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avait pour se protéger une action réelle, et se trouvait de la sorte en aussi bonne position que la propriété civile.

Justinien abolit cette distinction des deux domaines, et dès lors chacun eut la pleine et absolue propriété de sa chose'. Ainsi tomba la distinction des choses susceptibles ou non de mancipation, et en même temps s'évanouit la distinction des fonds de terre italiens et des fonds provinciaux 3, ainsi que cette ancienne théorie d'un domaine éminent de l'État. Dès lors également il n'y eut plus de différence entre la propriété civile et la propriété prétorienne, ni besoin plus longtemps d'une exception pour protéger la propriété naturelle contre le nudum jus Quiritium*.

La tradition prit la place de tous les anciens modes solennels d'aliénation 5; la formula petitoria devint, par le retranchement de certains mots, la formule générale de toutes les procédures réelles, et l'action publicienne, désormais sans

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L. un., C. de nudo jure Quiritium tollendo, VII, 25.

L. un., C. de Usucap. transform., VII, 21.

§ 40, 1, de Rer. div., II, 1. — Théophile, H. L.

⚫ Cette exception rei venditæ et traditæ subsista néanmoins,

mais dans un but différent. L. 1, 2, 3. D., de Exc. rei vend. et trad., XXI, 3.

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Theoph., II, 1, § 40.

Gaius, IV, 91, 93. V. Exc.-L. 178, § 2, de V. S. D., 4,

valeur comme action, spécialement destinée à la protection de la propriété in bonis, n'eut plus de sens que comme défense de la possession de bonne foi'.

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CHAPITRE VIII.

De la nature et du caractère de la propriété romaine.

Les lois romaines donnaient au propriétaire la disposition libre et absolue de sa chose. Il y avait sans doute quelques restrictions de police, quelques servitudes d'intérêt général 2, institutions reproduites par toutes les législations, mais je ne vois aucune de ces limitations singulières qui nous occuperont au moyen âge.

Seulement il y avait certaines choses qui ne pouvaient être l'objet d'une propriété privée, soit à raison de leur nature, soit à raison de leur destination, telles que les fleuves, les routes, les temples, les biens de l'État et des cités 3. Ce sont de ces dispositions essentielles à la vie com

'C'est ce qui explique l'insertion des mots non a domino dans le L. 1, p. D., de Public. (VI, 2). V. sup. ch. V, note 6.

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mune qui se retrouvent dans tous les codes modernes, si bien qu'il n'est nullement utile d'insister sur ce point.

Ce qui mérite davantage notre attention, c'est le caractère décidé que les lois romaines avaient donné à la propriété, c'est la distinction qu'elles établissaient entre la propriété et l'obligation, distinction fondamentale et qui domine ces deux grandes portions du droit.

La propriété affecte directement les choses qui en font l'objet : c'est un droit immédiat et absolu qui vaut envers et contre tous, et que tous sont tenus de respecter.

L'obligation, au contraire, n'affecte la chose qu'au travers de la personne obligée: c'est un droit relatif qui n'a de valeur qu'au profit de moi seul et seulement contre la personne obligée, en un mot un droit purement personnel.

« Il n'est point de la nature de l'obligation de >> rendre nôtre une chose ou un droit incorporel, >> mais seulement d'astreindre envers nous une >> personne à donner, faire ou procurer quelque » chose. » C'est ainsi que parlait Paul dans ses instituts'.

'Obligationum substantia non in eo consistit, ut aliquod corpus nostrum, aut servitutem nostram faciat, sed ut alium nobis obstringat ad dandum aliquid, vel faciendum, vel præstandum, L. 3, p. de O. et A. D., XLIV, 7. — V. Gaius, II, 38, 39. — Frag. Vat., 260, 263. Nomina, dit la glose, sive actiones,

Cette distinction que les jurisconsultes romains suivaient jusque dans ses conséquences les plus éloignées, avec toute la rigueur de leur admirable logique, cette distinction n'est point arbitraire et particulière à la loi romaine; elle se retrouve plus ou moins en toutes les législations, parce qu'elle tient à la nature même des choses.

L'État reposant sur la propriété à laquelle le plus souvent se rattachent les droits politiques, la propriété ne peut être incertaine sans que la sécurité ou le crédit public ne soient ébranlés. C'est donc une nécessité du droit de propriété que chacun le reconnaisse et qu'il vaille contre tous, en un mot qu'il soit un droit absolu. Mais cette nécessité n'est point dans le droit d'obligation, qui n'a qu'une valeur individuelle, sans intérêt pour les tiers qu'il ne concerne pas ; l'o

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non possunt separari a domino, sicut nec anima a corpore. Une autre glose, plus énergique, prétend que l'obligation ossibus hominum inhæret ut lepra cuti. Sur cette distinction de la propriété et de l'obligation, voyez l'excellent ouvrage de Mueblenbruch, Die Lehre von der Cession der Forderungs rechte. 2e édition, Greifswald, 1838, notamment p. 4, 15, 21, Mackeldey, Lehrbuch, §§ 15, 180, 328.-De Savigny, Besitz, § 6. — A. d'Hauthuille, Essai sur le droit d'accroissement, p. 18 et ss., Aix, 1834. Il y a longtemps que le droit romain n'a été traité en France avec autant de logique et de netteté. M. d'Hauthuille, à nos yeux, et quoiqu'il n'ait pas encore fait un ouvrage de longue haleine, a sans contredit le premier rang parmi les jurisconsultes qui s'occupent aujourd'hui des lois romaines.

bligation n'existe qu'entre les engagés, et point au delà, personam non egreditur, la propriété existe pour tous les membres de la société.

De là l'usage de ne point laisser incertaines les transmissions de la propriété et de rattacher ces transmissions à quelque solennité, ou du moins à quelque fait assez positif pour qu'on ne puisse pas douter en quelles mains doit légalement se trouver le domaine. Ainsi chez les Romains la mancipation et plus tard la tradition constaterent les mutations de la propriété ; chez les Germains ce fut la tradition in mallo, devant l'assemblée du canton'. Au moyen àge ce fut l'investiture et la foi pour le fief, le vest et devest pour la censive 3, l'ensaisinement du juge pour l'alleu ; plus tard enfin l'insinuation, mais la loi exigea partout et toujours la publicité des mutations de la propriété.

Le code civil est le premier qui ait méconnu cette judicieuse distinction; il a confondu l'obligation et la propriété (art. 1138).

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« La propriété, dit l'art. 4583, est acquise de

Marculf., Appendix formul., 19, 20.— Cap., ann. 819, c. 6. Grimm, Rechts alterthumer, p. 121.

2 Grand Coutumier, liv. II, ch. 27, 29.

189.

4

Grand Coutumier, liv. II, ch. 21.

Coutumes notoires, art. 124.

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Desmares, décision,

Coutumes de Paris, art. 132, et Brodeau sur cet article.

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