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quelles étaient les mœurs des Germains. La guerre et la chasse faisaient leur occupation : ils n'avaient ni habitations fixes, ni d'autres biens que des bestiaux ; ainsi leurs différends ordinaires n'étaient que pour des querelles ou pour des larcins, et on les décidait dans des assemblées publiques, ou sur les dépositions des témoins produits sur-le-champ, ou par le duel, ou par les épreuves de l'eau et du feu. Les Romains, quoique soumis à ces barbares par la force des armes, ne les imitaient en rien, et en avaient horreur au commencement: c'était, comme à notre égard, des Cosaques et des Tartares. D'ailleurs les barbares ne faisaient pas leurs conquêtes pour acquérir de la gloire, mais pour butiner, et pour subsister plus commodément que chez eux se contentant d'être les maîtres, ils laissaient vivre les Romains comme auparavant. Au contraire, ils imitaient les mœurs romaines, que leurs pères admiraient depuis long-temps. Ainsi nos premiers rois gardèrent les noms des officiers romains, et appelèrent comme eux les gouverneurs de leurs provinces, ducs, comtes, vicaires; et ceux qui servaient auprès de leurs personnes, chanceliers, référendaires, cubiculaires, domestiques, et en général palatins. Eux-mêmes tenaient à honneur les dignités de consuls, et de patrices, et les noms de glorieux et d'illustres, qui n'étaient chez les Romains que des titres dont on honorait certains magistrats; encore n'étaient-ce pas les plus magnifiques. Leur monnaie consistait en mêmes espèces que la romaine, c'est-à-dire, des sous d'or et des deniers d'argent, et les rois y étaient représentés à peu près comme les empereurs. Enfin l'esprit et la politesse des peuples vaincus les rendaient maîtres de leurs vainqueurs en tout ce qui demandait quelque connaissance des lettres et des arts.

Cette dépendance augmenta par la conversion des barbares à la foi chrétienne. Ils révérèrent comme des personnes sacrées les évêques et les prêtres, qu'ils admiraient déjà comme des savans; et les Romains commencèrent à ne les plus trouver si barbares, et à leur obéir plus volontiers. C'étaient néanmoins encore deux peuples différens de langue, d'habits, de coutumes; et leur distinction semble avoir duré en France pendant les deux premières races

de nos rois : elle se conserva particulièrement dans les lois; et comme on était obligé de rendre justice à chacun selon la loi sous laquelle il était né et qu'il avait choisie (car ce choix était permis), on jugea à propos de rédiger par écrit les lois, ou, pour mieux dire, les coutumes des barbares..

Nous les avons encore sous le titre de code des lois antiques, recueillies en un seul volume, qui comprend les lois des Visigoths, un édit de Théodoric, roi d'Italie, les lois des Bourguignons, la loi salique et celle des Ripuariens, qui sont proprement les lois des Francs ; la loi des Allemands, c'est-à-dire des peuples d'Alsace et du haut Palatinat; les lois des Bavarois, des Saxons, des Angles et des Frisons, la loi des Lombards, beaucoup plus considérable que les précédentes, les capitulaires de Charlemagne, et les constitutions des rois de Naples et de Sicile. Sans examiner chacune de ces lois en particulier, je parlerai seulement de celles qui ont le plus de rapport à la France, après avoir observé qu'ils n'y en a aucune dont on ne puisse tirer de grandes lumières pour l'histoire ou pour la jurisprudence, et que celles qui ont été faites pour les peuples les plus éloignés de nous, ne laissent pas de nous pouvoir être utiles, plusieurs ayant été rédigées de l'autorité des princes français; joint que tous ces peuples du Nord venant de même origine, et ayant ensemble un commerce continuel, gardaient une grande conformité dans leurs mœurs. Je parlerai de ces lois suivant le temps où elles ont été écrites, qui a suivi à proportion l'ordre des conquêtes, et de l'établissement des nations.

SVI. Lois des Visigoths.

Les plus anciennes sont les lois des Visigoths, qui occupaient l'Espagne, et dans les Gaules une grande partie de l'Aquitaine. Comme ce royaume fut le premier qui s'établit, aussi ces lois paraissaient avoir été écrites les premières. Elles furent premièrement rédigées sous Evarix, qui commença à régner en 466; et comme elles n'étaient que pour les Goths, son fils Alaric fit faire pour les Ro

mains un abrégé du code Théodosien, par Anien, son chancelier, qui le publia en la ville d'Aire en Gascogne. Anien y ajouta quelques interprétations, comme une espèce de glose; du moins il souscrivit pour leur donner autorité, car on n'est pas assuré qu'il les ait composées lui-même : ce qui est certain, c'est que cet abrégé fut autorisé du consentement des évêques et des nobles en 506, et que l'on Ꭹ avait voulu comprendre tout le droit romain qui était alors en usage, que l'on tirait, comme il a été remarqué, tant des trois codes, que des livres des jurisconsultes.

On fit dans la suite un autre extrait de ce code, qui ne contenait que les interprétations d'Anien, et qu'ils appelaient Scintilla.

La loi gothique ayant été augmentée par les rois suivans, à la fin, quand on crut y avoir assez ajouté pour y trouver la décision de toutes sortes de différends, l'on en fit un corps divisé en XII livres, pour imiter, disent quelques-uns, le code Justinien, quoiqu'il n'y ait aucun rapport dans l'ordre des matières. On ordonna que ce recueil serait l'unique loi de tous ceux qui étaient sujets des rois goths, de quelque nation qu'ils fussent et par ce moyen on abolit en Espagne la loi romaine, ou plutôt on la mêla avec la gothique; car on en tira la plus grande partie de ce qui fut ajouté aux anciennes lois. Ce recueil s'appelait le livre de la loi gothique; et le roi Egica, qui régna jusqu'en 701, c'est-à-dire, douze ans avant l'entrée des Maures en Espagne, le fit confirmer par les évêques au 16o concile de Tolède, l'an 693. On y voit les noms de plusieurs rois : mais tous sont depuis Récarède, qui fut le premier entre les rois goths catholiques. Les lois précédentes sont intitulées antiques, sans qu'on y ait mis aucun nom des rois; non pas même celui d'Evarix; et peut-être a-t-on supprimé ce nom en haine de l'arianisme. Ces lois antiques, prises séparément, ont grand rapport avec celles des autres barbares ainsi elles comprennent toutes les coutumes des Goths que le roi Evarix avait fait écrire. Mais, à prendre la loi gothique entière, c'est sans doute la plus belle comme la plus ample de toutes celles des barbares, et l'on y trouve l'ordre judiciaire qui s'ob

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servait du temps de Justinien, bien mieux que dans les livres de Justinien même. C'est le fond du droit d'Espagne, et elle s'est conservée en Languedoc, long-temps après que les Goths ont cessé d'y commander, comme il paraît par le second concile de Troyes, tenu par le pape Jean VIII en 878.

§ VII. Lois des Bourguignons.

La loi des Bourguignons fut réformée par Gondebaud, l'un de leurs derniers rois, qui la publia à Lyon le 29 de mars de la seconde année de son règne, c'est-à-dire, en 501. C'est du nom de ce roi que ces lois furent depuis nommées Gombettes, et toutefois il n'en était pas le premier auteur. 1 le reconnaît lui-même, et Grégoire de Tours le témoigne, lorsqu'il dit que Gondebaud donna aux Bourguignons des lois plus douces pour les empêcher de maltraiter les Romains. Il y a quelques additions qui vont jusqu'en l'an 520, ou environ, c'est-à-dire, dix ou douze ans avant la ruine du royaume des Bourguignons. Cette loi fait mention de la romaine, et l'on y voit clairement que le nom de barbare n'était point une injure, puisque les Bourguignons mêmes, pour qui elle est faite, y sont nommés barbares, pour les distinguer des Romains. Au reste, comme ce qui obéissait aux Bourguignons est environ le quart de notre France, on ne peut douter que cette loi ne soit entrée dans la composition du droit français.

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Quant à la loi salique qui fut la loi particulière des Francs, sa préface porte qu'elle avait été écrite avant qu'ils eussent passé le Rhin, et marque les lieux des assemblées avec les noms des quatre sages qui en furent les auteurs. Mais cette histoire est suspecte; et je crois qu'il est plus sûr de s'arrêter à l'édition que nous en avons, sans trop rechercher si c'est la première rédaction, ou une réformation. Elle fut faite de l'autorité des rois Childebert et Clotaire, enfans de Clovis ; et il est dit expressément

que l'on y abolit tout ce qui ressentait le paganisme dans les anciennes coutumes des Francs.

Nous avons deux exemplaires de cette loi, conformes dans le sens, est assez différens quant aux paroles. Le plus ancien, qui a été imprimé le premier, contient en la plupart de ses articles des mots barbares, qui signifient les lieux dans lesquels chaque décision avait été prononcée, ou la somme des amendes taxées pour chaque cas. C'est ainsi que l'explique Vandelin, official de Tournai, dans le traité particulier qu'il a fait de la loi salique. L'autre exemplaire est l'édition de Charlemagne, et c'est celui qui contient le code des lois antiques. A la fin de ce dernier, sont quelques additions sous le nom de décret des mêmes rois Childebert et Clotaire, qui sont les résultats des assemblées solennelles du premier jour de

mars.

La loi des Ripuaires n'est quasi qu'une répétition de la loi salique 1; aussi l'une et l'autre étaient pour les Francs; et l'on croit que la loi salique était pour ceux qui habitaient entre la Loire et la Meuse, et l'autre pour ceux qui habitaient entre la Meuse et le Rhin 2. Le roi Théodorie étant à Châlons-sur-Marne, avait fait rédiger la loi des Ripuariens avec celle des Allemands et des Bavarois, tous peuples de son obéissance. Il y avait fait plusieurs corrections, principalement de ce qui n'était pas conforme au christianisme. Childebert et ensuite Clotaire second l'avaient encore corrigée : enfin Dagobert les renouvela et les mit en leur perfection, par le travail de quatre personnes illustres : Claude, Chaude, Indomagne et Agilulfe; et c'est ainsi que nous les avons.

S IX. Des lois barbares en général.

Voilà quelles sont les lois barbares qui se rapportent proprement à notre France. Il est bon maintenant de donner une idée générale de leur matière et de leur style, pour connaître à quoi elles nous peuvent servir.

V. Cod. leg. autiq. 2 Præfat. leg. Ripuar.

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