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>> font toujours l'un à l'autre serait une troisième >> loi.

>> Outre le sentiment que les hommes ont d'a>> bord, ils parviennent encore à avoir des con>> naissances; ainsi ils ont un second lien que les >> animaux n'ont pas 1. Ils ont donc un nouveau >> motif de s'unir; et le désir de vivre en société » est une quatrième loi naturelle 2 ».

XI. J'admets avec Montesquieu et le jurisconsulte romain dont il est ici l'éloquent interprète certaines lois supérieures qui régissent

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notre nature, et si on veut appeler ces appétits, ces tendances, les lois de la nature, le droit naturel, dans ces limites j'y consens.

Mais qu'est-ce donc que ce droit qui régit les rapports sociaux? Quel est son principe? Je laisse parler le maître.

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« La loi, en général (c'est ainsi qu'il nomme

« Les bêtes, dit-il au liv. I, ch. 1, ont des lois naturelles,

>> parce qu'elles sont unies par le sentiment; elles n'ont pas de >> lois positives, parce qu'elles ne sont pas unies par la connais

»sance. >>>

'Esprit des Lois, liv. I, ch. 1.

Ulpjen, aux Inst,, lib. J, t. II, in principio.

>> le droit), est la raison humaine, en tant qu'elle >> gouverne tous les peuples de la terre; et les >> lois politiques et civiles de chaque nation ne >> doivent être que les cas particuliers où s'ap»plique cette raison humaine.

» Elles doivent être tellement propres au peu>>ple pour lequel elles sont faites que c'est un >> très-grand hasard si celles d'une nation peu-. » vent convenir à une autre.

>> Il faut qu'elles se rapportent à la nature et >> au principe du gouvernement qui est établi, ou >> qu'on veut établir; soit qu'elles le forment, » comme font les lois politiques; soit qu'elles le >> maintiennent, comme font les lois civiles.

>> Elles doivent être relatives au physique du » pays, au climat glacé, brûlant ou tempéré; à » la qualité du terrain, à sa situation, à sa gran» deur, au genre de vie des peuples laboureurs, >> chasseurs, ou pasteurs; elles doivent se rap>>porter au degré de liberté que la constitution » peut souffrir, à la religion des habitans, à leurs >> inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, >> à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs ma>> nières. Enfin elles ont des rapports entre elles; » elles en ont avec leur origine, avec l'objet du

>> législateur, avec l'ordre des choses sur lesquelles >> elles sont établies. C'est dans toutes ces vues » qu'il faut les considérer.

>> C'est ce que j'entreprends de faire dans cet » ouvrage. J'examinerai tous ces rapports: ils >>forment tous ensemble ce que l'on appelle >>> l'esprit des lois. »

XII. La notion du droit, tel que le comprenait Montesquieu, n'était point nouvelle; avant lui, Bossuet avait dit presque en mêmes termes que le droit n'est autre chose que la raison même et la raison la plus certaine, puisque c'est la raison reconnue par le consentement des hommes1, et Bossuet n'était que l'écho de la philosophie catholique *.

Mais le mérite de Montesquieu, ce qui le fait père et fondateur de la science, ce fut d'appliquer ees idées vraies et fécondes à l'HISTOIRE du droit ; cherchant dans ces textes dédaignés, dans ces usages oubliés, quel esprit animait ces nations mortes, délaissées dans leur sépulcre, et que son

Cinquième avertissement sur les écrits de M. de Jurieu, édi tion Lefèvre, t. VI, p, 290,

Voyez Summa D. Thoma, Prima sec., quæst. 90 et 91,

génie rendait à la vie ; montrant que le droit n'est ni un arbitraire ni un absolu, mais le résultat nécessaire des mœurs, des idées, de la religion, du gouvernement; que le droit, en un mot, est le criterium de la civilisation, et l'histoire du droit par conséquent l'histoire la plus certaine du développement social.

On voit quelle soudaine grandeur prend le droit dans ce système; c'est la réalisation d'un des vœux les plus chers de Bacon, qui demandait que la science ne fût plus aux mains des avocats ni des philosophes, mais aux mains des politiques. « Car, dit le chancelier, tous ceux qui ont >> écrit sur les lois ont traité leur sujet ou en philosophes ou en praticiens. Les philosophes >> avancent des choses fort belles en paroles, mais >> inapplicables. Les praticiens, attachés en es>> claves aux lois de leur cité, ou aux lois ro>> maines ou au droit canonique, n'ont point un >> jugement libre, et dans leurs raisonnemens sont » toujours captifs. Certes cette belle étude est >> l'apanage des politiques, qui savent au vrai ce >> que comportent la société humaine, l'intérêt >> du peuple, l'équité naturelle, les mœurs des >> nations, les formes diverses de gouvernement,

>> et qui peuvent ainsi juger des lois d'après les >> principes de l'équité naturelle et les exigences » de la politique 1».

XIII. Montesquieu fut plus admiré que compris par ses contemporains: les idées de Wolf régnaient dans les écoles, celles de Rousseau dans la société; doctrines différentes au fond, mais semblables en ce point qu'elles absorbaient le droit dans la philosophie; toutes deux par conséquent également destructives des études historiques. Personne donc ne reprit le pinceau du maître. Qui d'ailleurs aurait eu le courage de s'abîmer dans ces ténébreuses profondeurs, quand la France, en proie à une réaction terri

'Bacon, de Fontib. juris. Præm.Qui de legibus scripserunt, omnes vel tanquam philosophi vel tanquam jurisconsulti argumentum illud tractaverunt. Atqui philosophi proponunt multa dietu pulchra, sed ab usu remota. Jurisconsulti autem, suæ quisque patriæ legum, vel etiam romanarum, aut pontificiarum placitis obnoxii et addicti, judicio sincero non utuntur; sed tanquam e vinculis sermocinantur. Certè cognitio ista ad viros civiles proprie spectat, qui optime norunt, quid ferat societas humana, quid salus populi, quid æquitas naturalis, quid gentium mores, quid rerum publicarum formæ diversæ, ideoque possunt de legibus, ex principiis et præceptis, tam æquitatis naturalis, quam politices decernere.

T. 1.

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