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Le nom de lois ne doit pas nous imposer, et nous faire croire que celles-ci soient l'ouvrage d'une prudence consommée, comme celles d'Athènes ou de Lacédémone. Ce ne sont, à proprement parler, que des coutumes écrites, c'est-à-dire, un recueil de ce que ces peuples avaient accoutumé de suivre dans le jugement de leurs différends, composé par ceux qui en avaient le plus d'expérience. On le voit par l'ancien exemplaire de la loi salique, qui marque en langue barbare le nom des lieux où de pareils jugemens avaient été rendus, et quelquefois la qualité de l'action.

Ces lois ont néanmoins été rédigées par autorité publique, et approuvées non seulement par les rois, mais par les peuples, ou du moins par les principaux qui les acceptaient au nom de toute la nation. Ainsi la loi salique est intitulée le pacte ou le traité de loi salique ; et la loi des Bourguignons porte les souscriptions de trente comtes qui promettent de l'observer, eux et leurs descendans.

La principale matière de ces lois sont les crimes, et encore les plus fréquens entre des peuples brutaux, comme le vol, le meurtre, les injures, en un mot, tout ce qui se commet par violence. Ce qui regarde les successions et les contrats est traité succinctement. Dans les lois des peuples nouvellement domptés et convertis, comme des Allemands, des Saxons, des Bavarois, il y a des peines particulières contre les rebelles et contre les sacriléges; par où l'on peut juger que ni les officiers publics, ni les évêques et les autres clercs n'étaient pas en grande sûreté chez ces barbares.

On voit dans ces lois la forme des jugemens : ils se rendaient dans de grandes assemblées où toutes les personnes de distinction étaient contraintes de se trouver sous de certaines peines : comme il paraît par la loi des Bavarois 1. Pour les preuves, ils se servaient plus de témoins que de titres, et même dans les commencemens ils n'avaient aucun usage de l'écriture: faute de preuves, ils employaient le combat, ou faisaient des épreuves par les élé

'L. Bajoar. tit. 25.

mens. Le combat était un duel en champ clos, qui se faisait de l'ordonnance des juges, ou par les parties mêmes ou par leurs champions. Les épreuves se faisaient diversement par l'eau bouillante, où l'accusé devait mettre le bras jusques à certaine mesure; par l'eau froide, dans laquelle il était plongé pour voir s'il irait à fond; et quelquefois par le feu, où l'on faisait rougir un fer que l'accusé était tenu de porter avec la main nue le long d'un certain espace; ensuite de quoi on lui enveloppait la main, et on y mettait un sceau pour voir, après quelques jours, l'effet du feu.

Il y avait encore une autre sorte d'épreuve pour les gens accusés de vol on leur donnait un morceau de pain d'orge et de fromage de brebis ; et lorsqu'ils ne pouvaient avaler ce morceau, ils étaient réputés coupables 2.

Ces manières de juger, qui se sont conservées pendant plusieurs siècles, passaient pour si légitimes, qu'elles étaient appelées Jugement de Dieu. Aussi y employait-on des cérémonies ecclésiastiques, dont on voit encore les formes, avec les exorcismes de l'eau et du feu, et les prières des messes qui se disaient à cette intention. La simplicité de ces temps-là faisait croire que Dieu devait faire des miracles pour découvrir l'innocence; et les histoires rapportent plusieurs événemens qui confirmaient cette créance. Quoi qu'il en soit, ils n'avaient rien trouvé de plus commode que cette espèce de sort, pour se déterminer dans les affaires obscures, où leur prudence était à bout. C'est ce que les canons appellent purgation vulgaire, toujours condamnée par l'église romaine, nonobstant la force d'un usage presque universel; et on l'appelait vulgaire pour la distinguer de la purgation canonique qui ne se faisait que par serment.

Les qualités des peines que prononcent les lois sont remarquables. Pour la plupart des crimes, elles n'ordonnent que les amendes pécuniaires, ou, pour ceux qui n'avaient pas de quoi payer, des coups de fouet, et il n'y en a presque

'Sur les différentes sortes d'épreuves, voyez le supplément de Moréry de 1735, au mot épreuves.

romaines, parce que leurs lois particulières contenaient peu de matières. Aussi Agathias témoigne que les Francs suivaient les lois romaines dans les contrats et dans les mariages. Et Aimoin rapporte que du temps du roi Dagobert, les enfans de Sadregisile, duc d'Aquitaine, pour n'avoir pas vengé la mort de leur père, furent privés de sa succession, conformément aux lois romaines. Il est même à croire que ceux qui dressaient les actes publics, et qui écrivaient les lettres, étant tous clercs, ou moines, comme Marculphe, dont nous avons les formules, les faisaient, autant qu'ils pouvaient, conformes à leur loi et à leur style. La loi romaine était donc généralement observée en France sous les rois de la première race, et on y dérogeait seulement à l'égard des barbares, dans les cas où leurs lois ordonnaient nommément quelque chose qui n'y était pas

conforme.

Dans l'histoire de M. de Cordemoi, à la fin du règne de Dagobert, il y a un abrégé de ces lois mises dans un certain ordre, avec un tableau de l'état des Français sous les rois de la première race, de leur manière de rendre la justice, de leur gouvernement.

§ XI.

Droit français sous la seconde race.

Charlemagne ayant réuni sous son empire toutes les conquêtes des Francs, des Bourguignons, des Goths et des Lombards, laissa vivre chaque peuple selon ses lois, et les fit toutes renouveler par le soin qu'il prit de rétablir l'ordre en toutes choses: peut-être même lui avons-nous l'obligation des exemplaires de ces lois qui sont venus jusques à nous. En 788, il fit écrire le code Théodosien suivant l'édition d'Alaric, roi des Visigoths, dont il a été parlé ; et c'est de cette édition d'Alaric et de Charlemagne que nous avons tout le code Théodosien, ou plutôt l'abrégé de tout ce qu'il contenait; car nous n'en avons que la moitié, suivant l'édition de Théodose même, qui était beaucoup plus ample. En 798, Charlemagne fit écrire la loi salique et y ajouta plusieurs articles. En 803, Louis-le-Débonnaire y fit aussi quelques additions: ainsi on suivit sous la seconde race le même droit que sous la première ; on y ajouta

seulement les capitulaires, qui étaient des lois générales, et qui méritent d'être examinées.

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Les rois de la première race tenaient tous les ans, le premier jour de mars, une grande assemblée, où se traitaient toutes les affaires publiques, et où le prince et ses sujets se faisaient réciproquement des présens. On l'appelait Champ de Mars, nom déjà usité par les empereurs romains, pour marquer une assemblée militaire. Les Francs tenaient leur assemblée en plaine campagne, faute de bâtimens assez spacieux, ou plutôt parce que les Germains en avaient toujours usé ainsi dans leur pays, où ils n'avaient d'autres logemens que des cavernes, ou des cabanes dispersées. C'était apparemment cette manière de tenir les assemblées qui en avait déterminé le temps à la sortie de l'hiver, qui avait retenu chacun chez soi, et avant l'été qu'il fallait avoir tout entier pour exécuter les résolutions; car la guerre était le principal sujet de leurs délibérations. Ce Champ de Mars sous les rois fainéans devint une simple cérémonie, et Pepin en changea le jour au premier de mai. Depuis, le jour fut incertain, quoique l'assemblée se tînt régulièrement chaque année.

Elle était composée de toutes les personnes considérables de l'un et de l'autre état, ecclésiastique et laïque ?; c'est-à-dire, des évêques, des abbés et des comtes: je crois même que tous ceux qui étaient Francs avaient droit de s'y trouver. Le roi proposait les matières, et décidait après la délibération libre de l'assemblée. Le résultat de chaque assemblée était rédigé par écrit, et l'on obligeait chaque évêque et chaque comte u'en prendre copie par les mains du chancelier, pour les envoyer ensuite aux officiers de leur dépendance, afin qu'elles pussent venir à la connaissance de tous. Comme les propositions et les décisions étaient rédigées succinctement et par articles, on les appelait chapitres, et le recueil de plusieurs chapitres

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s'appelait capitulaire. On peut voir sur ce sujet la préface de M. Baluze.

Il semble que les capitulaires doivent être distingués selon leurs matières; ceux qui traitent des matières ecclésiastiques, qui sont en très grand nombre, sont de véritables canons, puisque ce sont des règles établies par des évêques légitimement assemblés; aussi la plupart de ces assemblées sont mises au rang des conciles. Les capitulaires qui traitent de matières séculières, mais générales, sont de véritables lois, et ceux qui ne regardent que de certaines personnes, ou de certaines occasions, ne doivent être considérés que comme des réglemens particuliers. Il nous reste un grand nombre de capitulaires des deux premières races depuis Childebert, fils de Clovis, jusques à Charles-le-Simple. La plupart sont de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire; et jusques ici nous n'avions ceux de ces deux empereurs que dans la compilation qui en fut faite par l'abbé Ansegise, et par le diacre Benoît : mais nous avons à présent les capitulaires entiers comme ils ont été dressés en chaque assemblée et selon l'ordre des temps. C'est ainsi que nous les a donnés M. Baluze, dans l'édition qu'il en a faite en 1677, avec une ample préface et des notes pleines d'une grande érudition. Il a mis en son ordre, c'est-à-dire, après les capitulaires de Louisle-Débonnaire, la compilation d'Ansegise et de Benoît 1. Elle est divisée en sept livres : les quatre premiers furent composés par l'abbé Ansegise en 827, afin, dit-il, de conserver les capitulaires plus aisément que dans des cahiers séparés. Il mit dans les deux premiers livres ceux de Charlemagne : dans le premier, les matières ecclésiastiques; dans le second, les matières séculières; dans les deux autres livres, les capitulaires de Louis-le-Débonnaire et de son fils Lothaire; savoir: dans le troisième, ceux des matières ecclésiastiques, et dans le quatrième, ceux des matières séculières. Les trois autres livres ont été compilés par Benoît, diacre de l'église de Mayence, vers l'an 845, et contiennent d'autres capitulaires des mêmes princes que l'abbé Arsegise avait omis, ou à des

Baluze, præf. n. 39, etc.

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