Page images
PDF
EPUB

années de loyer. « Le but de la commission, dit un rapport supplémentaire, a été d'harmoniser l'article 28 (25) avec l'article 1er de la loi du 21 décembre 1851, et d'empêcher toutes fraudes. » On verra, no 8, 2° B, que ce but n'a pas été atteint.

Une nouvelle discussion fut ouverte. Il importe, pour l'intelligence du texte, d'en rappeler les principaux incidents. Tandis que dans la précédente discussion, M. Forgeur avait demandé d'étendre les cas où le bail serait nul, cette fois-ci un autre sénateur, M. d'Hoop, vint demander, tout au contraire, que les baux consentis par le saisi ne fussent plus déclarés nuls d'une manière absolue.

J'ai fait remarquer dernièrement, disait-il, qu'il pouvait y avoir des dangers à déclarer nuls les baux qui seraient consentis après la transcription du commandement ou de l'exploit de saisie. En effet, il peut arriver qu'il n'y ait plus de locataire à cette époque ou que le terme de la location soit près d'expirer; et je ne vois pas, dès lors, où est la nécessité de déclarer, d'une manière générale et absolue, que tous les baux de cette nature seront nuls. »

En conséquence, il proposa l'amendement suivant : « Les baux qui n'ont pas de date certaine avant la transcription de l'exploit de saisie pourront, suivant les circonstances, être annulés, si les créanciers ou l'adjudicataire le demandent, ainsi que les baux consentis par le saisi, etc. »

Le système formulé dans cet amendement fut rejeté après les observations suivantes de M. Dellafaille qui indiquent clairement le système de l'article nou

[ocr errors]

Pourquoi la loi veut-elle que les baux consentis après la transcription du commandement soient annulés; pourquoi même permet-elle d'annuler suivant les circonstances les baux non authentiques consentis auparavant? C'est parce qu'elle a voulu éviter une fraude qui peut se présenter souvent, parce que le débiteur de mauvaise foi, averti par un commandement, peut contracter avec un locataire et louer son bien beaucoup au dessous de sa valeur et se compenser lui-même par un pot-de-vin; il trouverait ainsi le moyen de s'approprier une partie quelconque du gage de son créancier et même de le rendre invendable s'il conclut ce bail frauduleux pour un long terme. »

En résumé le système établi par cet article peut se formuler comme suit :

« Les baux n'ayant pas de date certaine avant la transcription de l'exploit de saisie pourront, suivant les circonstances, être annulés, si les créanciers ou l'adju dicataire le demandent. A cet égard les juges examineront les circonstances de la cause, décideront si le bail est sérieux, s'il a été contracté de bonne foi ou s'il n'a été fait qu'en vue de l'expropriation.

« Quant aux baux consentis après la transcription du commandement ou l'exploit de saisie, notre disposition les frappe de nullité. En effet, la transcription du commandement prévient les tiers qu'une expropriation est imminente, et il n'est pas possible de permettre, en pareil cas, au débiteur de consentir des baux qui, d'ordinaire, ne seraient qu'un moyen de porter atteinte aux droits des créanciers. La transcription du commandement change complétement l'état des choses; elle affecte gravement la position du débiteur qui, nécessai

rement, ne peut plus se permettre aucun acte au moyen duquel il pourrait léser les droits des tiers.

Quant aux baux consentis après le commandement même non transcrit, ils sont également frappés de nullité, s'ils excèdent neuf ans ou contiennent quittance d'au moins trois années de loyer. Ces actes, en effet, présentent quelque chose d'insolite; ils déprécient tellement la valeur de la propriété, que l'article 1er de la loi du 16 décembre 1851 les a assimilés à une aliénation de l'immeuble, et l'on conçoit dès lors qu'à raison de leur nature spéciale, ils ne puissent être autorisés du moment où le commandement a été signifié. Une disposition contraire favoriserait les fraudes qui ne sont que trop communes en semblable matière, et il est certain que les actes dont il s'agit sont précisément ceux qu'emploient ordinairement les débiteurs pour éluder l'action des créanciers.

. En conséquence, d'après la disposition, les baux énoncés au dernier alinéa sont frappés de nullité pour le tout, comme entachés d'une présomption légale de fraude.» (Rapport de la commission de la Chambre sur le projet amendé par le Sénat.)

2. L'article 25 concerne tous les baux sans distinction, quelles qu'en soient la forme, la durée ou les conditions. Cela résulte clairement des travaux préparatoires du Code de procédure, dont la loi de 1854 ne diffère pas à cet égard. Lors de la discussion de l'article 691, la section du Tribunat proposa une disposition qui établissait une distinction entre les baux et qui était conçue comme suit : « Pour quelque temps qu'aient été faits les baux à terme ou à loyer, ils seront exécutés pour tout le temps qui aura été convenu, si, à l'époque

où ils ont été faits, il n'y avait pas d'inscription hypothécaire sur les immeubles. Dans le cas où il y aurait eu une ou plusieurs inscriptions à ladite époque, leur durée sera toujours restreinte, relativement à l'adjudicataire, au temps de la plus longue durée des baux, suivant l'usage des lieux. »

Cette disposition n'a pas été admise; au contraire l'article 691 du Code de procédure civile, comme notre article 25, s'expriment en termes généraux, qui excluent toute distinction.

3. Mais, si générale que soit la disposition, elle ne s'applique qu'aux baux proprement dits, c'est-à-dire aux actes qui constituent le bail, d'après les principes du droit civil moderne. Ceux-là seuls tombent sous l'application de l'article 25. Quant aux actes qui confèrent plus qu'un simple droit de jouissance, qui opèrent un démembrement de la propriété, ils constituent une aliénation partielle; à ce titre, ils tombent sous l'application de l'article 27.

Pour vérifier si un acte tombe ou non dans la catégorie des baux régis par l'article 25, ce n'est pas à sa dénomination, mais à la nature de ses stipulations qu'il faut s'attacher.

4. D'après ces considérations, l'article 25 régit les baux à longues années et les baux à vie.

1o Le bail à longues années, dit Merlin, est celui qui excède le terme de neuf ans, parce que tout espace de temps qui embrasse au moins dix années, est compris, en droit, sous la dénomination de longum tempus (1).

(1) Merlin, Rép., vo Bail, § 4, II. Il y avait quelque hésitation dans

D'après une opinion très-accréditée sous l'ancienne jurisprudence et qui compte encore quelques partisans, le bail à longues années contiendrait plus qu'une transmission de jouissance et opérerait une aliénation du domaine utile du fonds qui en est l'objet (1).

Partant de ce point de vue, Pigeau enseigne que les baux à longues années sont susceptibles d'être réduits, sur la demande des créanciers, à la période de neuf ans, dans laquelle on se trouverait au moment de la saisie. Ce jurisconsulte in voque encore à l'appui de son opinion l'article 2091 du Code civil, aux termes duquel le preneur à antichrèse n'acquiert pas de droits au préjudice des tiers sur l'immeuble qui lui est remis (2).

Delvincourt se prononce dans le même sens, mais il restreint aux créanciers hypothécaires inscrits avant que le bail eût date certaine la faculté de le faire annuler (3).

Cette opinion doit être rejetée. Il résulte des travaux préparatoires que nous avons analysés n° 2 qu'une disposition du projet du Code de procédure accordait aux créanciers le droit de faire réduire les baux dont la durée dépassait l'usage des lieux et que celle-ci n'a pas été admise; la distinction proposée par Pigeau et Delvincourt est donc contraire à l'esprit de la loi. Si l'on examine la question au point de vue des principes, on cherche vainement pourquoi le bail à longues années constituerait une aliénation; comme le bail ordinaire,

l'ancien droit sur la limite entre le bail ordinaire et le bail à longues années; mais le plus grand nombre des auteurs la fixaient à neuf années. Voir Duvergier, Louage, no 209.

(1) Merlin, Rép., vo Bail, § 4, II; Loyseau, Du déguerpissement, livre I, chapitres V et VIII.

(2) Tome II, p. 226.

(3) Tome III, p. 97, no 10.

« PreviousContinue »