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vain, estant trop jeune pour en avoir beaucoup ouy, et d'ailleurs ne les osant alléguer sur le récit d'autruy, pour ce que le plus souvent il y a tant de particularités et tant de circonstances aux faits sur lesquels ils interviennent, qu'il est mal aisé, sur le simple récit d'iceux, d'y pouvoir reconnoître l'intention de la cour, et encore plus d'en tirer des maximes et décisions générales, modica quippè facti differentia magnam inducit juris diversitatem.» (LOYSEAU, · du déguerpissement, livre 2, chapitre 7, no 15.)

On trouve dans les Responses du droit françois de CHARONDAS (liv. 12, resp. 53) un discours sur un arrêt de la cour de parlement, et observation sur ce qu'il faut remarquer aux arrêts des cours souveraines pour les tirer à consequence. L'auteur rapporte l'espèce de cet arrêt, qu'il montre avoir été rendu dans des circonstances effectivement très particulières, et il fait les réflexions suivantes : « Certainement quelquefois les cours souveraines, en leurs arrêts, se fondent sur des particulières circonstances et singulières considérations qu'il ne faut toujours tirer en conséquence, comme si c'étoient arrêts généraux; encore que telles considérations particulières soient aidées de raisons justes et équitables. >> Ces réflexions sont aussi les nôtres, et deviendront probablement celles du lecteur.

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DIXIÈME RÉGLE. S'il n'existe pas entre les espèces de différence capable d'écarter toute application de l'arrét, on peut, pour en augmenter l'influence, relever toutes les circonstances capables d'ajouter du poids à sa décision.

Par exemple:

1o Le nom de l'avocat qui a plaidé la cause, quand c'est un homme d'une grande réputation pour son savoir ou pour son éloquence;

2o Le nom de l'avocat-général qui a porté la parole, si ce magistrat s'est acquis une haute renommée dans l'exercice de ses fonctions;

3o Le nom d'un président célèbre par sa droiture, sa science, son impartialité, la patience et l'attention soutenue qu'il donne aux affaires, le soin qu'il met à la rédaction de ses arrêts;

4o Si l'arrêt a été rendu consultis classibus, ce que nous

appelons en audience solennelle, et ce qu'on nommait autrefois arrêt en robes rouges : car ce qu'on a dit plaisamment, que la couleur n'y fait rien, n'empêche pas qu'un arrêt rendu par un plus grand nombre de magistrats, sur des plaidoiries plus soigneusement préparées, et quelquefois encore après un long délibéré, ne soit un arrêt préférable à une décision dépouillée de toutes ces solennités.

Remarquons néanmoins que les arrêts qui se prononcent aujourd'hui en robes rouges ne ressemblent pas à ceux qui, autrefois, se donnaient en cette forme. Aujourd'hui un arrêt de cette espèce, quoique rendu avec solennité, n'est toujours, et ne peut pas être autre chose qu'un arrêt particulier. (Code civil, art. 5.) Souvent il ne juge pas de question de droit; il n'apprécie que des faits de séparation, de dol ou de fraude, etc., et ne tire nullement à conséquence pour les autres affaires du même genre, où les faits n'ont plus la même gravité, ou bien en ont davantage. Autrefois, au contraire, «on faisoit choix des arrests qui se prononçoient en robes rouges solemnellement, comme estant des arrests que la cour choisissoit et recognoissoit devoir faire loy pour la résolution des questions jugées par

iceux. »

MONTHOLON, d'après lequel nous parlons, et qui a recueilli les arrêts prononcés en robes rouges au parlement de Paris, nous apprend pourquoi ces arrêts étaient si célébrement prononcés. «La cour ne veut pas (dit-il) que l'on abuse des arrests, et que l'on prenne tel arrest qui aura été donné sur une hypothèse et question particulière, sur quelques circonstances, ou sur ce qui étoit de faict entre les parties, pour des résolutions générales, et dont il se faille servir en toutes occurrences, encore qu'il semble qu'elles soient pareilles, parce que l'on ne sçait pas les particularités du procès, et que l'on s'y pourroit tromper. Elle faict choix des arrests qui ont vuidé et décidé les questions qui se pourroient rencontrer au faict desdits arrests, et pour cela l'on les appelle arrests généraux ; et souvent après la prononciation d'iceux, messieurs les présidens qui les prononcent nous advertissent de ce que nous devons apprendre de l'arrest qui a esté prononcé, et quelle maxime a esté

jugée, quelle question, quelle difficulté ; ce que nous sçavons tous avoir esté soigneusement observé par feu monsieur le premier président DE HARLAY, et à présent fort particulièrement par monsieur le premier président DE VERDUN, et entre autres de messieurs les autres présidens, par monsieur le président SéGuier. »

5o La célébrité d'une cour ajoute un poids infini à ses arrêts: car quoique toutes soient égales en pouvoir, quoique toutes aient des droits égaux à nos respects, cependant on ne peut empêcher que l'opinion n'attache plus de crédit à telle cour qu'à telle autre.— Qu'un magistrat, d'un nom révéré au Palais depuis plusieurs siècles, occupe le même siége que ses aïeux ont rempli avec tant de gloire; que, par son application et sa suffisance aux affaires, il ajoute à l'honneur et à l'éclat de sa naissance tout le poids de son mérite personnel; qu'à ses côtés soient des hommes également recommandables, les uns par une longue habitude de leurs fonctions, d'autres par une expérience prématurée, tous par leur amour pour la justice et le bien public; qu'une telle cour habite au centre du royaume', entourée des lumières que répand sans cesse autour d'elle un barreau nombreux, dont les membres, zélés pour la prospérité de leur état, « s'efforcent de conserver à leur ORDRE le rang et l'honneur que nos ancêtres lui ont acquis par leur mérite et leurs travaux : cette cour, disons-nous, n'a-t-elle pas tout ce qu'il faut pour concilier à ses arrêts la vénération et les hommages publics?

6o D'autres cours peuvent aussi, indépendamment du rang qu'elles occupent dans l'opinion générale, concilier à leurs arrêts un genre de crédit particulier, fondé sur ce que dans telle province, la nature du sol, les produits de Findustrie, le genre de commerce, les mœurs des habitans, donnent à croire que les mêmes questions, plus souvent présentées, y ont été mieux approfondies. Ainsi pour les matières de droit romain, les cours des ci-devant pays de droit écrit ; pour les affaires de commerce, certaines

1 Altamen, non tam spectandum quid Romæ factum est, quàm quid fieri debeat, L. 32, ff. de legibus.

villes telles que Lyon, Bordeaux, Rouen, semblent mériter quelque préférence.

Enfin, il est du devoir de l'écrivain qui recueille un arrêt, comme de l'habileté de l'avocat qui le cite, de rassembler et de faire ressortir toutes les circonstances propres à fixer l'opinion sur le plus ou moins de confiance que mérite cet arrêt, et sur les points caractéristiques de l'espèce qu'il a jugée, afin qu'on puisse aisément voir si cette espèce est conforme ou opposée à celle qu'on présente comme analogue.

ONZIEME RÈGLE. Quand il existe des arrêts contraires, il faut les concilier s'il se peut, ou montrer quels sont ceux qui ont le mieux jugé.

Nous avons déjà remarqué qu'il devait y avoir moins de contrariété aujourd'hui qu'autrefois dans la jurisprudence, et nous en avons assigné, pour causes principales, l'uniformité de loi qui avait remplacé la bigarrure de nos anciennes coutumes, et l'institution d'une cour suprême chargée de ramener toutes les autres à l'observation de la loi.

Mais cela n'empêche pas que, sur beaucoup de points, il n'existe des arrêts contraires, rendus par des cours différentes, ou encore par les diverses chambres d'une même

cour.

Si la contrariété est manifeste, «N'y a autre chose à dire, sinon que les hommes se reluctent souvent en jugemens et opinions, et qu'en une mesme cour, et sous mesme couvert, telle chose se voit.» (PAPON; Prologue de ses arrêts.)

Mais si la contrariété n'est qu'apparente, on la fait disparaître en relevant toutes les circonstances qui différencient les espèces, et qui peuvent expliquer la diversité des décisions.

Que si l'on en est absolument réduit à opter entre deux arrêts contraires, on n'a plus de ressource qu'en prouvant que l'un vaut mieux que l'autre. Si, par exemple, on cite un arrêt de la cour de.... et qu'il en existe un autre de la même cour qui ait jugé en sens inverse, l'avocat essaiera de démontrer que le dernier est préférable, parce que la

cour a reconnu elle-même la nécessité d'abandonner sa jurisprudence pour s'en faire une meilleure : car « le temps ameine souvent nouvelles raisons, ou bien descouvre la vraye intelligence des doubtes, et lors est nécessaire juger autrement, et au contraire de ce qui a été jugé. » (PAPON, ibidem.)

Souvent, en pareille occurrence, une cour a ordonné qu'elle verrait les arrêts, c'est-à-dire les registres, pour s'assurer qu'en jugeant elle ne se mettrait pas en opposition avec sa propre jurisprudence. (Voy. BRILLON, verbo caution, no 300; et communauté, no 8.)

Quelquefois, en citant un arrêt, on relève avec empressement qu'il a été rendu sur la plaidoirie même de l'avocat à qui on l'oppose, et qui par là se trouve dans une position difficile. Il doit alors se servir de la connaissance plus particulière qu'il a des circonstances de cet arrêt, pour en fixer le vrai sens et en détourner l'application. C'est ainsi que s'en tira COCHIN, dans la cause du duc de WirtembergMontbelliard (tome 5 de ses œuvres, p. 493, à l'endroit indiqué en marge par ce singulier sommaire: Façon de se servir d'un arrêt rendu contre son propre sentiment.)

CONCLUSION.

De tout ce que nous venons de dire sur les arrêts, on peut conclure que l'étude des arrêtistes est non seulement utile, mais nécessaire à l'avocat ; qu'il doit cependant se défier de tout ce qui ne peut être appuyé que par leur autorité; que la jurisprudence constante des arrêts a force de loi; mais qu'elle ne se forme que par une longue suite d'arrêts, qui, dans tous les temps, ont décidé un point de droit de la même manière, malgré la diversité des circonstances qu'il est très avantageux de pouvoir s'appuyer sur des arrêts rendus en pareil cas; mais qu'ils ne forment que des préjugés, et non des moyens; que les préjugés confirment toujours les principes, les expliquent quelquefois, et ne les détruisent jamais, en sorte que, quand on est fondé à réclamer les vraies maximes, il n'est ni téméraire ni indécent de remettre en question ce qui paraît avoir été le plus formellement décidé entre d'autres parties.

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