêt général et puissant; mais cela signifie que le fisc ne doit gagner qu'à bon escient, et que, dans le doute, on doit plutôt décider contre lui que d'aggraver l'impôt par une interprétation onéreuse.

II. Observation. Quand le roi plaide, il faut qu'il ait deux fois raison pour gagner son procès, sinon il doit le perdre. La cour royale de Paris a donné un bel exemple de l'application de cette règle dans l'affaire du chevalier Desgraviers.....

2

'Je n'ai jamais pu décider la cour de cassation à se ressaisir de ce droit, dont j'ai parlé dans ma mercuriale de rentrée, du 3 novemb, 1830. Magna principis gloria est, si sæpè vincatur fiscus, cujus mala causa nunquam est, nisi sub bono principe. PLIN. AD TRAJ. Fiscus post omnes. Voyez Max. du dr. pub. fr., tome 11, p. 330.

IIIe Observation. Une courageuse indépendance est la première vertu du magistrat. Il doit, au criminel, juger chacun selon ses mérites et ses démérites, SANS NUL ÉPARGNER, et sans nul vexer: au civil, ne point avoir égard aux sollicitations des gens puissans, et faire loyale justice, tant aux grands comme aux petits.

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Il est besoin de relever les ames ; elles ont pris, comme les corps, une courbure 2 qui a détruit leur élasticité; il est digne du roi de la leur rendre : « Il importe à sa gloire que nous soyons des hommes libres, et non pas des esclaves; la grandeur de son état et la dignité de sa couronne se mesurent par la qualité de ceux qui lui obéissent. 3 »

S'adressant aux juges, il leur dira comme l'un de ses prédécesseurs : « Que chacun de vous veille avec altention, à l'avenir, à ce que personne ne se porte, par des motifs particuliers de cupidité, de liaison du sang ou de l'amitié, à nous suggérer choses irrégulières, et ne nous engage, par importunité ou autrement, à rien faire qui blesse la justice, la raison, la dignité de notre nom, et l'équité de notre gouvernement. Si cependant, par le malheur attaché à l'humanité, il arrivait que nous fussigns surpris, votre zèle et votre fidélité prendront soin de nous en avertir, afin que telle méprise soit corrigée, conformément à la raison, et avec cette justice el cette bonne foi qui conviennent à la majesté royale et au bien de nos sujets 4. »

Ou encore il leur rappellera ces paroles de Charles V (dit le Sage, devenu roi): « Nous sommes assez recors que aucunes fois nous avons mandé par importunité de requédé surseoir à prononcer les arrêts jusqu'à certain

rans,

Libertate opus est; non hác, etc.

2 O curvæ in terras animæ !

O homines ad servitutem paratos! TACIT.

PERS.

PERS., sat. 2.
Annales, III, 65.

3 xve Discours d'Omer Talon, dans le recueil de ses œuvres, publié par J.-B. Rives, tome 1.

4 Capitul. Karol.-Calv., t. 2, fol. 6. Adde, ordonnances de mars et de décembre 1344; du 19 mars 1359; du 15 août 1389; de 1433, art. 66 et 67; du 22 décembre 1499; du 18 mai 1529; du mois d'août 1539, art. 170 et 171; de mars 1545; de février 1566, art. 78 et 71; de mai 1579, articles 91, 92, 97, 98 et 200. Édits de janvier 1587, et mai 1616. Déclarations du 31 juillet 1648, art. 1; 22 octobre, même année, art 14 et 15. Lettres-patentes du 11 janvier 1657. Ordonnance d'août 1669, art. 4 et 38;

temps, sur aucune cause; et aussi par l'infestation des gens de notre hôtel et autres, nous avons voulu ouïr par-devant nous la plaidoirie d'aucune petite cause, dont il n'appartient point; et pour ce que nous avons naguères été et sommes acertené que par le délai desdits arrêts, le droit des parties a été et est appétitié contre raison, et semblablement pour ouïr telles mêmes causes notre dit parlement a été empêché: Nous vous mandons que DORÉNAVANT, pour quelconque lettre ou mandement que vous ayez de nous au contraire, vous ne sursoyez ou délayez à prononcer et donner lesdits arrêts; sur ce procédiez toutefois qu'il vous semblera bon à faire, SELON JUSTICE ET RAISON.» (Ord. du 22 juillet 1370.) — Il y a loin de là aux conflits!

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Stimulés de la sorte par le roi lui-même, les magistrals n'appréhenderont pas de lui déplaire en défendant leurs prérogatives, et en refusant d'avoir égard à toutes choses irrégulières qui lui seraient surprises et qui renfermeraient :

Ou des évocations au mépris de l'art. 62 de la Charte constitutionnelle;

res,

2

Ou création de commissions et tribunaux extraordinaicontrairement à l'art. 63 de la même Charte1. Les cours retrouveront alors des présidens qui, au besoin, sauront dire aux ministres l'équivalent de ce que le P. P. de Harlay disait au roi lui-même : Sire, devez recevoir de bonne part ce qui vous est remontré en toute humilité, car il nous est commandé de craindre Dieu et honorer notre roi. La crainte de Dieu est la première, et que nous devons préférer à toutes choses... C'est pourquoi, sire, quand vous nous faites commander quelque chose à

d'août 1737, art. 4, 22, 26, 60. Je cite cette série de lois, qui toutes consacrent le même principe, afin de mieux convaincre certains juges par trop obséquieux, qui, dès qu'il leur apparaît d'une ordonnance, d'un arrêt, ou méme d'une circulaire ministérielle, se croient dessaisis du droit de préférer la loi à des textes qui lui sont évidemment subordonnés.

L'art. 63 de la Charte de 1814 permettait le rétablissement des juridictions prévôtales, et malheureusement on en a usé. L'art. 54 de la Charte de 1830 prohibe, sans exception, tous les tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit.

2 Cérémonial français, tome 2, p. 597.

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