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DU DROIT

DE PROPRIÉTÉ FONCIÈRE.

LIVRE PREMIER.

DU DROIT DE PROPRIÉTÉ FONCIÈRE EN GÉNÉRAL.

CHAPITRE PREMIER.

De la nature du droit de propriété.

La DÉTENTION du sol est un FAIT que la force seule fait respecter, jusqu'à ce que la société prenne en main et consacre la cause du détenteur; alors, sous l'empire de cette garantie sociale, le FAIT devient un DROIT; ce droit c'est la PROPRIÉTÉ.

Le droit de propriété est une création sociale; les lois ne protégent pas seulement la propriété, ce sont elles qui la font NAITRE, qui la détermi

nent, qui lui donnent le rang et l'étendue qu'elle occupe dans les droits du citoyen'.

Et comme la propriété du sol a toujours été la première richesse et la première puissance, c'est sur cette base que se sont organisées toutes les sociétés anciennes et modernes ; c'est entre les mains des possesseurs du sol que (par une loi inflexible de l'histoire) s'est toujours trouvé le pouvoir : — absolu et tyrannique quand la propriété se concentre en un petit nombre de mains, doux et tempéré quand le sol divisé appelle

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Voyez le discours posthume de Mirabeau sur le droit de succession, et Montesquieu, Esprit des lois, liv. XXVI, ch. xv et xvi.

Si le lecteur a suivi dans l'Introduction nos opinions sur la nature du droit, nous n'avons pas besoin de donner plus de développement à nos idées sur la nature du droit de propriété. Ce droit est à nos yeux de mème nature que le droit tout entier, une création sociale. L'appropriation du sol est sans doute un de ces faits contemporains de la première société, que la science est obligée d'admettre comme point de départ et qu'elle ne peut discuter sans courir le danger de mettre la société elle-mème en question; mais les droits que confère cette détention du sol, soit dans l'ordre politique, soit dans l'ordre de la famille, ne sont point des droits absolus, des droits naturels, antérieurs à la société, ce sont des droits sociaux, qui varient suivant les différens besoins de la grande famille humaine.

Ainsi ces graves questions de la nature du droit de succession: -si l'hérédité, - si le testament sont ou non de droit naturel ou de droit des gens *, -ne sont point des questions pour nous qui

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Bynkershoek, Obs., lib. II, c. n.-V. le discours de Mirabeau (Buchez, IV, 228), la Discussion du conseil d'État (Fenet, AM, 257), et surtout les judi: cieuses observations de Portalis.

un plus grand nombre de bras à nourrir comme à défendre la patrie.

C'est pour obtenir le pouvoir par la propriété, ou la propriété par le pouvoir, qu'à toutes les époques ont lutté les classes inférieures, depuis la plebe romaine, demandant le partage du mont Aventin, jusqu'au tiers-état, anéantissant, dans une nuit mémorable, ce peu qui restait des priviléges territoriaux de la noblesse et du clergé.

Ainsi tour à tour cause et effet de la puissance, le droit de propriété reflète dans ses vicissi

n'admettons point de droit naturel, non plus que d'état naturel préexistant à l'état social.

Pour nous, l'homme est un ètre essentiellement sociable, comme l'abeille, comme la fourmi. Je ne comprends guère l'abeille ni la fourmi en dehors et indépendamment de la communauté, non plus que l'homme en dehors de la société. Le sauvage, qui n'est qu'un homme détaché de la grande communauté humaine, dans l'isolement dégénère et périt. L'homme n'existe que par et pour la société. La société est nécessaire, elle a en elle-mème sa raison d'être son but est d'assurer à tous ses membres la plus grande somme possible de bien-être et d'écarter tous les obstacles moraux comme toutes les gènes physiques qui empèchent l'homme de parvenir à la fin que Dieu lui a marquée. Toutes les fois que la société, sans s'écarter de sa route providentielle, change de moyens, qu'elle déplace l'héritage ou les priviléges politiques attachés au sol, elle est dans son droit et nul n'y peut trouver à redire en vertu d'un droit antérieur, car avant elle et hors d'elle il n'y a rien en elle est la source et l'origine du droit.

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Si l'on avait eu cette idée du droit, on se serait évité bien d'inutiles et dangereuses discussions sur les prétendus droits naturels de l'homme, discussions payées du sang de nos pères, sans profit pour la science, sans résultat pour nous.

tudes toutes les révolutions sociales; c'est là qu'aboutissent tous ces changemens dans la condition des personnes qui se réduisent finalement en capacités ou incapacités de posséder. Quel que soit le nom des partis qui se disputent le pouvoir, patriciens et plébéiens, — seigneurs et vilains, tiers-état et noblesse, la question capitale est toujours : A qui le sol?

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La loi civile de la propriété est donc toujours l'esclave de la loi politique; et tandis que le droit des conventions, qui ne règle que des intérêts d'homme à homme, n'a point varié depuis des siècles (sinon en certaines formes qui touchent plus à la preuve qu'au fond même de l'obligation), la loi civile de la propriété, qui règle des rapports de citoyen à citoyen, a subi plusieurs fois des changemens du tout au tout, et suivi dans ses variations toutes les vicissitudes sociales.

La loi des conventions,qui tient essentiellement à ces principes d'éternelle justice gravés au fond du cœur humain, c'est l'élément immuable du droit et en quelque sorte SA PHILOSOPHIE; au contraire, la loi de la propriété c'est l'élément variable du droit, c'est SON HISTOIRE, c'est SA POLITIQUE.

Jamais donc question plus grave et plus vivace ne fut mise au concours par une société savante. Qu'est-ce que l'éloge d'un héros à côté des mys

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