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Le comte présidait et dirigeait l'affaire; mais ce n'était pas lui qui jugeait; il était assisté de consultans, de sages, versés dans les coutumes, judices', rachimburgi2, sagibarones 3, asega*. L'avis de ces prud'hommes était d'un grand poids pour la décision de l'affaire, et l'assemblée suivait d'ordinaire le dire des judices 5; néanmoins il est hors de doute qu'elle pouvait juger différemment. Le jugement se faisait par acclamation

Lex Bajuv., II, 15, 2. Comes vero secum habeat judicem qui ibi constitutus est judicare, et librum legis, ut semper rectum judicium judicet de omni causa. — Capitul. Ludovic. II, donné par Muratori. De judicio autem judicis tam frequenter rememoramus, quia omnimodo consuetudinem judicandi injuste auferre volumus. Sed tantum secundum scripturam judicent, ét nullatenus secundum arbitrium suum. Sed discant pleniter legem scriptam. De quo autem non est scriptum, hoc nostrum consilium habeatur in quibusdam. — Grimm, D. R. A., p. 784, nous apprend que la formule des anciens jugemens bavarois commence toujours ainsi : « Comme je siégeais pour rendre la justice, » le bâton à la main, et l'écrivain juré près de moi avec le livre » de la loi, alors vint pour se faire rendre justice, etc. » L'écrivain juré fait là auprès du juge seigneurial la fonction du judex près du comte.

* Grimm, D.R.A., p.775. Formul. Lindenbr., no 162. Præsentibus quam pluribus viris venerabilibus rachimburgis qui ibidem ad universorum causas audiendum vel recta judicia terminandum residebant, vel adstabant.

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Tunc omnis plebs, cum audierat concilium, tam principes quam mediocres, judicaverunt justissimum judicium. Grimm., d. l.

et lever des mains '. Le comte ne pouvait changer le jugement; mais il était chargé de l'exécution.

Plus tard, à une époque où le plaid était devenu un moyen d'oppression entre les mains du comte, nous voyons disparaître ces rachimbourgs. Charlemagne remplaça ces prud'hommes de bonne volonté par des assesseurs en titre (scabini), nommés par le comte avec le consentement des hommes libres 3. Ce furent les échevins, au nombre de sept ou de douze, qui furent de fait les vrais juges de l'affaire, non pas qu'il fût défendu aux assistans de prendre part au jugement, c'était le droit de l'homme libre; mais sa présence au plaid ne fut plus exigée et devint plus rare de jour en jour 4.

1 Cet usage existait encore en Italie au quatorzième siècle; le pape Urbain se plaint vivement de cette coutume. Voyez appendix B.

Cap., II, ann. 813, c. 13 (Baluze, 1, 509). Ut vicarii munera ne accipiant pro illis latronibus qui ante comitem judicati fuerint ad mortem. Quod si hoc perpetraverint, tale judicium sustineant sicut et latro judicatus fuit; quia postquam scabini eum dijudicaverint, non est licentia comitis vel vicarii ei vitam concedere.

Loi 48 de Lothair. Ut missi nostri, ubicumque malos scabinos invenerint ejiciant, et cum totius populi consensu in eorum locum bonos eligant. Et cum electi fuerint, jurare faciant, ut scienter injuste judicare non debeant. Savigny, Hist. du droit

romain, t. I.

Carol. M. leges Langob. L. 49. Ut nullus alius de liberis hominibus ad placitum vel ad mallum venire cogatur, exceptis

Charlemagne établit l'appel aux missi dominici des jugemens du comte et du centenier'. Il affaiblit en outre la juridiction de ce dernier en mettant hors de sa compétence toutes les questions qui intéressaient la liberté et la propriété des alleux ou des esclaves; ce fut le comte qui fut chargé du jugement de ces deux grandes affaires. Il empêcha également que le tribunal du centenier pût condamner à mort2; il ne resta donc plus à ce tribunal que les causes pécuniaires et les délits.

scabinis et vassis comitum nisi ille qui causam suam quærit, aut şi alter illi quærere debeat, et ille qui respondet. L. 116, ibid. Ut nullus ad placitum banniatur, nisi qui causam suam quærit, aut si alter ei quærere debet: exceptis scabinis septem, qui ad omnia placita esse debent. (Voyez le plaid du comte Uldaric de l'an 852, et celui des lieutenans d'Humfrid, marquis de Gothie. Histoire du Languedoc, t. I, dip. 88, et le diplôme 90, ibid., appendix Q.)

Capit., lib. II, c. 26.

Eichorn, R. G., § 164.

2 L. 36, ibid. Ut nullus homo in placito contenarii, neque ad mortem neque ad libertatem suam amittendam, aut res reddendas, vel mancipia judicetur. Sed ea omnia in præsentia comitum vel missorum nostrorum judicentur.

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CHAPITRE IV.

De l'organisation judiciaire actuelle comparée à celle des
Germains.

Telle fut l'organisation judiciaire des Germains; chaque propriétaire, chaque homme libre eut sa part du pouvoir judiciaire et fut jugé par ceux qu'il jugeait à son tour. Ces Barbares étaient bien loin de l'organisation perfectionnée des États modernes. Chez nous, dans un pays qui se dit libre, les citoyens n'ont point de part à l'administration de la justice civile, point

de part mème à la nomination du juge, comme si la justice civile était moins que la justice criminelle une portion des plus importantes de la liberté politique. Ce droit si précieux de juger ses concitoyens appartient à une classe privilégiée, sans responsabilité, sans émulation, sans besoin. de bien faire; elle nous dispense la justice, comme on fait l'aumône d'un patrimoine, dans les quelques momens dérobés à ses heureux loisirs.

Pour couronner un si beau système, on a remis aux mains du pouvoir la nomination et l'avancement du juge, la nomination sans conditions de capacité, l'avancement sans condi

tions de service. En fait d'administration judiciaire, les Turcs n'ont rien à nous envier. Leurs cadis ont de moins que les nôtres l'inamovibilité; mais cette inamovibilité, quand le pouvoir tient le juge dans sa dépendance par l'ambition d'avancer, c'est sans doute un admirable oreiller pour la paresse, l'ignorance, la faiblesse, ou la décrépitude du juge; mais qu'est-ce donc pour le plaideur? Tout nouveaux sortis du fond des bois, nos pères entendaient cependant mieux que nous la liberté.

CHAPITRE V.

Du service militaire '.

Cette organisation du canton et de la centaine était toute militaire. La société barbare n'était qu'une armée campée sur le sol, et le mallus, une assemblée en armes où la grande question était presque toujours : « Où portera-t-on la guerre ?»

Tous les hommes libres en armes se réunissaient sous les ordres de leurs dizainiers, de leurs centeniers, et du comte (gaugraff), chef de l'ar

1

Montesquieu, Esprit des lois, XXX,

De la Milice française, liv. II, ch. 1.

Philipps, II, § 56.

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Eichorn, § 166, 1.

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