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taux, ces sujets deviennent, avec le temps, des géants destinés à faire place à d'autres géants.

Depuis longtemps peut-être il n'existe plus de forêts vierges dans nos contrées européennes on comprend d'ailleurs qu'aux époques reculées où les forêts couvraient une grande partie de l'Europe, ceux qui avaient besoin de bois les exploitassent sans aucun ordre, et l'exploitation des forêts devait alors consister seulement à abattre les arbres mûrs ou utiles, et à laisser se développer sur pied les arbres qui n'avaient pas cette utilité.

Plus tard, la propriété que possèdent certaines essences de se reproduire par la souche a inspiré la culture ingénieuse des taillis (sylva cædua), et la facilité de cette culture en a favorisé l'extension; mais l'inaptitude d'autres essences à ce genre de reproduction et l'impossibilité de se procurer dans les taillis des bois d'une certaine nature ont nécessité le maintien des résineux et même de bois feuillus en haute futaie (sylva alta).

L'exploitation par places disséminées, suivant l'âge ou la maturité des bois, indiquée à l'esprit par les procédés mêmes de la nature dans les forêts libres, paraît avoir été seule usitée anciennement, et est même encore aujourd'hui pratiquée sous le nom de jardinage (1), dans toutes les forêts en futaie, où les nouvelles méthodes de culture n'ont pas pénétré.

Or, c'est uniquement aussi par l'ensemencement naturel que se repeuplent les forêts jardinées, quand le drageonnage de certaines essences ne contribue pas à cette régénération.

La fructification des arbres réservés, mis en participation plus directe avec l'air par l'abatage de leurs voisins, réussit plus sûrement, et leurs semences ne tardent pas à regarnir d'un jeune peuplement le sol qu'ils recouvrent ou avoisinent la régénération par jardinage produit même des résultats tels, qu'en plusieurs forêts de montagnes, les forestiers préfèrent ce mode facile et élémentaire aux nouvelles méthodes de régé– nération, d'une application plus difficile et surtout moins heureuse dans certaines circonstances et dans certaines situations (2).

Mais si le jardinage a ses avantages, il a aussi de graves inconvénients, et c'est pour y obvier qu'on commença vers le seizième siècle à appliquer aux forêts en futaie, plus spécialement dépendant du domaine royal, l'exploitation à tire et aire, c'est-à-dire par coupes réglées de proche en

(1) La méthode du jardinage est mentionnée dans les articles 72 et 80 de l'ordonnance réglementaire du Code forestier.

(2) Nous avons aussi traité par le jardinage les forêts communales en futaie de chêne pur pédonculé, d'une luxuriante végétation, qui peuplent 4,000 hectares sur les riches alluvions de l'Adour et d'autres cours d'eau du département des Landes, si peu connu et cependant si intéressant au point de vue forestier.

proche, et sans intervalle de l'une à l'autre (1): il y a tout lieu de penser d'ailleurs que ce genre d'exploitation était déjà depuis longtemps usité dans les forêts en taillis, avant d'avoir été introduit dans celles en futaie.

Le traitement des forêts comprend deux parties distinctes: l'aménagement, autrefois appelé règlement des coupes, et la culture ou les moyens de reproduction. Avec le régime de tire et aire, l'aménagement des futaies consistait à établir, en commençant par les parties les plus âgées, des coupes annuelles de contenances égales et en nombre égal à celui des années de la révolution d'exploitation de la forêt : la reproduction s'opérait par l'ensemencement.

l'or

Le mode d'exploitation à tire et aire, prescrit pour les futaies, par donnance de François Ier de 1544, par celle de Henri IV de 1597, qui le caractérise par les expressions de proche en proche, est aussi consacré par la célèbre ordonnance de 1669.

Il n'est mentionné dans cette dernière qu'à l'article 11 du titre XXV, concernant les bois appartenant aux communautés et habitants des paroisses; mais il était pratiqué dans toutes les forêts en futaie de chênes du domaine royal, surtout dans celles des provinces les plus rapprochées de la capitale, séjour des grands maîtres, qui visitaient souvent ces forêts et y faisaient appliquer les dispositions de l'ordonnance de Louis XIV.

Il nous semble d'ailleurs que ce mode d'exploitation a été l'objet de critiques injustes, et qu'on lui a attribué à tort un dépeuplement qui tient à de tout autres causes, dont les unes sont inconnues dans l'histoire si ancienne et si obscure des forêts, mais dont d'autres, très-connues, continueront à produire les mêmes effets, tant que la société, toujours trop indifférente aux besoins de l'avenir, n'attachera pas plus de prix à la conservation d'un des dons les plus précieux du Créateur et ne se décidera pas à mettre un terme à la diminution de la production forestière.

L'exploitation à tire et aire n'était point un obstacle à ce que les forêts se régénérassent par des moyens naturels ou artificiels : depuis l'adoption des nouvelles méthodes de culture, certaines parties de forêts ont été et pourraient encore être exploitées de proche en proche, en coupes par contenances ou par volumes, sans que ce mode d'assiette et d'exploitation ait nui ou puisse nuire à leur repeuplement. Pourquoi donc la régénération des futaies de chênes aurait-elle été moins compatible avec le même mode sous le régime des anciennes maitrises forestières et de l'ordonnance de 1669?

(1) Baudrillart, Dictionnaire forestier. L'expression tire et aire signifie aussi l'abatage des arbres d'une coupe, d'une extrémité à l'autre, sans également rien laisser en arrière. C'est la signification que lui donne l'article 22 du cahier des charges générales pour l'exploitation des coupes.

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Il nous semble aussi qu'on n'est pas juste envers nos prédécesseurs dans la culture. Quant à nous, en songeant aux nombreuses et importantes futaies de chênes qui ont été abattues et qui ont pourvu aux besoins de la société depuis la suppression des maîtrises, en contemplant avec l'attention et l'admiration qu'elles méritent les magnifiques futaies de divers âges antérieurs à cette suppression, qui restent encore sur pied dans le Maine, le Perche, la Touraine, le Blaisois, le Bourbonnais, etc., nous pensons que les forestiers des temps présents auront fort à faire pour laisser aux générations à venir des forêts aussi belles que celles laissées par leurs devanciers. Nous ajouterons que si, dans ces anciennes forêts, ils rencontrent des parties faibles, leurs critiques doivent être d'autant plus mesurées, qu'avec l'expérience ils ne méconnaissent pas les difficultés de la culture forestière, et que quelques-uns sont même si peu sûrs des méthodes actuelles, qu'ils cherchent à les remplacer par d'autres, dans lesquelles cependant ils ne peuvent avoir plus de confiance, puisqu'elles ont été insuffisamment expérimentées jusqu'à ce jour.

L'article 11 du titre XV de l'ordonnance de 1669, concernant l'assiette, balivage, martelage et ventes des bois du domaine royal, dit qu'il sera fait choix de dix arbres en chacun arpent de futaye ou haut recru qui seront marqués pour baliveaux avec les pieds corniers, tournants et arbres de lisière; mais il ne s'ensuit pas que les officiers des maîtrises se bornaient nécessairement à marquer dix baliveaux par arpent (vingt par hectare), pour obtenir le repeuplement des coupes de futaie, et qu'ils négligeaient tous autres moyens d'assurer ce repeuplement.

Admettons que les forestiers actuels cherchassent à régénérer les futaies de chêne en se bornant à réserver vingt baliveaux par hectare, il se présenterait cette alternative ou le parterre de la coupe au moment de l'exploitation serait, sous le couvert des arbres à abattre, plus ou moins suffisamment peuplé de plants provenant de glandées ou de faînées récentes cet état de choses existe souvent dans les futaies âgées ou un peu claires; dans ce cas, l'exploitation, mettant à jour ce jeune peuplement, en assurerait la réussite, surtout celle du chêne; ou, ce qui arrive, quand les futaies à exploiter sont dans un état très-serré, le parterre serait dépourvu de jeunes plants: dans ce cas, la réserve de vingt baliveaux par hectare serait insuffisante pour le repeuplement; ces baliveaux ne pourraient ensemencer qu'une faible partie du terrain : la plus grande partie se couvrirait de bois blancs, de morts bois, souvent même d'arbustes parasites de la pire espèce, tels que bruyères, et pour prévenir cet état de choses et la ruine de la partie ainsi dégarnie de plants forestiers, il serait nécessaire de la repeupler par moyens artificiels, immédiatement après l'exploitation.

Or, les choses ne se passaient pas autrement du temps de nos prédécesseurs, et les officiers des maîtrises agissaient comme agiraient ou devraient agir les forestiers d'aujourd'hui dans des cas analogues. D'ailleurs, si on admet que les futaies laissées par les anciens forestiers ont pu sans leur concours se régénérer régulièrement et se développer avec tant de magnificence, on doit admettre cette conclusion, cependant absurde et journellement contredite par les difficultés de la culture des futaies de chênes soumises aux divers aménagements de l'homme, que la nature peut toujours pourvoir seule à leur reproduction dans les conditions d'ordre, de régularité et de produit nécessaires aux besoins des nations; que les forestiers sont par conséquent inutiles, et que les bûcherons préposés à l'abatage des forêts suffisent pour leur régénération.

Nous ne savons au juste de quelle manière les maitrises établissaient leurs coupes et si elles ne leur donnaient pas une largeur assez minime pour que dix baliveaux par arpent pussent suffire à les repeupler concurremment avec les arbres de limites et de lisières. Si on considère d'ailleurs

que le chêne est d'autant plus fécond en semences qu'il est plus âgé, que les maîtrises opéraient le plus souvent sur des futaies très-anciennes dans lesquelles le temps avait fait des trouées, découronné des cimes, ainsi que le démontrent d'anciennes descriptions, et éclairci par conséquent ces futaies d'autant plus qu'elles approchaient du terme de leurs tardives exploitations, il est certain que, par toutes ces causes, quantité de coupes étaient naturellement ensemencées et garnies d'un peuplement qui ne pouvait que se développer activement après des exploitations dans lesquelles on laissait trop peu de baliveaux pour l'empêcher de se développer.

Est-il admissible, s'il n'avait été de tout temps observé que les repeuplements s'opèrent sous le couvert des futaies âgées, que l'ordonnance de 1669, élaborée avec le concours des grands maîtres habitués à l'observation des faits forestiers, n'eût prescrit, pour assurer le repeuplement de ces futaies après leur abatage, qu'une réserve de dix baliveaux par arpent, quand dans les taillis elle en imposait une de seize, non compris la grande quantité de modernes et d'anciens dont la fonction principale était, comme elle est encore celle des arbres de cet ordre, de régénérer par la semence les forêts que la reproduction des souches s'usant avec le temps ne suffirait pas à perpétuer indéfiniment; que cette ordonnance eût ainsi privé les futaies de leur seul moyen de régénération naturelle, lorsqu'elle avait soin de prescrire ce moyen de régénération pour les taillis qui en ont un besoin moins urgent et moins immédiat? D'ailleurs, il importe de ne pas oublier que l'ordonnance de 1669, beaucoup plus explicite et plus complète sur ce point que le Code forestier

actuel et même que l'ordonnance réglementaire dont l'article 105 ne peut être considéré comme une prescription des moyens à employer pour la régénération des futaies, prévoyait les cas où les repeuplements naturels n'étaient pas ce qu'on avait espéré; car l'article 16 du titre III, sur les grands maîtres, donnait à ces derniers la faculté, s'ils reconnoissent des places vaines et vagues et des bois abroutis et rabougris, de les faire semer et repeupler pour les mettre en valeur, et l'article 3 du titre XXVII, concernant la police et la conservation des forêts recommandait aux mêmes grands maîtres de pourvoir à la semence et au repeuplement des places vides, que pendant leurs visites ils auraient trouvées dans l'enclos et aux reins des forêts.

On peut donc assurer que la culture forestière consistait, sous le régime à tire et aire, à mettre au jour par l'abatage des anciennes futaies, tous les jeunes peuplements auxquels elles avaient pu donner naissance, et à regarnir artificiellement par les moyens les plus convenables, les coupes qui n'étaient pas peuplées ou qui l'étaient incomplétement après leur exploitation.

Si les dix baliveaux réservés par arpent avaient l'inconvénient de gêner la croissance des jeunes plants, ils avaient souvent aussi leur utilité en devenant des porte-graines fertiles, comme le sont généralement les arbres isolés, et en produisant la semence nécessaire pour les repeuplements. Sans doute, après avoir toujours crù en massif serré, la plupart ne tardaient pas, dans leur isolement, à se couvrir de branches latérales et à sécher en cimé; mais les anciens procès-verbaux nous apprennent qu'au moment des recépages on abattait tous ceux qui étaient incapables de vivre plus longtemps. Quant aux arbres plus jeunes ou plus vivaces, lorsqu'en grandissant la nouvelle et jeune futaie les entourait et les pressait de toutes parts, les branches de leurs troncs séchaient à leur tour et la séve, forcée de remonter, formait une nouvelle tête: ces arbres, recommençant ainsi une nouvelle existence, se conservaient très-longtemps, et plu sieurs se retrouvent de nos jours au milieu des peuplements à la création desquels ils ont concouru.

Conformément aux intentions des anciennes ordonnances, les arbres ainsi réservés étaient des legs importants pour l'avenir. Ils ont été trèsprécieusement utilisés dans les forêts où on a su les exploiter en temps opportun malheureusement, dans d'autres forêts, on a eu le tort de les laisser dépérir de vétusté. Nous regrettons d'ailleurs, avec d'autres forestiers, qu'on ait renoncé à ces prévoyances des anciens règlements pour l'avenir, à ces errements de l'ancien traitement des forêts; car la brièveté des aménagements actuels rendrait encore plus utiles qu'autrefois dans les futaies de chènes, des réserves choisies dans les places les plus conve

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