Page images
PDF
EPUB

en partie tout au moins, dans le pays qui est aujourd'hui le plus grand marché de bois du monde entier, dans le Canada.

Chacun sait que notre ancienne colonie n'est, pour ainsi dire, qu'une vaste forêt de quatre mille lieues carrées, ayant pour chemins de vidange. des lacs et des fleuves magnifiques, et dans lesquelles de véritables armées de bûcherons, de lumberers, comme on les appelle, abattent chaque année de 8 à 10 millions de mètres cubes de bois de construction, dont la plus grande partie est exportée aux Etats-Unis et surtout en Angle

terre.

Les principaux marchés sont Québec et Montréal. Dans chacune de ces villes, on a établi, afin de mettre les acheteurs à l'abri de la fraude, des surintendants des bois, c'est-à-dire des employés ayant pour mission de mesurer les bois à vendre pour l'exportation, de les classer par catégories de qualité et de faire mettre au rebut tous ceux qui ne leur paraissent pas avoir une qualité marchande. Chaque pièce est estampillée par eux d'une marque faisant connaître la catégorie à laquelle elle appartient. La lettre M indique un bois marchand, c'est-à-dire ayant les qualités et les dimensions requises; la lettre V, les bois de bonne qualité et sains, mais au-dessous de la mesure marchande. La lettre S sert à désigner les bois de deuxième qualité; la lettre T, ceux de troisième qualité, et enfin la lettre R, les bois de rebut, non susceptibles d'être vendus. Ce sont là certainement des garanties sérieuses que doit grandement apprécier le commerce étranger.

Reste à savoir si les bois du Canada ont les qualités que nous recherchons, et si en outre nous pourrions nous les procurer à des prix qui nous permettraient de les importer avec avantage.

Nous reconnaissons tout d'abord que les bois du Canada n'ont pas chez nous une bien bonne renommée. On les tient eu général pour mous, peu résistants et de courte durée. Ce qui nous porterait à croire qu'ils valent mieux que la réputation qu'on leur a faite en France, c'est que chaque année il s'en importe des masses énormes chez les Américains et les Anglais, qui ne passent pas cependant pour être inhabiles en matière commerciale. Ce que nous aurions de mieux à faire en cette occasion, ce serait de mettre ces bois à l'essai sur une assez grande échelle pour que l'expérience fût concluante, en supposant toutefois que leurs prix pussent nous convenir.

Sur les quais de Montréal et de Québec, on peut se procurer des bois à des prix assurément fort raisonnables, ainsi qu'on en pourra juger par les quelques chiffres que nous donnons ci-après; mais il en coûte fort cher, en ce moment surtout, pour les transporter dans nos ports.

D'après les renseignements fournis par le consulat français, le fret

pour le Havre ou Bordeaux ne s'élèverait pas à moins de 25 à 28 francs par mètre cube.

Ce sont là, il est vrai, à ce qu'on nous assure, des prix presque exceptionnels; toutefois il ne faut pas se dissimuler que, même en temps ordinaire, le fret entre le Canada et la France se maintient à un taux relativement assez élevé. Cela tient évidemment à ce qu'il ne s'est pas encore établi de trafic direct et suivi entre les deux pays, et que tout commerce avec la colonie anglaise se fait par navires étrangers. Si nos navires allaient porter aux habitants de Québec, de Montréal, de Kingston ou de Toronto nos vins, nos eaux-de-vie, nos porcelaines, nos belles étoffes de soie, de laine et de coton et aussi notre tabac, le tabac de caporal, qui, à ce qu'il paraît, fait les délices des Franco-Canadiens, pour rapporter en retour du pin du Lord ou de l'épinette blanche et rouge, tout porte à croire que le fret ne tarderait pas à baisser sensiblement.

Il est clair, du reste, que les Canadiens ne demandent pas mieux que de nouer des relations avec nous et de nous prendre nos produits en échange des leurs. Les nombreux envois qu'ils avaient faits à l'exposition de 1855, les documents de toute nature qu'ils envoient fréquemment au ministère du commerce, pour être livrés à la publicité, les échantillons de bois qu'ils nous ont récemment expédiés, en sont une preuve manifeste. Malheureusement, les quelques envois de marchandises que nous leur avons faits et que nous leur faisons de temps à autre, par l'intermédiaire des négociants anglais ou américains, n'ont pas été en général de nature à leur donner une haute idée de notre moralité commerciale. Il paraît surtout que certains de nos commerçants ont traité ces frères d'outre-mer en véritables frères ennemis et qu'ils leur ont expédié des vins de Bordeaux horriblement frelatés (1)... De pareilles pratiques ne sont certainement pas faites pour multiplier nos relations avec les Canadiens; aussi ces derniers insistent-ils sur la nécessité d'établir dans les lieux d'expédition des bureaux analogues à ces surintendances qui existent maintenant partout dans l'Amérique du Nord, et qui seraient chargés de contrôler sévèrement toutes les marchandises destinées à être exportées. Revenons aux bois du Canada.

Dans notre numéro de novembre, nous avons dit déjà quelques mots sur les échantillons de bois récemment exposés au ministère du commerce. Aujourd'hui nous sommes en mesure de donner quelques renseignements sur ceux d'entre eux qui offrent le plus d'importance.

Pin blanc. C'est le pinus strobus, le pin du lord Weymouth; cette essence est aujourd'hui assez répandue en France, mais elle y donne

(1) Voir Annales du commerce extérieur, no 1267.

un bois de qualité très-inférieure; il n'en est pas de même au Canada, où son bois est très-estimé et sert à une foule d'usages. Il est léger, tendre, très-facile à travailler, peut se couper sans difficulté dans tous les sens, et en outre il dure longtemps, quand on l'emploie à l'abri de l'humidité. Son principal défaut est de manquer de nerf. Sa pesanteur spécifique, d'après Emerson, est de très-peu supérieure à celle du peuplier. L'échantillon envoyé par M. Veneer a les couches concentriques assez larges, beaucoup moins cependant que celles de l'échantillon qui figurait à l'exposition de l'Ecole forestière au Concours agricole, échantillon qui provenait d'un weymouth crû en France. On trouve beaucoup de billes qui ont 1m, 20 de diamètre sur 25 mètres de hauteur. On en fait des mâts et des bordages de bâtiments, de la charpente, des bardeaux, etc. Comme bois de menuiserie et d'ébénisterie, il est très-recherché. On l'expédie en pièces équarries, en planches et en madriers.

L'Angleterre en importe annuellement plus de 400,000 mètres cubes. Son prix est de 15 à 20 francs le mètre cube, pris à Québec (1).

Pin rouge. Les indications fournies par le docteur Emerson dans son ouvrage sur les arbres du Massachusets nous portent à croire que cette essence n'est autre que celle à laquelle, dans les Etats-Unis, on donne le nom de pin jaune (yellow pine). Cette dernière essence est une variété du pinus rigida, le pitch pine, ou pin à poix des Américains. Il est employé aux mêmes usages ou à peu près que le pin blanc, mais son prix est un peu plus élevé. On en a exporté en 1859 plus de 47,000 mètres cubes.

Epinette rouge ou spruce. C'est, croyons-nous, l'abies canadensis. D'après les renseignements fournis par le consulat français, ce serait un des meilleurs bois du Canada, surtout pour la durée. Sa pesanteur spécifique est au moins égale à celle du pin blanc, mais il a le grain plus serré et il est moins cassant; les billes ont en moyenne 50 centimètres de diamètre sur 13 à 14 mètres de hauteur. On en fait des membrures de bâtiments, des traverses de chemins de fer, etc. L'exportation n'en est pas considérable; en 1859, elle n'a pas dépassé 2,000 mètres cubes.Son prix est à peu près le même que celui du pin blanc : 20 à 25 francs le mètre cube.

Orme. On en compte cinq ou six espèces; mais la meilleure est à beaucoup près celle qu'on désigne ordinairement sous le nom d'orme de roche, rock elme. L'échantillon qui est au ministère et qui appartient à cette dernière espèce indique un bois très-fort, très-dur et ayant beaucoup

(1) Ces prix et ceux ci-dessous sont extraits du Prix courant de la maison Forsyth, Bell et Ce.

JANVIER 1861.-4 SÉRIE. -T. VII.

T. VII. - 3

de nerf. Il est d'un beau grain, mais il paraît qu'il est sujet à se fendre. Il se vend de 25 à 50 francs le mètre cube, suivant la qualité et les dimensions. On trouve des billes de 90 centimètres de diamètre sur 10 mètres environ de hauteur. Il s'en est exporté en 1859 environ 30,000 mètres cubes.

Chêne. L'échantillon envoyé est du chêne blanc, quercus alba. Il paraît que cette espèce présente à peu près les mêmes qualités que nos chênes. On en a exporté en 1859 plus de 30,000 mètres cubes. Son prix varie de 58 à 55 francs, suivant dimensions et qualités.

Merisier. C'est un des plus beaux bois du Canada. Il est d'un grain très-serré, nuancé de rouge et prend un beau poli. C'est un bois trèsfort, mais qui résiste peu aux intempéries de l'air. On en exporte une certaine quantité en Angleterre, où il est recherché pour la fabrication des meubles. En 1859, on en a envoyé à l'étranger 8,000 mètres cubes environ. Il se vend de 40 à 50 francs.

Tilleul.- En Amérique on le désigne sous le nom de basswood. C'est un bois léger et assez fort en même temps, qui se travaille très-facilement et ne se fendille jamais. On en fait des panneaux de voitures, des sabots, de la vaisselle de bois, des bobines, etc. Il est très-recherché en Amérique, mais on le connaît peu en Europe. Son prix varie de 32 à 45 francs le mètre cube.

Nous avons aussi remarqué plusieurs échantillons en bois très-propre à l'ébénisterie, entre autres, l'érable à ceil d'oiseau, bird's eye maple (acer spicatum), qui est admirablement moucheté ; l'érable rouge, curly maple, bien ondé ; l'érable à sucre, qui, dit-on, devient dur comme de la corne en vieillissant, et le cèdre rouge, de couleur lie de vin. Cette dernière essence nous paraît pouvoir être employée avec avantage pour l'ébénisterie. A.-F. D'H.

REVUE MÉTALLURGIQUE.

Il y a juste un an, nous disions dans ce journal, à propos de la célèbre lettre du 5 janvier et du traité de commerce annoncé par elle : « Si les tarifs, comme tout le fait craindre, sont modifiés de manière à permettre aux Anglais de venir faire à nos produits métallurgiques, sur notre propre marché, une concurrence véritablement sérieuse, les maîtres de forges

ne pourront guère soutenir la lutte qu'aux dépens des propriétaires de bois. >>

Ces prévisions, que l'on pourrait appeler conditionnelles, ne se sont pas jusqu'à présent réalisées, nous nous faisons un devoir de le constater. Nous n'avons pas encore vu les fontes et les fers anglais venir inonder notre marché français, renversant sur leur passage nos forges et nos hauts fourneaux; la lutte que nos maîtres de forges s'apprêtaient à soutenir, mais en s'avouant d'avance vaincus, contre leurs confrères d'Ecosse et du pays de Galles, n'a pas encore eu lieu, et nos propriétaires de bois, ce qui nous intéressait plus particulièrement, n'ont pas eu à payer de frais de guerre; les dernières ventes l'ont prouvé.

D'où vient que les choses ont tourné d'une aussi heureuse façon ? Nos maîtres de forges s'étaient-ils trop hâtés de pleurer sur les ruines de leurs hauts fourneaux éteints? Ceux d'Angleterre étaient-ils moins redoutables qu'on ne nous les avait faits? Les tarifs avaient-ils été maintenus à une hauteur suffisante pour empêcher les rails et les laminés anglais de franchir la frontière en quantité véritablement inquiétante pour notre industrie métallurgique et surtout pour ses ouvriers? Nous ne saurions dire au juste, car il nous est bien difficile de distinguer la vérité vraie dans cette mêlée d'allégations et de chiffres contradictoires, qui se sont produits et se produisent encore des deux côtés de la Manche, à propos de la question qui nous occupe; toujours est-il que les libres échangistes et les protectionnistes nous paraissent avoir en ce moment une physionomie tout autre qu'il y a six mois. A cette époque, les premiers rayonnaient de joie; leurs théories allaient enfin recevoir un commencement d'application. On ne se disposait pas encore à faire liquider la retraite du dernier des douaniers, mais on avait le ferme espoir que cette mesure administrative ne se ferait plus désormais attendre bien longtemps. La vie à bon marché, l'abondance et la paix, filles légitimes du commerce libre, ne devaient plus tarder à descendre sur cette terre et pour ne plus la quitter.

Aujourd'hui il est facile de remarquer quelque désappointement dans les rangs de la secte, comme on disait autrefois. Le Moniteur est venu lui apprendre qu'au point de vue de l'importation et de l'exportation les choses s'étaient passées, en 1860, à peu près de la même manière qu'en 1859; que nos importations en fers et en fontes n'avaient pas sensiblement augmenté, et que même, chose assez singulière, nous avions exporté en Angleterre, dans les derniers mois de 1860, moins de vins que dans les mois correspondants de 1859. L'abondance et la vie à bon marché restent toujours comme devant à l'état de desiderata et nous ne voyons pas que les chances de paix aient grandement

« PreviousContinue »