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SÉNAT CONSERVATEUR.

Séance du Lundi, 27 Décembre, 1815, présidée par S, A, S. le prince archi-chancelier de l'empire.

Au nom de la commission spéciale nommée dans la séance du 22 de ce mois, M. le sénateur comte de Fontanes, l'un de ses membres, obtient la parole, et fait à l'assemblée le rapport suis

vant :

"Monseigneur, Sénateurs,

"Le premier devoir du sénat envers le monarque et le peuple, est la vérité. Les circonstances extraordinaires où se trouve la patrie rendent ce devoir plus rigoureux encore.

L'empereur invite lui-même tous les grands corps de l'état à manifester leur libre opinion. Pensée vraiment royale! salutaire développement de ces institutions monarchiques où le pouvoir concentré dans les mains d'un seul se fortifie de la confiance de tous, et qui donnant au trône la garantie de l'opinion nationale, donne aux peuples, à leur tour, le sentiment de leur dignité, trop juste prix de leurs sacrifices!

"Des intentions aussi magnanimes ne doivent point être trompées,

"En conséquence, la commission nommée dans votre séance du 22 Décembre, et dont j'ai l'honneur d'être l'organe, a fait le plus sérieux examen des pièces officielles mises sous ses yeux, d'après les ordres de S. M. l'empereur, et communiquées par M. le duc de Vicence,

"Des négociations pour la paix ont commencé; vous devez en connaître la marche. Il ne faut point prévenir votre jugement. Un récit simple des faits, en éclairant votre opinion, doit préparer celle de la France.

"Quand le cabinet d'Autriche qnitta le rôle de médiateur, quand tout fit juger que, le congrès de Prague était prêt à se rompre, l'empereur voulut tenter un dernier effort pour la paci, fication du Continent.

"M. le duc de Bassano écrivit à M. le prince de Metternich.

"I proposa de neutraliser un point sur la frontière et d'y reprendre la négociation de Prague dans le cours même des hostilités.

"Malheureusement ces premières ouvertures ont été sans effet. "L'époque de cette démarche pacifique est importante. Elle est du 18 Août dernier. Le souvenir des journées de Lutzen et de Bautzen était récent. Ce vœu contre la prolongation de la guerre est donc, en quelque sorte, exprimé à la date de deux victoires.

"Les instances du cabinet français furent vaines, la paix s'é

loigna, les hostilités recommencèrent, les événemens prirent une autre face. Les soldats des princes allemands, naguères nos alliés, ne montrèrent plus d'une fois, eu combattant sous nos drapeaux, qu'une fidélité trop équivoque; ils cessèrent toutà-coup de feindre, et se réunirent à nos ennemis.

"Dès-lors les combinaisons d'une campagne ouverte si glorieusement ne purent avoir le succès attendu.

L'empereur connut qu'il était te:ns d'ordonner à ses Français d'évacuer l'Allemagne.

"Il revint avec eux combattant presque à chaque pas, et, sur l'étroit chemin où tant de défections éclatantes et de sourdes trahisons resserraient sa marche et ses mouvemens, des trophées encore ont signalé son retour.

"Nous le suivions avec quelque inquiétude au milieu de tant d'obstacles dont lui seul pouvait triompher. Nous l'avons vu avec joie revenir sur sa frontière, non avec son bonheur accoutumé, mais non pas sans héroïsme et sans gloire.

"Rentré dans sa capitale, il a détourné les yeux de ces champs de bataille où le monde l'admira quinze ans, il a détaché même sa pensée des grands desseins qu'il avait conçus....Je me sers de ses propres expressions; il s'est tourné vers son peuple, son cœur s'est ouvert, et nous y avons lu nos propres sentimens. "Il a desiré la paix, et dès que l'espérance d'une négociation a paru possible, il s'est empressé de la saisir.

"Les circonstances de la guerre ont conduit M. le baron de Saint-Aignan au quartier-général des puissances coalisées. Là, il a vu le ministre autrichien, M. le prince de Metternich, et le ministre russe, M. le comte de Nesselrode. Tous deux, au nom de leur cour, ont posé devant lui, dans un entretien confidentiel, les bases préliminaires d'une pacification générale. L'ambassadeur anglais, le lord Aberdeen, était présent à cette conférence. Remarquez bien ce dernier fait, Sénateurs, il est important.

"M. le baron de Saint-Aignan, chargé de transmettre à sa cour tout ce qu'il avait entendu, s'en est acquitté fidèlement.

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Quoique la France eût droit d'espérer d'autres propositions,. l'empereur a tout sacrifié au désir sincère de la paix.

"Il a fait écrire à M. le prince de Metternich, par M. le duc de Bassano, qu'il admettait pour base de la négociation le principe général contenu dans le rapport confidentiel de M. de SaintAignan.

"M. le prince de Metternich, en répondant à M. le duc de Bassano, a paru croire qu'il restait un peu de vague dans l'adhésion donnée par la France.

"Alors, pour lever toute difficulté, M. le duc de Vicence, après avoir pris les ordres de Sa Majesté, a fait connaître au cabinet d'Autriche qu'elle adhérait aux bases générales et sommaires communiquées par M. de Saint-Aignan. La lettre de M. le duc de Vicence est du 2 Décembre; elle a été reçue le

5 du même mois. M. le prince de Metternich n'a répondu que le 10. Ces dates doivent être soigneusement relevées; vous jugerez bientôt qu'elles ne sont pas sans quelque conséquence.

"On peut concevoir de justes espérances pour la paix en lisant la réponse de M. le prince de Metternich à la dépêche de M. le duc de Vicence; seulement, à la fin de sa lettre, il annonce qu'avant d'ouvrir la négociation, il faut en conférer avec les alliés. Ces alliés ne peuvent être que les Anglais. Or, leur ambassadeur assistait à l'entretien dont M. de Saint-Aignan avait été témoin. Nous ne voulons point exciter de défiance; nous

racontons.

"Nous avons marqué avec soin la date des dernières correspondances entre le cabinet français et le cabinet autrichien ; nous avons dit que la lettre de M. le duc de Vicence avait dû parvenir le 5 Décembre, et qu'on n'en avait accusé la réception que le 10..

"Dans l'intervalle, une gazette, aujourd'hui sous l'influence des puissances coalisées, a publié dans toute l'Europe une déclaration qu'on dit être revêtue de leur autorité. Il serait triste de le croire.

"Cette déclaration est d'un caractère inusité dans la diplo matie des rois. Ce n'est plus aux rois comme eux qu'ils développent leurs griefs et qu'ils envoient leurs manifestes; c'est aux peuples qu'ils les adressent: et par quels motifs adopte-t-on cette marche si nouvelle ? C'est pour séparer la cause des peuples et celle de leurs chefs, quoique partout l'intérêt social les ait confondues. Cet exemple ne peut-il pas être funeste? Faut-il le donner sur-tout à cette époque où les esprits, travaillés de toutes les maladies de l'orgueil, ont tant de peine à fléchir sous l'autorité qui les protège en réprimant leur audace? Et contre qui cette attaque indirecte est-elle dirigée? Contre un grand homme qui mérita la reconnaissance de tous les rois; car, en rétablissant le trône de la France, il a fermé le foyer de ce volcan qui les menaçait tous.

"Il ne faut pas dissimuler qu'à certains égards ce manifeste extraordinaire est d'un ton modéré. Cela prouverait que l'expérience des coalitions s'est perfectionnée.

"On s'est souvenu peut-être que le manifeste du duc de Brunswick avait irrité l'orgueil d'un grand peuple. Ceux même en effet qui ne partageaient point les opinions dominantes à cette époque, en lisant ce manifeste injurieux, se sentirent blessés dans l'honneur national.

"On a donc pris un autre langage. L'Europe, aujourd'hui fatiguée, a plus besoin de repos que de passions.

"Mais, s'il y a tant de modération dans les conseils ennemis, pourquoi, parlant toujours de paix, menacent-ils toujours des frontières qu'ils avaient promis de respecter quand nous n'aurions plus que le Rhin pour barrière ?

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"Si les etmemis sont si modérés, pourquoi ont-ils violé la capitulation de Dresde? pourquoi n'ont-ils pas fait droit aux nobles plaintes du général qui commandait cette place?

"S'ils sont si modérés, pourquoi n'ont-ils pas établi le cartel d'échange conformément à tous les usages de la guerre ?

"S'ils sont si modérés entin, pourquoi ces protecteurs des peuples n'ont-ils pas respecté ceux des cantons suisses? pourquoi ce gouvernement sage et libre, qui s'était déclaré neutre à la face de l'Europe, voit-il dans ce moment ses vallées et ses montagnes paisibles ravagées par tous les fléaux de la guerre ?

"La modération n'est quelquefois qu'une ruse de la diplomatie. Si nous voulions employer le même artifice en attestant aussi la justice et la bonne foi, qu'il nous serait aisé de confon dre nos accusateurs par leurs propres armes !

"Cette reine échappée de la Sicile, et qui d'exil en exil a porté son infortune chez les Ottomans, prouve-t-elle au monde que nos ennemis aient tant de respect pour la majesté royale?

"Le souverain de la Saxe s'est mis à la disposition des puissances coalisées. A-t-il trouvé les actions d'accord avec les paroles? Des bruits sinistres se répandent en Europe; puissentils ne pas se réaliser ? Voudrait on punir la foi des sermens sur ce front royal vieilli par l'âge et les douleurs, et couronnée de tant de vertus?

"Ce n'est point du haut de cette tribune qu'on outragera les gouvernemens qui se permettraient même de nous outrager; mais il est permis d'apprécier à leur juste valeur ces reproches si anciens et si connus, prodigués à toutes les puissances qui ont joué un grand rôle depuis Charles-Quint jusqu'à Louis XIV, et depuis Louis XIV jusqu'à l'empereur. Ce système d'envahissement, de prépondérance, de monarchie universelle fut toujours un cri de ralliement pour toutes les coalitions; et du sein même de ces coalitions étonnées de leur imprudence s'éleva souvent une puissance plus ambitieuse que celle dont on dénonçait l'ambition.

"Les abus de la force sont marqués en caractères de sang dans toutes les pages de l'histoire. Toutes les nations se sont égarées; tous les gouvernemens ont commis des excès, tous doivent se pardonner.

"Si, comme nous aimons à le croire, les puissances coalisées forment des vœux sincères pour la paix, rien ne s'oppose à son rétablissement.

"Nous avons démontré, par le dépouillement des pièces officielles, que l'empereur veut la paix et l'achetera même par des sacrifices où sa grande âme semble négliger sa gloire personnelle pour ne s'occuper que des besoins de la nation.

"Quand on jette les yeux sur cette coalition formée d'élémens qui se repoussent, quand on voit le mélange fortuit et bizarre de tant de peuples que la nature a faits rivaux ; quand on songe que plusieurs, par des alliances peu réfléchies, s'expo

sent à des dangers qui ne sont point une chimère, on ne peut croire qu'un pareil assemblage d'intérêts si divers ait une longue durée.

N'aperçois-je pas au milieu des rangs ennemis ce prince né avec tous les sentimens français dans le pays où ils ont peut-être le plus d'activité? Le guerrier qui défndit autrefois la France ne peut demeurer long-tems arme contre elle.

Rappelons-nous encore qu'un monarque du nord, et le plus puissant de tous, mettait naguères au nombre de ses titres de gloire l'amitié du grand homme qu'il combat aujourd'hui.

"Nos regards tombent avec confiance sur cet empereur que tant de nœuds joignent au nôtre; qui nous fit le plus beau don dans une souveraine chérie, et qui voit dans son petit-fils l'héritier de l'empire français.

"Avec tant de motifs pour s'entendre et se réunir, la paix estelle si difficile.

"Qu'on fixe tout-à-l'heure le lieu des conférences; que les plénipotentaires s'avancent de part et d'autre avec la noble volonté de pacifier le monde ; que la modération soit dans les conseils, ainsi que dans le langage. Les puissances étrangères ellesmêmes, l'ont dit dans cette déclaration qu'on leur attribue: Une grande nation ne doit pas déchoir pour avoir éprouvé à son tour des revers dans cette lutte pénible et sanglante, où elle a combattu avec son audace accoutumée.

"Sénateurs, nous n'aurions point rempli les devoirs que vous attendez de votre commission, si en montrant, avec une si parfaite évidence, les intentions pacifiques de l'empereur, nos dernières paroles ne rappelaient au peuple ce qu'il se doit à luimême, ce qu'il doit au monarque.

"Le moment est décisif. Les étrangers tiennent un langage pacifique; mais quelques-unes de nos froutières sont envahies, et la guerre est à nos portes. Trente-six millions d'hommes ne peuvent trahir leur gloire et leur destinée. Des peuples illustres, dans ce grand différent, ont essuyé de nombreux revers; plus d'une fois ils ont été mis hors de combat: leurs plaies sanglantes ruissèlent encore. La France a reçu aussi quelques atteintes; mais elle est loin d'être abattue; elle peut être fière de ses blessures comme de ses triomphes passés. Le découragement dans le malheur serait encore plus inexcusable que la jactance dans le succès. Ainsi donc en invoquant la paix, que les préparatifs militaires soient partout accélérés et soutiennent la négociation. Rallions-nous autour de ce diadême où l'éclat de cinquante victoires brille à travers un nuage passager. La fortune ne manque pas long-tems aux nations qui ne se manquent pas à elles-mêmes,

"Cette apppel à l'honneur national est dicté par l'amour même de la paix, de cette paix qu'on n'obtient point par la faiblesse, mais par la constance; de cette paix enfin que l'empereur, par un

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