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mander, alternativement, par 24 heures, les avant-postes du Cap. Le général Watrin fut enlevé par la peste, au Fort Républicain, le 22 Novembre, quinze jours après le départ de Rochambeau de cette ville, pour le Cap. Le général Brunet qui venait de rentrer au Cap avec la division du Borgue, le remplaça dans le commandement des divisions de l'Ouest et du Sud. Watrin fut regretté des indigènes fidèles aux français dont il se montra toujours le protecteur. l'entendit même faire des voeux pour le triomphe des insurges auxquels il ne supposait pas, il est vrai, des idées d'indépendance: il n'avait vu en eux que des français qui voulaient demeurer libres.

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Les finances de la colonie étaient dans un etat affreux; le commerce languissait depuis que l'insurrection était devenue presque générale; les denrées n'entraient presque plus dans les viles, et les indépendans, pour entièrement chasser les bones des campagnes, livraient aux flammes les habitations. Les populations indigènes des villes, décimées par la guerre, étaient en outre prsécutées. Quelques commandans français étaient devenus tellement corrompus qu ils vendaient aux indépendans, au poids de l'or, des armes et des muni tions qu'ils enlevaient des magasins du gouvernement. Les officiers supérieurs qui s étaient enrichis avaient demandé à Leclerc des permis pour retourner en France. Ainsi étaient partis les généraux Boudet et Salme qui disaient qu'il n'y avait plas que la peste à gagner dans ce pays infernal. D'une autre part, le commerce était appauvri par les emprunts du gouvernement dont les caisses avaient été vidées par les dilapidations des généraux.

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Rochambeau entreprit de rétablir l'ordre dans l'administration fit arrêter le citoyen Deneyve, administrateur à Jérémie, prévenu de dilapidations, le fit jeter dans les prisons des Cayes et mettre ensuite en jugement. Mais il ne put lutter longtemps contre la corruption devenue générale. Il deversa alors sa fureur contre les indigènes, dont la révolte, pretendait-il, était la cause de ce désordre administratif. Des compagnies de chasseurs à pied, sous la dénomination de troupes franches, furent formées. Elles furent composées de noirs et d'hommes de couleur, en grand nombre anciens officiers, et organisées comme l'infanterie légère. Leurs officiers étaient blancs la plupart; et des chapeaux de paille relevés sur le côté, à la Henri IV, leur servaient de coiffure. Ces nouvelles troupes, qui en grande partie abandonneront les français, devaient poursuivre les insurgés jusqu'au sommet des plus hautes montagnes et les traquer comme des bètes fauves. Rochambeau, à l'exemple des espagnols da 16e siècle, les premiers conquérants de l'île, ne tardera pas à introduire à St. Domingue des dogues par lesquels il fera dévorer ses prisonniers. Il puisera, dans le martyrologe des premiers chrétiens les supplices les plus horribles. Cet homme féroce sans dissimulation était d'une petite taille et maigre. Sa physionomie était sombre; il avait des yeux petits et vifs,

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Portant aux hommes de couleur une haine implacable, haine qu'il avait laissé éclater, dès 1793, il prétendait qu'il ne se laisserait pas comme Leclerc tromper par eux. Il leur fit une guerre ouverte d'extermination, convaincu que la possession française ne pouvait être rétablie solidement que par l'extinction de toute la population qui avait traversé la révolution. Il supportera quelques temps encore les indigènes fidèles à la France; mais il les mettra bientôt dans l'alternative de l'extermination ou de l'insurrection. Idlinger, blâmant ses actes, dit en parlant des indigènes qui étaient dévoués à la France: Identifiés ad salut de la colonie par d'immenses possessions, notre cause était la leur. Eh bien! qui croirait que ces hommes, dont « l'union avec nos troupes nous rendait invincibles, ont été placés par des mesures, hélas! trop rigoureuses, dans l'alternative affreuse « de la rébellion ou de la mort. Dans six semaines, il ne nous res tait, dans le Sud, que quelques bourgs. * Voilà une vérité bien «douloureuse; en vain j'ai voulu la renfermer dans mon âme: « intérêts de ma patrie, vous me l'avez arrachée!» Depuis l'insurrection de Pétion, de Clervaux et de Christophe établis au haut du Cap, il était devenu très difficile d'approvisionner cette ville, et les vivres y étaient d'une excessive cherté. Rochambeau supprima tous les droits établis sur les bêtes à cornes et moutons venant de la partie de l'Est; et pour faciliter le service public, il déclara que Monte Christ, qui relevait de S. Domingo, ferait partie du département du Nord. Le bourg de Monte-Christ qu'occupait le général Pamphile de Lacroix, approvisionna la ville du Cap.

Pendant cet intervalle, Capoix, maître du Port-de-Paix, depuis l'évacuation de cette ville par Brunet, avait complètement réorganisé la 9. ci-devant coloniale. Il envoya un de ses lieutenans, à la tête d'un des bataillons de ce corps, attaquer le Mole St-Nicolas dont la garnison était composée de la 11.e légère, des 49.e et 98.e de ligne. Les indigènes campèrent aux portes de la ville. Les français firent contre eux plusieurs sorties; mais ils furent toujours refoulés dans la place, après avoir éprouvé des pertes considérables. Le 27 Brumaire, (18 Novembre), les indépendans donnèrent assaut à la ville. Les troupes françaises, eulbutées sur les remparts, furent poursuivies jusqu'au sein de la place. Les bourgeois blancs, saisis de frayeur, s'embarquèrent en foule, suivis de trois officiers de la garnison, sur le navire américain le Pénélope, mouillé dans la rade. Le capitaine du bâtiment refusa d'appareiller. Alors les trois officiers qui appartenaient à la 49.e, à la 98.e et à la 11.e, égarés par la terreur, mirent le pistolet sur la gorge de l'américain, inaltraitèrent les matelots, et les forcèrent à mettre à la voile pour

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Idlinger parle particulièrement des causes qui amenèrent l'insurrection du Sud contre les français, en Janvier 1803.

fe Port Républicain. Les indigènes, de leur côté, s'étaient arrêtés, étonnés de leur audace. Leur petit nombre releva le moral des français qui, retirés dans les forts, les mitraillèrent et les contraignirent à la retraite. Après avoit interrompu toute communication entre la ville et la campagne par un blocus régulier, les indépendans demeurèrent campés à une lieue du Mole. Rochambeau fut violemment indigné en apprenant ce qui s'était passé au Môle. Il dégrada, pour leur lâcheté, les trois officiers qui avaient abandonné leurs frères d'armes, les nommés Delore, Stephonopoli et Girardeau, les. fit arrêter et embarquer pour France.

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A la même époque, Pétion, Clervaux et Christophe s'épuisaient en de vains efforts au haut du Cap contre les français. Ils vinrent à manquer totalenient de munitions; leurs soldats avec lesquels sympathisaient peu les bandes de Petit Noël Prière, qui leur refusaient souvent quelques vivres, commençaient à déserter. Pétion envoya demander un peu de munitions à Sans Souci qui était campé à la Grande-Rivière. Celui qui avait en sa possession six milliers de poudre, lui en refusa, en lui faisant dire qu'il en avait besoin, qu'il Favait acquise au péril de sa vie, en prenant les armes, le premier, contre les français. Alors Pétion se rendit lui-même au Fort Liberté, auprès de Toussaint Brave. Ce dernier l'accueillit très favorablement et mit à sa disposition un millier de poudre. Pétion revint au haut du Cap et se résolut à partie pour l'Ouest. Mais le Carrefour du Limbé, par où il devait passer, avait éte reoccupé par les français. Pour ouvrir le passage, le général Christophe marcha contre eux; il fut repoussé. Néanmoins, la garnison du Carrefour, craignant d'être. assaillie, le lendemain, par des forces plus importantes, évacua le poste et rentra au Cap, par mier. Dès que le passage fut ouvert, Pétion, Clervaux et Christophe abandonnèrent la position qu'ils oc cupaient et pénétrèrent dans l'intérieur du Nord. Pétion avait donné. à Petit Noël Prière, en se retirant, les deux pièces de 4 et l'obusier qu'il avait pris au haut du Cap. Petit Noël Prière fit trainer ces trois pièces d'artillerie jusqu'à la Rivière Salée où il avait son quartier général. Il avait sous ses ordres Cagnet, Labruni. et Grand Boucan, chefs de bandes, d'une rare intrépidité.

Pétion allait se séparer de Clervaux et de Christophe quand il rencontra Sans Souci qui, à la tête de 5,000 cultivateurs bien, armés. et très aguerris, voulait contraindre les troupes ci devant coloniales. à le reconnaître général en chef. Pétion parut se soumettre à son autorité, et fut proclamé par lui général de brigade. Sans Souci demanda la tête de Christophe, son ennemi personnel. Il prétendait qu'il avait encore le cœur pour les français. Il voulut enve. lopper les 1.re, 2.e et 5.e coloniales, et les passer au fil de l'épée. Pétion lui fit observer que les noirs et les hommes de couleur commençaient une guerre nationale, et que ce n'était pas

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moment, en présence des blanes, de songer à exercer des vengeances particulières; qu'il fallait oublier le passé. Sans Souci lai répondit: Général, vous vous opposez à ce que je fasse mourir Christophe; eh bien! vous vous en repentirez vous même plus tard. » Christophe, se voyant soutenu par la 43.e, déploya une rare énergie. Il s'élança, armé de son sabre et suivi de ses guides, sur Sans-Souci. Il lui demanda avec fureur s'il ne reconnaissait pas la supériorité de son grade; il le menaça de lui trancher la tête, s'il ne se soumettait pas à son autorité. Sans Souci, déconcerté, recula, l'appela général et lui demanda ce qu'il prétendait faire. Christophe lui dit qu'il reconnaissait donc qu'il était son chef, puisqu'il l'appelait général.-Le colonel Jn.-Philippe Daut, à la tète de la 10.e, demeurait indifférent à celle scène. Il dit à Pétion : « Géné, ral, ne nous mêlons pas de ce qui ne nous regarde pas. Laissons Sans-Souci s'arranger avec Christophe, comme il l'entendra. Que les gens du Nord fassent chez eux la guerre aux français; quant à nous, allons dans l'Ouest, notre pays, les combattre.» Il par· tit en effet, sur le-champ, à la tête de la 10.e, pour l'Artibonite. I traversa le Boispin, la Ravine à-Couleuvre et vint à Florenceau. Il se plaça aussitôt sous les ordres de Dessalines. Pétion, de son côté, après avoir obtenu de Sans Souci qu'il n'inquiétât plus Christophe, partit aussi, malgré ses instances, pour l'Artibonite, avec la 13e. Il arriva à la Petite Rivière à la fin de Novembre. Dessalines lui fit un accueil solennel, l'embrassa avec effusion et lui dit Je ne me suis ouvertement déclaré contre les français que parce que j'étais cer tain que vous aviez proclamé l'insurrection au haut du Cap.** Pétion lui raconta tout ce qui s'était passé aux environs du Cap depuis son entrevue avec lui à la Petite Anse. Il lui fit un tableau fidèle des dissensions qui existaient parmi les indigènes du Nord. Dessalines le confirma dans son grade de général de brigade, et lui fit occuper une maison en face de la place d'armes. Le même jour, il nomma Gabart général de brigade.

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Après que Pétion eut quitté le Nord, Christophe, abandonné de la plus grande partie des soldats de la 1.re et de la 2.e demi-brigade, s'était vu contraint d'aller se retrancher à Millot avec les hommes qui lui étaient demeurés fidèles. Il cacha sa famille dans les mornes de la Ferrière, et se tint en garde contre les pièges de Sans-Souci, De son côté, le capitaine-général Rochambeau songeait sérieuse* Après la mort de Dessalines, pendant la guerre civile, Pétion s'étonnait souvent que Christophe n'eut pas fait mourir Jean-Philippe Daut, qui, en 1802, avait presque partagé l'animosité de Saus-Souci contre lui. Il pensait que Christophe ne ménageait Jn-Philippe Daut que parce qu'il redoutait l'immense influence dont jouissait ce général sur les populations de l'Artibonite. ** La révolte de Pétion et celle de Dessalines furent presque simultanées. La prisé d'armes de Dessalines suivit, de moins de deux jours, celle de Pétion, comme on l'a vu.

ment à reconquérir les points que Leclerc avait été contraint d'abandonner. Le gouvernement avait centralisé au Cap presque toutes les forces du département du Nord. Rochambeau pensait que l'occupation du Fort Liberté serait de la plus haute importance, en cas de guerre avec l'Angleterre. Si les vaisseaux de S. M. B. bioquaient le Cap, les bâtimens de guerre, du commerce, et les navires neutres, viendraient atterrir au Fort-Liberté d'où des approvisionnemens pourraient être transportés à la Tortue et

St Nicolas par le cabotage, D'une autre part, l'occupation du Portde-Paix assurait aux français la navigation du canal de la Tortue. Si le Port-de Paix demeurait au pouvoir des indigènes, les établissemens de la Tortue seraient exposés à toutes sortes de dévastations par les invasions des indépendans de la grande terre, et les communications avec le Môle, par le cabotage, seraient interceptées.

Rochambeau ordonna au général Clausel de se mettre à la tête d'une expédition dirigée contre le Fort Liberté. Un bataillon de la 86.e demi-brigade de ligne, commandé par le colonel Lenormand, fut embarqué sur le vaisseau l'Annibal; les frégates l'Embuscade et la Guerrière, la corvette la Sagesse furent chargées de plusieurs autres corps et d'un bataillon d'artillerie. L'escadre se présenta devant le Fort-Liberté le 10 Frimaire (1.er Décembre), à deux heures de l'après-midi. Un bataillon de la 1.re demi-brigade indigène et un millier de cultivateurs occupaient la place que commandait Toussaint Brave. Le capitaine de vaisseau Guillemet s'embossa vis à-vis de la ville et la canonna; en même temps Clausel, à la tête de la 86.e, atteignit le rivage. Toussaint Brave, malgré la plus vigoumalgré la reuse résistance, fut contraint d'abandonner le fort Saint Joseph. dont s'emparèrent les grenadiers français. Les indigènes évacuérent la ville après y avoir mis le feu et avoir encloué 25 pièces de campagne. Clausel arrêta l'incendie qui ne consuma que einq maisons. Tous les canons du fort St Joseph tombèrent au pouvoir des français. Le général de brigade Lavalette, qui avait accompagné au Cap le général Rochambeau, déploya dans cette affaire beaucoup de zèle et d'intrépidité. Rochambeau publia dans toute la colonie ce premier succès obtenu sous son gouvernement. Il annonça que la France ne tarderait pas à envoyer de nouvelles forces à St-Domingue, et que toutes les positions abandonnées sous le gouvernement de Leclerc seraient reconquises. Il parla bien haut de la puissance de la France; il dit que son alliance était recherchée de tous les peuples. Il annonça que les consuls de la République avaient arrêté, le 19 Fructidor, qu'il serait sursis à toutes poursuites jusqu'au 1.er Vendémiaire an XVI, pour le paiement des sommes dues par les colons de St-Domingue au commerce national. Ceux-ci, attirés par les superbes promesses de Rochambeau rentraient en foule dans la colonie.

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