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devaient préparer, sous la direction de Colbert, la célébré ordonnance d'août 1669. Les forêts furent comme frappées d'interdit, et deux édits de décembre 1663 et avril 1667 ordonnèrent la suppression et le remboursement de tous les offices de grands-maîtres, à l'éxception de ceux créés pour l'apănage du duc d'Orléans. Ce n'est pas que les grandes-maîtrises fussent inutiles; mais on voulait confier à de nouveaux officiers l'exécution de nouveaux règlements. Aussi, un an après la publication de l'ordonnance, toutes les grandes-maitrises furent-elles rétablies (arrêt du Conseil d'Etat du 24 septembre 1670). Huit des commissaires devinrent grands-maitres; les autres subsistèrent jusqu'à l'édit de février 1689, qui réorganisa complétement les grandes circonscriptions.

Cet édit créa seize offices de grands-maitres enquêteurs et généraux réformateurs; deux autres furent institués plus tard. Et la France resta divisée en dix-huit départements forestiers jusqu'à la Révolution ou, pour mieux dire, jusqu'à la fin du dix-huitième siècle.

En effet, le décret des 15-29 septembre 1791, qui établit trente-cinq conservations, ne fut pas appliqué; un autre décret des 14 janvier-11 mars 1792 fit surseoir aux nominations, jusqu'à décision définitive, sur le projet d'aliénation des forêts nationales. Le régime des maîtrises se prolongea donc, avec certaines modifications, jusqu'à la réorganisation de 1801. Depuis 1797, les forêts étaient réunies à la régie de l'enregistrement et des domaines.

L'administration nouvelle ne fut réellement constituée que par la loi du 16 nivôse an IX (16 janvier 1801). Un arrêté du 6 pluviose suivant (26 janvier) fixa le nombre des conservations à vingt-sept. La Francé comprenait alors la Belgique et le pays de Liége.

Vingt et une furent supprimées, et il n'en resta que six, lors de la seconde réunion du service forestier à celui des domaines (ordonnance des 4-15 juin 1817).

En 1820, le rétablissement de l'administration des forêts amena une nouvelle division forestière. L'ordonnance royale du 22 novembre institua vingt conservations. Ce nombre, maintenu par l'ordonnance réglemen→ taire du 1er août 1827, fut porté à quarante par celle du 17 juillet 1832, réduit à trente-deux par celle du 9 juillet 1853, réduit à vingt et un påf le vote du budget de 1848, reporté à trente par le vote du budget de 1849, porté à trente et un, puis à trente-deux par les décrets du 28 décembre 1853 et du 3 mai 1854, qui reconstituèrent les conservations de Chaumont et Vesoul, porté enfin à trente-quatre par l'organisation du service forestier dans la Savoie et le comté de Nice, annexés à la France le 12 juin 1860.

Nous avons donc aujourd'hui trente-quatre arrondissements forestiers.

II

Si nous comparons les dix-sept grandes-maîtrises de 1589 à nos trentequatre conservations actuelles, en tenant compte des agrandissements de territoire réalisés depuis la mort de Henri III, nous arrivons à ce résultat singulier qu'en 1589 il y avait à peu près autant de grandes divisions forestières qu'aujourd'hui. En effet, les provinces réunies à la France depuis cette époque comprennent douze conservations entières et partie de six autres; de sorte qu'il n'en reste guère plus de dix-sept sur le territoire des dix-sept grandes-maîtrises (1). Sous le rapport de l'organisation, nous ne sommes donc guère pius avancés en 1862 qu'en 1589. On peut même dire que nous le sommes beaucoup moins; car les grands-maîtres, qui n'étaient pas absorbés par la bureaucratie, connaissaient mieux leurs forêts que les conservateurs ne peuvent connaître les leurs.

Conçoit-on que les grandes circonscriptions forestières soient restées à peu près les mêmes relativement, qu'elles ne se soient pas restreintes et multipliées au fur et à mesure que le bois est devenu plus précieux et qu'il a fallu apporter plus de soins et de science à la conservation et à l'amélioration de la propriété boisée? Comment la France, qui aime tant le progrès en toutes choses, tient-elle si peu à proportionner le nombre et l'étendue des conservations avec l'importance, les exigences, les difficultés, les complications croissantes du service? Quelles raisons peut-on donner de cette anomalie? Deux raisons peu raisonnables, mais trèspuissantes: le peu de sympathie que rencontre l'administration des forêts, surtout dans les contrées pastorales, et la crainte de dépasser certaine limite dans les frais de gestion. Entre les députés qui refusent par antipathie et le gouvernement qui ne propose pas par économie, toute idée d'amélioration organique risque d'être étouffée.

On se rappelle M. Anglade, demandant à la tribune, en 1850, la suppression totale de l'administration forestière dans plusieurs départements, et notamment dans l'Ariége, sous prétexte que les 52,800 hectares que possède l'Etat dans l'Ariége ne rapportent rien au Trésor, et que l'administration forestière ne sert qu'à comprimer les communes usagères. C'est ainsi qu'argumentent les organes des populations dont les agents

(1) Les provinces réunies depuis la mort de Henri III sont : le Béarn, le comté de Foix, une partie de la Gascogne, la Bresse, le Bugey, le pays de Gex, l'Artois, le Roussillon, le Nivernais, la Flandre, la Franche-Comté, l'Alsace, la Lorraine, la Corse, le comtat Venaissin, la Dombes, la Savoie et le comté de Nice. Dans ces provinces sont comprises entièrement les conservations de Nancy, Strasbourg, Colmar, Epinal, Metz, Besançon, Lons-le-Saulnier, Bar-le-Duc, Ajaccio, Vesoul, Nice, Chambéry, et partiellement les conservations de Douai, Mâcon, Toulouse, Pau, Carcassonne et Aix.

forestiers ménagent les ressources. Ces attaques sont-elles justes? Non sans doute; mais les intérêts froissés sont aveugles. On ne tient pas compte de la mission que ces agents remplissent dans l'intérêt général, dans l'intérêt de l'avenir; et les députés qui se font les échos des plaintes communales sont peu disposés à voter une augmentation de frais de gestion.

Ces frais s'élèvent, d'après le budget de 1861, à 10,328,770 francs, soit à 21 pour 100 du montant de la recette totale (17,815,500 francs), et seulement à 11 pour 100, si l'on fait entrer en ligne de compte le revenu des forêts communales (1). Ces 11 pour 100 comprennent le personnel, le matériel, les travaux d'amélioration, la pisciculture et le reboisement des montagnes. La dépense du personnel seul ne coûte que 7 pour 100. Aux yeux des économistes et des ennemis de l'administration des forêts, le nec plus ultrà d'une bonne gestion, c'est que la dépense du personnel n'excède pas 2 et demi pour 100 (2). Ils ne voient dans les forêts qu'un revenu pécuniaire. Favoriser la production ligneuse pour le chauffage, pour l'industrie, pour les constructions civiles et navales, c'est là une grande question d'ordre public qui les préoccupe médiocrement. Le ministère des finances, qui garde les forêts dans ses attributions, malgré les réclamations réitérées en faveur de leur union au ministère de l'agriculture, partage naturellement ces tendances fiscales et ne laisse grandir qu'à contre-cœur le rapport de la dépense au revenu.

III

Le statu quo ainsi expliqué, précisons ses inconvénients.

En premier lieu, le nombre trop restreint des conservations nuit au service. L'action de certains conservateurs est disséminée sur de trop vastes circonscriptions, et plusieurs départements très-boisés manquent d'une direction forestière spéciale, s'exerçant au chef-lieu de préfecture avec le concours du premier magistrat. De là une étude moins complète des intérêts forestiers de tel ou tel département; de là une certaine hésitation dans l'application des nouvelles mesures, une certaine lenteur dans la satisfaction des voeux légitimes des populations; de là des produits accessoires plus ou moins négligés. L'augmentation du personnel des inspecteurs et chefs des cantonnements a influé heureusement sur les revenus annuels. Pourquoi n'en serait-il pas de même de la création de

(1) Annales forestières, année 1861, p. 56. Les services des douanes et des contributions indirectes coûtent plus de 11 pour 100. La Prusse dépense, pour la gestion de ses forêts, 50 pour 100 de leurs produits.

(2) Voir la discussion du budget de 1848.

nouvelles conservations? Il y a donc préjudice pour l'Etat, pour les communes et pour les particuliers à ne pas multiplier ces agents supérieurs, qui, concentrant leur sollicitude, leur dévouement sur un seul département, peuvent s'entendre chaque jour avec le préfet pour imprimer aux affaires et aux travaux une impulsion plus éclairée, plus vive et plus féconde.

En second lieu, le nombre trop restreint des conservations nuit aux agents. Les trente-quatre conservateurs sont choisis parmi cent soixantetreize inspecteurs. Avec une telle différence numérique entre les emplois de ces deux grades, quelles peuvent être les chances d'avancement? Autant vaut dire que le sommet de l'échelle hiérarchique est inaccessible et que la carrière forestière est close à l'inspection. Assurément les emplois ne sont pas faits pour ceux qui les occupent; mais, s'il est possible de concilier le bien-être des fonctionnaires avec le bien public, comme c'est ici le cas, pourquoi ne pas modifier l'organisation, de manière que la carrière puisse être complète, sinon pour tous les hommes de mérite, au moins pour le plus grand nombre possible? « Tout Français, a dit un écrivain (1), doit avoir l'espérance de monter par son mérite jusqu'aux premières places de son état, sans naissance, sans argent et sans intrigue.» C'est cette légitime ambition qu'il convient de satisfaire autant que le permet l'intérêt public. Et pour cela, il faut augmenter le nombre des conservations, en créant toutes celles que comporte l'amélioration du service.

L'administration des forêts est entrée dans une voie de progrès qui met son zèle à l'épreuve. L'aménagement des futaies, le cantonnement des droits d'usage, la pisciculture, le reboisement des montagnes ont pris, grâce au directeur général actuel et à son prédécesseur, un tel développement, qu'il a fallu établir des commissions et de nouveaux chefs de service dans plusieurs conservations; ce qui rend leur circonscription de plus en plus défectueuse. Une réforme est donc tout à fait opportune.

Mais, dira-t-on, est-ce au milieu d'une crise financière qu'il faut demander une réorganisation coûteuse? D'ailleurs, l'inégale répartition des forêts sur le sol de la France permet-elle de constituer dans chaque département un service complet pour les forêts, comme pour les domaines, les contributions, les postes et les ponts et chaussées?

Sur le premier point, nous répondrons que la réorganisation, combinée comme nous l'expliquerons tout à l'heure, ne coûtera qu'une obole, et que l'état de nos finances n'a pas empêché le Sénat d'exprimer dans son adresse le désir de voir les lettres et les arts encouragés plus largement,

(1) Bernardin de Saint-Pierre, Vœux d'un solitaire.

et les membres du corps enseignant ainsi que les ministres du culte plus convenablement rétribués.

Sur le second point, nous dirons qu'il n'est pas question d'organiser l'administration forestière dans chaque département comme la plupart des autres administrations publiques, mais seulement de doter d'une conservation spéciale un plus grand nombre de départements.

IV

Actuellement douze conservations sont circonscrites dans un seul département; ce sont celles de Dijon, Nancy, Strasbourg, Colmar, Epinal, Metz, Besançon, Lons-le-Saunier, Bar-le-Duc, Ajaccio, Chaumont et Vesoul.

Parmi les vingt-deux autres, qui embrassent chacune plusieurs dépar. tements, sept, ne comprenant que deux ou trois inspections, ne sont pas susceptibles de modifications pour le moment; ce sont celles de Paris, Moulins, Rennes, Niort, Aurillac, Bordeaux et Nice.

Quinze seulement devraient être divisées dans l'intérêt du service et des agents; ce sont celles de Rouen, Douai, Troyes, Châlons-sur-Marne, Grenoble, Alençon, Mâcon, Toulouse, Tours, Bourges, Pau, Carcassonne, Aix, Nîmes et Chambéry. Elles seraient divisées en deux, sauf celles de Douai et Grenoble, qui le seraient en trois. Il y aurait done dix-sept conservations nouvelles.

Les titulaires de ces dix-sept conservations et des quinze démembrées seraient chargés des fonctions d'inspecteur dans l'inspection du cheflieu de l'arrondissement forestier, comme les préfets exercent les fonetions de sous-préfet dans l'arrondissement communal du chef-lieu de département. Ces doubles fonctions seraient réunies dans les mêmes mains sans surcroît de travail, soit en raison de la réduction des circonscriptions, soit en raison de la facilité qui serait accordée aux nouveaux titulaires et surtout aux anciens, de déléguer les chefs de cantonnement pour les opérations et même pour la tenue des audiences (1).

En ajoutant les traitements des quinze inspections supprimées aux traitements des dix-sept transformées en conservations, l'on trouverait en grande partie les ressources nécessaires pour cette amélioration.

(1) Nous n'insistons pas sur la possibilité de ce cumul d'attributions, bien que ce soit la base de notre projet. Il nous paraît superflu de démontrer que, dans une circonscription comprenant deux ou trois inspections, un agent pourrait, aveo cortaine latitude de délégation, gérer l'une de ces inspections en même temps qu'il exercerait les fonctions de conservateur. Ses obligations comme centralisateur et directeur du service forestier départemental ne l'empêcheraient pas de diriger les chefs de cantonnement de son inspection et de motiver, ou faire motiver, son avis au pied de leurs rapports. Le surplus des écritures de l'inspection serait l'affaire de ses employés.

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