Page images
PDF
EPUB

de manière à laisser supposer que le bûcheron avait pu faire disparaître l'empreinte de l'Etat.

« Quand l'arbre était abattu, on disposait près du tronc des ételics provenant d'arbre réellement frappés du marteau légal. Cette supercherie a été reconnue lors de la dernière descente de la justice sur les lieux. Il a été également constaté que Jean Roch, se trouvant près d'un arbre dont on détachait une fausse marque, présenta à M. l'inspecteur des forêts une ételle qu'il prétendit avoir prise dans. les copeaux résultant de l'abatage; et qui portait réellement l'empreinte légale. L'inspecteur s'approcha d'un autre arbre frappé au pied du faux poinçon et blessé au tronc de deux flaches, dont les éclats étaient sur le sol. Deux de ces ételles provenaient d'une des flaches et se rapportaient parfaitement aux entailles. Une troisième ételle s'adaptait à l'autre flache, et par la forme et par les veines; la quatrième, au contraire, n'appartenait point à l'arbre, et c'était justement celle qui portait l'empreinte de l'Etat.

Pour retrouver les arbres disséminés sur de grandes surfaces, les frères Roch avaient soin de pratiquer, à une hauteur de 2 mètres environ, un léger cran ou érafflure, qui simulait exactement la trace des crampons dont se servent les ébrancheurs pour grimper sur les arbres, et qui, par conséquent, ne pouvaient, en aucune façon, attirer l'attention des agents forestiers.

« On a aussi constaté que sur la mousse recouvrant les blanchis, des brins de bruyère ou de petites branches de sapin avaient été placés pour servir de points de repère.

«Il va sans dire que les arbres frauduleusement compris dans la coupe étaient toujours choisis avec intelligence. Quelques-uns, cependant, avaient été signalés, comme celui dont parle le brigadier Pierre, pour leur force et leur vigueur, par l'inspecteur comme ne devant pas être abattus. C'est cette circonstance qui fit tout découvrir; car, lors du récolement, les frères Roch se trouvaient toujours en mesure de faire cadrer le nombre des arbres abattus avec les chiffres énoncés par le procèsverbal d'adjudication. Le sol ne présentait aucune trace de leurs vols. Ils avaient coupé plus bas que rez terre tous les brins, tous les arbres de faible dimension; les trous se trouvaient comblés de terre et recouverts de mousse. Aux termes des règlements en vigueur, les frères Roch étaient prévenus dix jours à l'avance que les récolements allaient avoir lieu; ils profitaient de ces dix jours pour sauver toutes les apparences.

« Telles sont, en résumé, les dépositions des témoins en ce qui regarde Ch. Roch, Nous négligeons les détails relatifs aux bûcherons, ces détails sont maintenant sans intérêt. Les malheureux, que la justice ne veut pas retenir, sont assez punis de l'obéissance qu'on pouvait leur reprocher. Ils savent maintenant quel doit être le sort de l'ouvrier, assez faible pour obtempérer aux ordres d'un patron qui ne craint pas de forfaire à l'honneur. Ils savent surtout, et ils ne manqueront pas de dire avec nous, avec M. le procureur impérial, qui, tout en leur reprochant leur imprudence, a sollicité pour eux la clémence du jury, que les propriétés de l'Etat sont des propriétés sacrées, et qu'on leur doit le respect le plus profond.

« Quant à Ch. Roch, M. le procureur impérial nous l'a montré comme un homme très-habile, très-impudent, qui impose par sa fortune et par sa position dans le monde des affaires. Charles Roch était l'àme de l'association. Le jour du châtiment est venu pour lui. La justice ne demande pas compte aux malheureux seulement, il faut aussi qu'elle frappe les coupables haut placés; il faut que chacun incline la tête devant elle, parce qu'elle doit protection à tous !

« L'administration forestière recevra de la Cour les justes éloges que mérite sa vigilance. Les rumeurs que l'on a fait courir contre elle seront détruites : tous les voiles seront déchirés. Si nous nous trouvons en présence d'une tombe ouverte par le suicide, si nous savons qu'il y a dans le canton de Rambervillers un homme que le chagrin a peut-être rendu fou, si nous voyons un accusé luttant à la fois contre la mort qui le menace et contre une condamnation pire que la mort, c'est la justice de Dieu qui se fait sentir avant celle des hommes! Le jury des Vosges a donné trop de preuves de son indépendance pour qu'on puisse craindre de le voir céder à certaines sollicitations, dont le parquet lui-même n'a pas toujours été exempt. Il appréciera les aveux de Jean Roch et l'attitude de Charles. Il n'oubliera ni les faits constatés par l'administration forestière, ni les dépositions des témoins. Tout démontre que Charles Roch est coupable. »

M. le procureur impérial suit pas à pas les complices dans leurs évolutions, et, comme il l'a dit au début, les ténèbres ont disparu quand cesse l'énergique réquisitoire de l'honorable orateur.

Me Leroy, un ami de la fa mille qui tombe, s'efforce de lutter contre l'accusation. « Ce n'est pas, dit-il, sans une bien triste et bien douloureuse émotion que je viens vous présenter la défense de ce malheureux. Charles Roch est pour moi plus qu'un client ordinaire, c'est un homme dont, pendant vingt ans, j'ai pu apprécier la loyauté et le dévouement, et il faut que j'élève aujourd'hui la voix pour écarter de sa tête la peine infamante que réclame l'organe de l'accusation!

« Il y a quelques années à peine, le succès semblait couronner tous les efforts des frères Roch. Ils étaient environnés de l'estime publique et honorés de la confiance du tribunal. Leurs ennemis eux-mêmes étaient forcés de proclamer la loyauté commerciale des frères Roch. Ils pouvaient espérer qu'une vieillesse heureuse et tranquille serait la récompense de leurs travaux et de leur activité, et voilà tout à coup la fatalité qui vient appesantir sur leurs têtes sa main de plomb! »

Me Leroy fait ici un lugubre tableau; puis, il se plaint de n'avoir eu que quatre jours pour préparer sa défense. Il aurait voulu faire renvoyer l'affaire à une autre session; mais son client s'y est opposé. « Ch. Roch, dit l'honorable avocat, craint de mourir avant l'heure de sa réhabilitation! S'il existe un faux marteau, ce n'est pas Charles Roch qui s'en est servi, ce n'est pas lui qui a tiré profit des arbres illégalement abattus. Il a tout ignoré. Jean Roch recevait un traitement annuel de 600 francs pour gérer la société. Son frère a voulu se séparer de lui en 1858, parce que l'association ne lui rapportait rien.

« Une lettre écrite à cette époque justifie en effet cette assertion; elle est adressée à un ami d'Epinal, et porte le timbre de la poste.

«En 1848, les trois frères Roch jouissaient de la confiance publique. La fortune leur avait souri jusqu'alors; mais alors aussi ils avaient de nombreuses coupes à réaliser, la vente des bois de construction s'opérait lentement et avec des pertes. Il fallut liquider et solliciter un concordat. Les frères avaient rendu quelques services à l'ordre public. Ils avaient donné du pain à de nombreux ouvriers. C'était pour eux un titre de gloire. Comment pourrait-on maintenant leur faire un crime du dévouement des bûcherons qui les ont servis depuis cette époque ? Ils perdirent alors plus de 100,000 francs; mais l'Etat ne subit aucun dommage. »

«S'il faut une expiation à la justice, s'écrie en terminant Me Leroy, souvenezvous au moins, messieurs les jurés, que Charles Roch a déjà perdu ses deux frères, et que son fils, un enfant qu'on ne pouvait pas racheter, cst allé mourir sous les drapeaux de la France. Voici la lettre que Victor Roch écrivait à sa famille le jour

même où il tombait sous les murs de Sébastopol, frappé par une balle russe... « Pourquoi me parler de la France ? Depuis longtemps je vous ai dit à tous un adieu éternel. La mort ici moissonne les hommes depuis longtemps, elle ne me fait plus peur; je l'attends de pied ferme! « Vous le voyez, c'est le sang du fils qui lave la faute du père, si le père fut imprudent. Pitié donc pour Charles Roch! Pitié pour cette malheureuse femme qui a vieilli dans les pleurs et le désespoir, pour cette jeune fille qui vous implore; laissez dans sa famille un homme qui n'a plus que quelques jours à vivre. Je ne m'inquiète plus de ces braves ouvriers, votre conviction est complète à cet égard, vous leur rendrez la liberté ! »

Me Leroy était chargé de la défense de trois bûcherons. Me Maud'heux fils a plaidé pour les deux autres, en expliquant le rôle de chacun et en combattant pour tous les charges de l'accusation. Il s'est surtout attaché à démontrer que des ouvriers, pleins de confiance dans leurs patrons, sachant à peine lire, ne pouvaient pas avoir soupçonné ce que les agents de l'administration forestière, des hommes spéciaux, ont eu tant de peine à découvrir. Me Maud'heux était ému, et le public a souvent partagé son émotion.

Le résumé de M. le président des assises n'a pas duré moins de deux heures. (Extrait du Courrier des Vosges.)

MINISTÈRE DES FINANCES.

ÉCOLE IMPÉRIALE FORESTIÈRE.

Liste, par ordre de mérite, des élèves admis à l'École impériale forestière, par décision de S. Exc. le ministre des finances, en date du 29 octobre, à la suite du

[blocks in formation]

19. De Blégier de Pierre-Grosse (MarieRaymond-Louis-Casimir).

20. Delaunay (Hubert-Gaston).

21. Gazin (Marie-Nicolas-Ernest).

22. Bahezre de Lanlay (Abel-Félix-Jo-
seph-Jean-Marie-François).

23. Lefebvre-Nailly (Georges-Albert).
24. Hild (Paul).

25. 8tolz (Geoffroi-Jacques).

26. Cornet (Charles-Marie-Henri).
27. Nicolas (Henri).

28. Javel (Louis-Etienne-Achille).

29. Robert (Pierre-Paul).

30. Tassy (Victor-François-Nathali).
31. Julien (Charles).

32. Salle (Gabrielle-Marie).

33. Fiévet (Louis-Henri-Edmond).

34. Herdbebaut ( Alfred-Guislain-Frédéric-Aimable-Joseph).

35. Leblanc (Théodore).

MUTATIONs dans le personnel de l'administration des forêts de l'Etat.

POSITIONS ANCIENNES.

POSITIONS NOUVELLES.

Arrêtés.

NOMS.

[blocks in formation]

DE MARTIMPREY DR ROMECOURT.

Id.

DUPONT....

Id.

SONIS.....

Id.

DE BERGEVIN....

Id.

[blocks in formation]

G. gen. de 2 cl. à Saint-Omer (Pas-de-Calais).

G. gén, de 2e cl. à Hesdin (Pas-de-] Calais).

G. gen. de 3e ci. à Massevaux (Haut-Rhin).

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 17.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 18.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 19.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 20e.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 21.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 22.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 23.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 24.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 25e.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 26.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 27.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 28e.

Elève de l'Ecole forestière, sorli le 29.

Elève de l'Ecole forestière, sorti le 30.

S.-insp. de 3 cl. à Chambéry (Savoie).

G. gén. de fre cl. à Wasselonne (Bas-Rhin).

G. gén. de 2e cl. à Massevaux (Haut-Rhin).

G. gén. de 2e cl. à Saint-Omer (Pas-de-Calais).

G. gen. de 3 cl. à Hesdin (Pasde-Calais).

G. gén, de 3e cl. à Bourges (Cher).

G. gén. de 3 cl. à Bagnères-deBigorre (Hautes-Pyrénées).

G. gen. stag. à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).

G. gen. stag. à Grenoble (Isère).

G. gén. stag. à Saint-Dié (Vosges).
G. gén. stag. à Poitiers (Vienne).
G. gen. stag. à Bitche (Moselle).
G. gén, stag. à Foix (Ariége).
G. gén, stag. à Pontarlier (Doubs). |
G. gén, stag. à Nantua (Ain).

G. gen. stag. à Colmar (sud) (Haut-Rhin).

G. gén, stag. à Saverne (Bas-Rhin).

G. gén. stag. à Limoux (Aude).

G. gén. stag. à Arbois (Jura).

S.-insp. de 3 cl. à la même résidence pour le service des travaux d'art et du reboisem, des montagnes.

S-insp. de 3 cl. à Chambéry (Savoie).

Par décret impérial en date du 1er octobre, M. Jacquot, conservateur à Chambéry (Savoie), a été nommé chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur.

ERRATUM.

Dans son article sur le reboisement des montagnes, inséré dans notre avantdernier numéro, M. G. Serval a donné la liste des agents chargés de concourir aux travaux de reboisement. A cette liste, il convient d'ajouter les noms de MM. d'Hombres, sous-inspecteur, et Lecocq, garde général, qui ont préparé d'importants travaux dans les montagnes de la Haute-Garonne.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Nous nous proposons de rappeler ici, dans un exposé rapide, les circonstances qui, à plusieurs époques, ont amoindri la culture forestière (1) et celles qui tendent à la développer aujourd'hui, en même temps que l'emploi de ses produits augmente. Nous indiquerons brièvement ensuite les causes principales de l'altération des arbres sur pied ou abattus. Nous signalerons les moyens imaginés à différentes époques en vue de mettre un terme à ces altérations spontanées, ou même de les prévenir. Sur ce dernier point, après avoir rendu compte des différents essais de conservation des bois, soit en France, soit à l'étranger, nous nous attacherons surtout à décrire les procédés dont une pratique assez large a constaté les effets utiles. Nous chercherons enfin à montrer sous quelles conditions les meilleures garanties d'une longue durée peuvent être obtenues.

Le fait même d'un amoindrissement notable dans la production du bois en France ne peut être mis en doute. Si l'on consulte les statistiques administratives, on trouve en effet les résultats suivants :

En 1789, la superficie du sol des forêts et plantations d'arbres de haute futaie en France s'étendait sur 9,500,000 hectares.

Cette superficie était réduite dès l'année 1851 à 8,860,000 hectares, dont 5,759,000 appartenaient à des particuliers et 3,101,000 aux communes et à l'Etat, ou faisaient partie des plantations publiques.

La diminution des cultures forestières ou des plantations de grands arbres était donc représentée par une étendue de 640,000 hectares en soixante ans.

Déjà Colbert, en voyant la production forestière s'amoindrir et la consommation du bois s'accroître, avait cru pouvoir, au dix-septième siècle, jeter ce cri d'alarme : La France périra faute de bois!

II. — Changements survenus dans la consommation

du bois.

Depuis cette époque, et surtout dans ces dernières années, les circonstances ont bien changé à plusieurs égards.

D'un côté, les immenses progrès de l'industrie manufacturière et agri

(1) La disparition des forêts est un fait intimement lié aux progrès de la civilisation. La nature, dans son état primitif, est hérissée de vastes et profondes forêts d'autant plus éclaircies qu'on s'avance davantage au sud-ouest. C'est précisément la direction Suivant laquelle la civilisation s'est propagée. Les peuples des pays les plus déboisés, Espagnols, Italiens, Français, Anglais, Grecs, appartiennent à ces deux races pélasgique et celtiqué qui sont en civilisation les aînées des populations européennes. (M. Maury, Acad. des Inscr. et Belles-Lettres, 1860.)

NOVEMBRE 1861.4o SÉRIE.-T. VII.

T. VII.- -23

« PreviousContinue »