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Une décision d'une autre nature, mais également importante, est récemment intervenue. Par un arrêt du 6 juillet courant, la Cour de Cassation a statué qu'en dehors du cas où des battues ont été ordonnées par les préfets, les lieutenants de louveterie ne peuvent s'introduire dans les forêts de l'Etat, pour y chasser les loups, qu'après s'être concertés avec les agents forestiers chefs de service. Il ne suffirait pas, ainsi que l'avait jugé la Cour de Rennes, par l'arrêt attaqué, que les officiers de louveterie donnassent à ces agents avis de leur intention de procéder à des chasses particulières pour la destruction des animaux dangereux; il appartient aux inspecteurs de décider si les chasses projetées sont nécessaires, et, dans le cas de l'affirmative, de déterminer le jour où elles pourront avoir lieu sans inconvénients pour le service forestier.

On sait que la loi du 28 juillet 1860, relative à l'exécution des routes forestières, et celle à la même date, concernant le reboisement des montagnes, autorisent le ministre des finances à aliéner, avec faculté de défrichement, s'il y a lieu, des bois de l'Etat, jusqu'à concurrence de 7.500,000 francs. Nous avons sous les yeux l'état des bois qui pourront être aliénés en vertu de ces deux lois. Ils forment une contenance totale de 9,305 hectares, 55 centiares, dont 1,595,98 pour les routes forestières, et 7,709,57 pour le reboisement des montagnes. Ce sont les 19 et 29e conservations qui fournissent le plus fort contingent. La 19 figure au tableau pour 2,434,28, composés de dix parcelles appartenant toutes à la forêt d'Orléans; et la 29°, pour 5,223,93, comprenant trente-sept parcelles situées tant dans le département de la Gironde que dans celui des Landes. La plupart de ces parcelles proviennent des repeuplements effectués dans les dunes de Gascogne par l'administration des pouts et chaussées.

Après les deux conservations que nous venons de désigner, celles qui entrent pour la plus forte part dans la masse des bois à aliéner sont: la 26°, pour 540,48, situés dans le département du Var, et la 9e, pour 443,39, situés dans le département des Vosges. C'est la 15 qui fournit le plus faible contingent: il s'élève à 5,94, faisant partie de la forêt de La Trappe (Orne). Vient après, la 1re conservation, qui est portée pour 324,22, appartenant à la forêt d'Halatte (Oise).

En dépit des bruits qui avaient circulé sur la répugnance d'un certain nombre de producteurs français à se présenter à la grande exposition universelle, qui s'ouvrira à Londres le 1er mai 1862, on nous assure que le ministère de l'agriculture, du commerce et des travaux publics a déjà reçu un nombre de demandes d'admission qui dépasse toutes les espérances. Nous avons tout lieu de croire que les sylviculteurs ne sont pas restés en arrière de ce mouvement, et qu'ils ont tenu à honneur de faire figurer à cette grande solennité les objets propres à donner à nos voisins d'outre-Manche, une idée suffisamment exacte des immenses travaux de boisement qui ont été exécutés ou qui sont en cours d'exécution sur différents points de la France, et notamment dans les Landes et en Sologne. Voici, selon nous, de quoi devraient se composer les exhibitions sylvicoles. S'il s'agit de travaux de boisement, de quelques exemplaires de plants ou de graines des essences employées, d'échantillons de terrains placés dans de longues éprouvettes de verre, enfin, d'une étiquette indiquant le nombre d'hectares repeuplés et le prix de revient de l'hectare. S'il s'agit, au contraire, de forêts en pleine exploitation, d'échantillons des essences ou des produits les plus importants, toujours avec l'indication des prix. Faite dans ces conditions, une exhibition sylvicole n'occasionnerait que des frais très-minimes, et elle aurait certainement pour résultat d'ouvrir à nos forêts d'importants débouchés, en faisant connaître aux Anglais, toujours en quête de bois, les immenses ressources qu'elles recèlent encore. Nous espérons bien aussi voir figurer l'année prochaine, à Londres, cette magnifique collection de l'Ecole forestière, si remarquée, et à si juste titre, au grand Concours agricole de 1860.

L'empereur de Russie avait nommé, en 1860, M. Parade, chevalier de l'ordre de Saint-Stanislas (3e classe). Une nouvelle distinction vient d'être accordée à l'éminent directeur de l'Ecole forestière. Par décret (carta regia) du 6 février 1861, S. M. le roi de Portugal l'a nommé chevalier de l'ordre de Notre-Dame-de-la-Conception de Villa-Viçoza.

REBOISEMENT DES MONTAGNES.

Il est peu d'entreprises d'intérêt public qui aient donné lieu à autant de controverses que le reboisement des montagnes. Tandis que beaucoup de bons esprits hâtaient de tous leurs vœux l'accomplissement de cette œuvre de salut pour plusieurs de nos départements du Midi, quelques sceptiques, à l'aspect de l'immense désastre dont nos principales montagnes sont le théâtre, déclaraient inutile, sinon impossible, la restau

ration de ces ruines.

Ces discussions ne sont pas restées stériles. Envisagée sous tous ses aspects, fouillée dans toutes ses profondeurs, la question du reboisement des montagnes a fini par se poser nettement devant l'opinion publique. « La question est si bien comprise aujourd'hui, » dit M. Parade, dans un excellent travail sur le reboisement des Alpes (1), « et le remède à appliquer, connu si généralement, qu'il n'y a, pour ainsi dire, plus un campagnard dans ces départements (pour peu qu'il soit intelligent), qui ne sache expliquer l'une et indiquer clairement l'autre. »>

Au surplus, la discussion de principe est close. La loi du 28 juillet 1860 a inauguré l'ère des faits. L'œuvre est commencée, et déjà nous avons pu admirer de très-beaux spécimens provenant de semis effectués au printemps dernier, sur l'un des points les plus abruptes des Pyrénées. La grande opération confiée à l'administration des forêts ne manquera pas d'être suivie avec un vif intérêt.

Nous entreprenons pour les lecteurs des Annales le compte rendu des travaux exécutés en vertu de la loi du 28 juillet 1860. Le mot de compte rendu définit avec précision le caractère de notre exposé. Nous n'entendons, en effet, ni professer, ni donner de conseils. Nous enregistrerons les résultats des travaux qui parviendront à notre connaissance, nous mentionnerons les méthodes employées, les procédés pratiqués, les essais tentés, et notre but sera atteint si nous avons pu servir d'intermédiaire à quelques indications utiles, ou seulement donner satisfaction à une légitime curiosité.

(1) M. Parade, directeur de l'Ecole forestière, a été chargé, au mois de septembre 1860, d'explorer les Alpes au point de vue du reboisement. Il nous a été donné de lire le rapport qu'il a présenté à la suite de cette mission. M. Parade nous pardonnera de faire à ce remarquable travail quelques emprunts dont profiteront tous ceux qui connaissent la haute autorité du directeur de l'Ecole dans toutes les matières qui se rattachent à l'intérêt forestier.

AOUT 1861.-4o SÉRIE.-T. VII.

T. VII.-17

On a plus d'une fois exprimé le regret que la loi du 28 juillet 1860 se soit proposé un objet trop restreint, et qu'au lieu de se borner à prescrire des reboisements proprement dits, elle n'ait point envisagé la question au véritable point de vue de la régénération des montagnes. Une loi faite pour les montagnes n'aurait peut-être pas dû, a-t-on dit, laisser de côté l'intérêt principal des montagnes, c'est-à-dire le pâturage. Il n'est personne, en effet, qui n'attribue la ruine des contrées montagneuses, principalement aux abus du pâturage. Peut-être aurait-il done fallu aller droit à la cause du mal et la combattre par tous les moyens possibles, tout en apportant d'ailleurs, dans cette tâche réparatrice, tous les ménagements que commande le soin d'humbles et respectables intérêts.

Ce n'est pas sur ce terrain que le législateur a voulu placer la question. En présence des 1,100,000 hectares, formant la partie dénudée des montagnes, la régénération de cette immense superficie a paru une eutreprise trop vaste, et on a préféré limiter l'œuvre, quant à présent, à la création d'un certain nombre de « massifs de 800 à 2,000 hectares (1), » devant former -«en dix ans, un repeuplement en montagne de 90, peut-être de 100,000 hectares, »> » et destinés à « protéger un nombre considérable de points menacés. »

Toutefois, le législateur n'a point pensé que, cette tâche terminée, l'œuvre serait accomplie. « Il ne faudrait pas croire, » a dit l'honorable rapporteur de la Commission chargée, au Corps législatif, de l'examen du projet de loi, « qu'après l'adoption de la loi proposée, rien ne restera à faire pour le reboisement, tant demandé et si nécessaire, de nos montagnes. Un premier pas seulement sera fait dans cette voie..... Mais ce premier pas ne doit marquer que le point de départ, et votre Commission appelle de tous ses vœux le moment où des mesures plus larges pourront vous être proposées. »>

Il pouvait donc être à craindre que, trop timide dans ses moyens d'action, la loi de juillet 1860 ne fût impuissante à produire les effets salutaires qu'on en attendait. L'administration des forêts a heureusement trouvé le moyen d'élargir le cadre de ses opérations et de ramener, autant que possible, la question sur son véritable terrain. Ce moyen, elle l'a rencontré dans la loi sur la mise en valeur des terres communales incultes. Dans les montagnes, les terres de cette catégorie ne sont, en général, autre chose que des vacants plus ou moins ruinés, tombant par conséquent à la fois sous l'application de la loi qui vient d'être citée, et de la loi sur le reboisement des montagnes. Ces deux lois semblent donc destinées

(1) Exposé des motifs du projet de loi sur le reboisement des montagnes présenté par le Conseil d'Etat au Corps législatif, en exécution du décret du 2 mars 1860.

à se compléter réciproquement, et de leur exécution combinée doit résulter, avec toute l'efficacité désirable, l'amélioration des terrains en montagne. L'administration des forêts a demandé qu'une Commission mixte fût instituée, afin de régler les mesures à prendre pour cet objet. Nous ferons connaître ultérieurement le résultat de cette importante démarche.

Tout repeuplement en bois effectué dans les terrains dénudés en montague, concourt à l'œuvre d'intérêt général, dite reboisement des montagnes. Mais les travaux de cette nature n'intéressent pas tous au même degré le bien public. Leurs résultats, au point de vue de la création des obstacles aux ravages des inondations, ont plus ou moins d'importance, suivant l'état général de la contrée et suivant la situation particulière de chaque terrain. Aussi la loi a-t-elle divisé les reboisements en deux catégories principales, savoir: ceux dont l'initiative est laissée aux propriétaires du sol et que l'Etat encouragera à l'aide de subventions; ceux dont le Gouvernement poursuit d'office l'exécution, par les soins de l'administration des forêts, après déclaration, par décret impérial, de l'utilité publique des travaux.

Les premiers sont dits reboisements facultatifs; les seconds, reboisemeuts obligatoires.

Les auteurs du projet de loi de 1860 paraissent avoir beaucoup compté sur l'effet des promesses de subventions pour exciter l'initiative et stimuler la bonne volonté des propriétaires de terrains à reboiser. Ces prévisions pourraient ne pas se réaliser complétement. La création d'un bois est une entreprise rarement tentée par les communes, plus rarement encore par les particuliers: la tendance générale est, au contraire, vers le défrichement des bois existants. Il n'y a pas lieu de s'en étonner. Dans ce temps de fiévreuse activité industrielle, les spéculations à longue échéance ne sont pas de mode. Les semis et les plantations donnent des promesses sûres, mais lointaines, dont peu de propriétaires se soucient d'attendre la réalisation. Que les frères Saint-Denis aient fait leur fortune en plantant en pins sylvestres et en laricios de mauvaises terres de la Champagne; que dans certains départements du Midi, dans les Pyrénées-Orientales notamment, les repeuplements en châtaigniers soient très-promptement et très-largement fructueux; de tels exemples sont rares, et ce n'est point d'ailleurs à soutenir d'aussi bonnes opérations que seront employées les subventions de l'Etat.

Ces subventions s'adressent principalement aux contrées montagneuses, où les conditions les plus rudes et les plus difficiles se trouvent réunies.

Là, la terre est rare, le climat rigoureux, la végétation lente et le bois de peu de valeur, à cause des difficultés du transport. Là, les habitants sont pauvres, adonnés aux habitudes insouciantes et oisives que donnent les mœurs pastorales. Ou ne saurait attendre d'eux, ni sacrifices qu'ils sont impuissants à faire, ni efforts qu'ils se soucieront peu de tenter pour un résultat éloigné.

Aussi, les populations des montagnes ne paraissent-elles pas s'être encore beaucoup émues des promesses que l'administration des forêts s'est efforcée de répandre parmi elles, au nom de l'Etat. Les demandes de subventions ont été, jusqu'à ce jour, peu nombreuses et peu importantes.

Elles se multiplieront sans doute, surtout de la part des communes, lorsque les dispositions de la loi seront mieux appréciées, et lorsque les conseils des agents forestiers et l'influence des autorités départementales, auront pu produire leur effet sur les administrations municipales, difficiles à ébranler dans les pays de montagnes. L'administration forestière doit compter beaucoup à ce sujet sur les résultats de la prochaine session des Conseils généraux. Nous croyons savoir que ces assemblées, fortement stimulées par les agents forestiers et par les préfets, se proposent de prêter un concours très-actif à la direction générale des forêts.

Il n'a encore été effectué de reboisements, à l'aide de subventions de l'Etat, que sur environ 700 hectares appartenant à soixante-dix communes, et sur 150 hectares appartenant à cent quarante et un particuliers.

Ces travaux ont eu lieu dans les départements du Puy-de-Dôme, de l'Ardèche, du Gard, de l'Isère, des Hautes-Alpes, de la Drôme, de l'Aude, des Pyrénées-Orientales, de Vaucluse, des Basses-Alpes, du Cantal et de la Savoie, à une altitude variant de 500 à 2,000 mètres audessus du niveau de la mer.

L'Etat a fait effectuer dans les terrains domaniaux, au printemps dernier, sur les fonds du reboisement des montagnes, des repeuplements sur 693 hectares dans l'Ardèche, le Gard, l'Isère, l'Ariége, l'Aude, le Tarn, les Pyrénées-Orientales et le Cantal.

L'étendue des reboisements facultatifs déjà exécutés serait donc d'environ 1,550 hectares.

Ces reboisements ont été effectués principalement en épicéas, pins noirs d'Autriche, pins sylvestres, mélèze, aylanthe et robinier. Nous dirons en passant que les grandes espérances qu'on avait fondées sur cette dernière essence ne se sont qu'incomplétement réalisées. Il est résulté des nombreux essais tentés, notamment dans l'Ariége, que le robinier, qui réussit passablement dans les parties inférieures des montagnes, paraît ne pas pouvoir résister aux rigueurs du climat dans les parties élevées.

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