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Tiberius Gracchus voulut porter remède à cette plaie, qui menait droit à la destruction de la chose romaine'. Plus courageux que le prudent Lelius, il attaqua le mal dans sa racine et fit passer une loi par laquelle, tout en indemnisant les droits acquis, la possession de l'ager publicus fut, en conformité des lois liciniennes, limitée à un maximum de cinq cents jugera 2, Le surplus devait être partagé entre les pauvres citoyens, la charge des redevances ordinaires 3. Ainsi, par un coup de politique hardie, il réorganisait la classe moyenne dans toute l'Italie et rétablis sait en même temps la source la moins onéreuse des revenus de l'État.

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à

Tiberius paya de sa tête sa courageuse entreprise, son caractère sacré ne le sauva pas. Caius fut comme son frère assassiné par une aristocratie corrompue. Après la mort de ces deux hommes, qui avaient voulu recréer une classe

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Avant Niebuhr, un auteur dont l'ouvrage est peu connu, Pilati de Tassulo, Lois politiques des Romains, t. II, ch. 16, Avait nettement déterminé ce qu'étaient les lois agraires et quel fut le but que se proposa le noble cœur de Tiberius.

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'Gracchus colonos dedit municipiis, vel ad supplendum numerum civium, vel... ad coercendos tumultus, qui subinde movebantur. Præterea legem tulit ne quis in Italia amplius quam duocenta jugera possideret, intelligebat enim contra jus esse, majorem modum possidere, quam qui ab ipso possidente coli possit. Sicul. Flac., de Cond. agrar. (Goes., p. 2).

moyenne là où l'esclavage et la grande propriété, grandissant tous les jours, rendaient un si beau projet impossible, le mal fut incurable. La république ne fut plus composée que de riches et de misérables, tous également corrompus par l'extrême misère ou l'extrême richesse. Et quand Marius appela sous ses drapeaux les prolétaires et les capite censi, il fit moins un acte d'ambition de nécessité le citoyen romain n'existait

que

plus 2.

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:

Les grandes propriétés ont perdu l'Italie, s'écriait Pline, et les voilà qui perdent les provinces! cri perçant d'un patriote qui lisait l'avenir 3.

CHAPITRE VII.

Comment disparut l'ager publicus.

Quand un homme s'est fait le représentant des souffrances d'un peuple, tuer cet homme est un

'Sall., Jug., 86.- Plut., Marius, c. 9.-A. Gellius, XVI, 10. Val. Max., II, 3, 1.

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A croire le tribun Philippe, il n'y avait à Rome que deux mille personnes qui fussent propriétaires; trois cent mille hommes étaient dans l'indigence, à la merci du premier acheteur. Cic., de Offic., II,

21.

Pline, H. N., XVIII, 7.

mauvais moyen de détruire le sujet de sa plainte ; c'est l'illusion des politiques à courte vue. Le sang de Gracchus pouvait effrayer la plèbe, mais il lui fallait vivre à quelque prix que ce fût, et en face de la grande propriété et de la culture servile elle ne le pouvait pas.

La plebe s'enrôla donc sous les drapeaux des ambitieux pour obtenir par la force ce que les lois lui refusaient, la propriété. Une colonie fut la récompense d'une légion victorieuse; mais ce ne fut plus seulement le sol de l'ager publicus, ce fut l'Italie tout entière qu'on mit à la merci des légions. Sylla, distribuant des terres à quarantesept légions, donna le premier ce terrible exemple', et de ce coup fatal anéantit la république2.

César, suivant les traces de Sylla, établit plus de cent vingt mille légionnaires 3. Antoine ne resta pas en arrière de César “; pendant son triumvirat, Octave donna à ses soldats dix-huit

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Appien, Guerre civile, I, 96, 100. Plut., Sylla, 31, 33. - Florus, III, 21.

2 Cic., de Offic., II, 8. Nec vero unquam bellorum civilium semen et causa deerit, dum homines perditi hastam illam cruentam et meminerint et sperabunt..... Ex quo debet intellegi talibus præmiis propositis, nunquam defutura bella civilia. Itaque parietes urbis modo stant et manent; iique ipsi jam extrema scelera metuentes: rem vero publicam penitus amisimus.

'Appien, Guerre civile, II, 94, 119, 120, 135, 141. - Suet., in Julio, c. 20, 38. —Cic., ad famil., XIII, 8; ad Att., II, 16. -Agrar., II, c. 16.

Cir., Philipp., V, 2, 3.

villes des plus florissantes, et une fois empereur fonda encore vingt-huit colonies dans la séule Italie.

Dans ce pêle-mêle d'assignations et de proscriptions, l'ager publicus disparut presque entièrement; le peu qui restait se perdit dans les biens impériaux (fundi patrimoniales, rei private). Mais la cause du mal, la grande propriété, s'étendit plus que jamais. César était déjà obligé de prendre des mesures pour empê cher la dépopulation de l'Italie, mesures inutiles. Entre la plébé, qu'on nourrissait, et les ríches seuls propriétaires, dans un pays sans industrie, il n'y avait point de place pour cette classe moyenne qui fait la force des empires. Elle étouffait.

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Appien, IV, 3, cite Capoue, Rhegium, Venouse, Benevent, Nuceria, Ariminium. Appien, V, 3, 12-16, 19, 20, 22, 23, 27, 53.- Dio Cass., XLVII, 14; XLVIII, 2-8.-Suet., Oct., 13.- Vell. Pat., II, 74.- Florus, IV, 5. Virgil., Eclog. 1. Suet., Oct., 46. - Hyginus de limit. const. (Goes., p.160). 3 Les agrimensores ne connaissent plus que des portions insignifiantes de l'ager publicus. Sicul. Flacc., de Condit., agror., p. 2.- Frontinus, de Controv., p. 42. → Aggenus, in Front., p. co.

*Suet., in Jul., 43. Octoginta autem civium millibus in transrúarinas colonias distributis, ut exhausta quoque urbis frequentia suppeteret, sanxit: ne quis civis major annis viginti minorve x qui sacramento non teneretur, plus triennio contimo Italia abessér; neu quis senatoris filius, nisi contubernalis, aut comes magistratus peregre profiscisceretur: neve hi qui pecuariam facerent, minus tertia parte puberum ingenuorum inter pastores haberent.

CHAPITRE VIII.

De la propriété italienne '.

Rome partageait cette idée commune à toutes les cités de l'antiquité, que le droit d'une nation ne protégeait que les membres de cette nation. L'étranger n'avait donc à Rome ni droit ni protection : c'était un ennemi (hostis). Point d'union légitime, point de puissance paternelle, point de propriété en dehors de la famille et de la propriété romaine. Contre l'étranger un mur d'airain; qu'il ne puisse ni s'unir aux Romains ni acquérir le sol consacré : adversus hostem æterna auctoritas esto.

Quand Rome fit la conquête de l'Italie, elle dut, dans sa conduite à l'égard des vaincus, faire l'ap

• Savigny Ueber die Entstehungund Fortbild ung des Latinitat. Zeits, V, 229 et ss. M. Giraud a donné une analyse fort exacte de ce mémoire : Recherches sur le droit de propriété, t. I, 281-293.-Walter, Gesch. de Ram Rechts., t. I, ch. 8, 9, 14, 20. — Savigny, Der Ræmisch Volkschluss der Tafel von Heraclea. Zeits, t. IX, p. 300 et ss.

'Festus, V. HOSTIS. Varro de L. L. IV, p. Multa verba aliud nunc ostendunt, aliud ante significabant, ut hostis. Nam tum eo verbo dicebant peregrinum qui suis legibus uteretur : nunc dicunt eurn quem tum dicebant perduellem.

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