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fit la fortune, c'était quelque Barbare ignorant, mais docile à la voix du clergé, mais brave, mais bon capitaine et sous lequel on pût rallier toutes ces forces éparses. C'était un bras qu'il fallait pour sauver l'Église et la Gaule; ce bras, ce fut

Clovis.

CHAPITRE IV.

Partage des terres.

Les Barbares, maîtres de l'Empire, se contentèrent partout d'une part du sol, laissant le reste aux anciens possesseurs. Les Bourguignons et les Wisigoths prirent les deux tiers des terres à leur convenance; les Hérules s'emparèrent d'un tiers de l'Italie; les Ostrogoths prirent la part des Hérules ; les Lombards, après avoir pris les terres du domaine et tout ce qui fut à leur convenance, exigèrent en outre le tiers des fruits des propriétés qu'on laissait aux Romains".

'Mancipiorum tertiam, et duas terrarum partes, mais ils laissèrent aux Romains medietatem sylvarum. V. la Loi des Bourguignons, lit. 54 et 55. Loi des Wisigoths, lib. X, tit. 1, §8, 9, 16.

"Cassiodore, II, 16. Procope, Guerre gothique, I, 1. Paul. Diac., II, 31. His diebus multi nobilium Romanorum ob cupiditatem interfecti sunt, reliqui vero per hostes (hospites)

Quant aux Francs, qui n'étaient point, comme les Bourguignons et les Goths, des peuplades marchant sous la conduite d'un roi, mais simplement quelques bandes germaines unies par la conquête sous un nom de guerre, on ne voit point qu'ils aient dépouillé les anciens possesseurs. Il y avait sans doute dans les Gaules plus de terres incultes ou domaniales qu'il ne fallait pour les satisfaire tous; c'est du moins ce qu'on peut juger par ces domaines immenses attribués aux rois francs, comme terres du fisc.

Ces terres conquises, les Barbares se les partagèrent au sort; de là ces noms de sortes Burgundionum, Gothorum, kléroi Vandilôn; de là aussi le nom germanique d'ALLOD, dont la racine loos, lot, se reproduit dans toutes les langues modernes pour désigner ce que donne le sort '.

divisi ut tertiam partem suarum frugum Langobardis persolverent, tributarii efficiuntur.

V. Caseneuve, Du franc-alleu de Languedoc, p. 85. Dominicy (Prærog. allod.), p. 10 et ss., propose plusieurs étymologies du nom d'alleu; la plus extraordinaire est celle qui fait venir le nom d'alleu de l'alouette (alauda): Forsan alludere videtur ad hujus aviculæ morem in symbolis plerumque usurpatam, quæ ut a terra sese elevans, post aliquot crispante voce versiculos decantatos fælici epodo Deum laudat; ita allodium sit terra aliis sublimior, veluti quæ solum Deum ratione dominii recognoscat in superiorem.-Je retrouve cette expression de sortes dans un diplôme de Charles-le-Chauve : Quidquid etiam in eadem villa ex fisco nostro Tonantia Albericus fidelis noster in beneficium cognoscitur habuisse, id est sortes quatuor et dimidiam cum

CHAPITRE V.

Condition des vaincus.

La condition des vaincus ne fut point partout la même. En Italie, lors de la conquête de Théodoric, en Espagne et dans les Gaules, la situation des Romains ne paraît point changée; dés les premiers temps de la domination barbare, on rencontre dans ces différens pays des Romains libres et propriétaires. Il semble même que les cités, toutes dédaignées qu'elles sont par les Barbares répandus dans les campagnes, grandissent en importance. Il est plus souvent question de la curie, c'est elle qui fait presque toutes les fonctions d'administration et de justice, et le defensor curia, l'évêque, presque toujours Romain, n'est pas dans ces premiers temps un personnage moins important que le comte barbare. C'est dans les cités que se garde le dépôt des idées romaines; ce sont les évêques qui de main en main se transmettent ce précieux flambeau, et dès qu'un roi barbare a quelque idée civili

mancipiis desuper commanentibus, vel ad easdem juste pertinentibus. Ann. Benedict., III, 675.

satrice, c'est aux évêques qu'il le doit, c'est sur eux et sur leurs cités qu'il s'appuie. Ce fut le secret de la puissance des Carolingiens.

Cette prédominance des vaincus s'explique facilement pour les races gothiques, puisque ces races tendirent toujours à se confondre avec les populations romaines. L'administration des Ostrogoths fut semblable à celle de l'Empire'. Cassiodore se pouvait croire sans injustice revenu aux plus beaux siècles de l'Empire. Les lois des Wisigoths sont également tout imprégnées de l'esprit romain.

Dans les Gaules, le petit nombre des conquérans et l'influence dominante du clergé sont la solution du problème.

« La race des Saxons, dit Nithard 2, se divise >> en trois ordres, édelinges, trilinges et lassi, >> ce qui veut dire autant comme nobles, francs et >> serfs. » Cette distinction existe dans la loi salique pour les Romains, déjà assimilés aux Germains. Seulement le wehrgeld du Romain n'est que la moitié du wehrgeld du Germain . C'est

1

Manso, Histoire de l'empire des Ostrogoths. - Gibbon, ch. 39. Winspeare, p. 197.

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2 Nithardus, Hist., lib. IV.

Pour le meurtre d'un antrustion,

le wehrgeld est de 600 solidi.

Pour la mort d'un Romain conviva regis (c'est le nom romain du leude royal), 300 solidi.

Pour la mort d'un Franc ou d'un au- Pour la mort d'un Romain possestre barbare, 200 solidi.

seur, 100 solidi.

Le wehrgeld du Romain tributaire est de 45 solidi ; c'est le

une fierté de vainqueur, mais au fond la condition politique est la même ', et toute distinction fut bien vite effacée quand Gaulois et Germains combattirent ensemble; ce qui ne tarda guère, car, dit noblement Dubos : « Les Gaulois n'ont » jamais été de ces peuples pacifiques qui ont la >> patience de voir des armées étrangères s'entre>> battre dans le pays qu'ils habitent sans se mè>>>ler de la querelle ".. 3

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Dans la haute Italie, sous la domination lombarde, la condition des vaincus fut plus dure. Ces nouveaux maîtres s'attribuant le tiers du produit brut des terres qu'ils laissaient aux Romains, ces derniers se trouvèrent dans une position des plus précaires, presque semblable à celle des colons ou des aldiones 4. Ils sortirent de cette mi

prix du taureau banal (L. Salique, tit. 3, 57), ou du chien de race (tit. 6, § 1).

Cette distinction des trois classes se retrouve aussi dans les lois saxonnes.

Le wehrgeld du thane royal est de 1200 schillings (twelfhindesman); celui d'un thane ordinaire, de 600 schillings (syxhyndesman); celui du ceorl, de 200 schillings (twyhyndesman). — Wilkins, p. 41, 43. Philipps, Deutsche Geschichte, I,

p. 137.

'La loi des Bourguignons ne distingue point les Barbares des Romains.

2 Hist. crit., liv. IV, ch. 15, t. II p. 303.

* Daniel fixe ce mélange des deux nations au règne des enfans` de Clovis, Hist. de la milice française, liv. I, c. 2.

'Ducange. V. ALDIO.

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