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il ne transmet que la jouissance, un jus ad rem, il n'opère aucun démembrement de la propriété. Quant à l'argument tiré de l'article 2091 du Code civil, les effets de l'antichrèse et ceux du bail sont absolument diffė. rents. Comme le remarque Carré, dans l'antichrèse, les fruits ont été donnés in solutum à un créancier, et s'il avait le droit de les percevoir de préférence pendant tout le temps convenu avec le débiteur, les tiers en seraient totalement privés; au contraire, dans le bail, le fermier paye le prix de sa jouissance; peu importe dès lors au créancier qu'il la continue ou qu'on le congédie pour le remplacer par un autre. Enfin, s'il fallait appliquer ici la première disposition de l'article 2091, il en résulterait que la jouissance du fermier devrait cesser incontinent, c'est-à-dire que le bail à longues années serait entièrement annulé et non pas réduit à la période de neuf ans dans laquelle on se trouve, comme le veut Pigeau (1).

Pour que les créanciers ne puissent attaquer le bail à longues années, il faut que celui-ci ait été transcrit de la manière prescrite par l'article 1er de la loi hypothécaire.

2o Le bail à vie est celui dont la durée est limitée à la vie du preneur ou du locataire; il peut être consenti sur plusieurs têtes; mais, d'après l'article 1er du titre Ier de la loi des 18-29 décembre 1790, qui n'a pas été abrogé par le Code civil, celles-ci ne peuvent excéder le nombre de trois (2).

Dans l'ancienne jurisprudence, ce bail était considéré comme une vente d'usufruit et comme équipol

(1) Chauveau, Code, q. 2281.

(2) Duvergier, Louage. n° 202.

lent à ce dernier droit. Tel est aussi l'avis de Merlin. La vente à vie de la jouissance d'un fonds, observe-t-il, équipolle sans doute à une constitution d'usufruit; et la vente à vie, surtout si elle est faite moyennant une redevance annuelle, est absolument la même chose que le bail à vie; c'est ainsi que le bail à rento perpétuelle et la vente pure et simple se confondent: le bail à rente perpétuelle et la vente pure et simple transfèrent également la propriété du fonds; également aussi le bail à vie et la vente à vie transmettent la jouissance et équivalent à une constitution (1).

Sans doute, il existe entre le bail à vie et la constitution d'usufruit plusieurs ressemblances qui rapprochent les deux contrats, mais à côté il y a des dissemblances qui ne permettent pas de les considérer comme étant absolument la même chose. L'usufruit constitue un jus in re, le bail à vie ne constitue qu'un jus ad rem ; il n'opère pas un démembrement de la propriété (2). De ce que le bail à rente perpétuelle constitue une aliénation, l'on ne saurait conclure que le bail à vie constitue une constitution d'usufruit. Car, comme on le verra au numéro suivant, le premier constitue une véritable vente, improprement qualifiée de bail, tandis que le bail à vie laisse le droit de propriété intact entre les mains du bailleur.

5. D'un autre côté, l'on ne peut ranger dans la catégorie des baux régis par l'article 25:

1° L'usufruit. Il existe certaines analogies entre l'usufruit et le bail, et celles-ci deviennent très-grandes lorsque le bail est constitué à vie ou lorsque l'usufruit

(1) Merlin, Rép., vo Usufruit, § 1, no 3.

(2) Troplong, Louage, no 25; Duvergier, Louage, no 29.

est constitué à terme, moyennant un prix divisé en autant de fractions que d'années (1).

Néanmoins, même dans ces derniers cas, il existe entre eux des différences caractéristiques qui en font deux contrats nettement distincts. La constitution d'usufruit démembre la jouissance de la propriété, elle confère un droit réel à l'usufruitier. Par le bail, le propriétaire n'aliène pas la jouissance; il s'engage seulement à faire jouir le preneur (art. 1720 du code civil), le bail ne confère qu'un droit personnel.

Il suit de là que si le saisi avait constitué un usufruit temporaire, moyennant un prix annuel à payer par l'usufruitier pendant la durée de sa jouissance, ce n'est pas l'article 25 qui déciderait du sort de l'acte; celui-ci ne constituerait pas un bail, mais une aliénation, un démembrement de la propriété et c'est à l'article 27 qu'il faudrait recourir.

2o Le bail emphyteotique. En effet, l'emphytéote n'a pas seulement droit à la jouissance du fonds, il a un droit réel sur celui-ci. L'article 1er de la loi du 10 janvier 1824 le dit en termes formels. C'est ce qui distingue le bail emphyteotique du bail ordinaire, alors même qu'il est à long terme. « L'emphytéose, dit la cour de cassation dans un arrêt doctrinal, diffère du bail à long terme, en ce qu'elle transmet un quasi-domaine qui permet d'en disposer d'une manière presque absolue et qui est bien différent du droit dont le simple bail investit le fermier (2). »

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(1) Sur les rapports entre le bail et l'usufruit, voy. Proudhon, Usufruit, nos 98 et suiv.; Toullier, t. III, no 387; Duvergier, Louage, no 28; Troplong, no 24; Laurent, t. VI, no 323.

(2) 20 novembre 1861 (S.-V., 1862, 1, 91); 24 août 1857 (S.-V., 1851, 1, 854). Laurent, Principes, t. VIII, no 353.

3o La constitution d'un droit de superficie. Trèssouvent, ce droit est établi sous les mêmes conditions

que le bail. Néanmoins, il existe entre les deux contrats une différence capitale. Le bail n'engendre qu'un droit de créance, un droit essentiellement mobilier; au contraire, le droit de superficie est un droit immobilier, un démembrement de la propriété; la loi du 10 janvier 1824 le définit : « un droit réel qui consiste à avoir des bâtiments ou plantations sur un fonds appartenant à autrui (1).

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4o Le bail à rente. Ce contrat n'a du bail que le nom; il constitue, en réalité, une aliénation de l'immeuble, moyennant une rente perpétuelle ou viagère. Dès lors, ce n'est pas l'article 25, mais l'article 27 qui décide du sort de ce bail, lorsqu'il est consenti après la saisie (2). 5. L'article 25 est-il applicable à l'antichrèse?

Les ressemblances entre l'antichrèse et le bail sont très-grandes. L'antichrésiste n'a pas un droit réel sur le bien, comme l'emphytéote et le superficiaire; il n'a sur l'immeuble engagé qu'un droit de jouissance, c'està-dire un droit personnel (3).

Cependant, les deux contrats étant parfaitement distincts, l'on ne peut appliquer, par analogie, à l'antichrèse, les dispositions établies par l'article 25 concernant les baux, comme je l'ai démontré, art. 25, no 1. Les dispositions qui restreignent le libre exercice du droit de propriété entre les mains du saisi doivent être interprétées restrictivement.

(1) Laurent, Principes de droit civil, t. VIII, nos 409 et suiv.

(2) Toullier, t. III, no 21; Duvergier, Louage, no 207; Laurent, Principes, t. V, nos 509, 510.

(3) Troplong, Antichrèse, no 524.

On verra sous l'article 27 que celui-ci n'est pas applicable non plus à l'antichrèse, puisqu'elle ne constitue pas un démembrement de la propriété. Il y a ici dans la loi une lacune qui mérite de fixer l'attention de la commission chargée de la révision de nos lois de procédure.

6. L'article 25 a trois dispositions différentes: 1° pour les baux qui n'ont pas date certaine avant la transcription de l'exploit de saisie; 2° pour les baux consentis depuis la transcription de cet exploit ou du commandement; 3° pour les baux consentis après le commandement même non transcrit.

Dans les deux premières, il fait dépendre exclusivement le sort du bail du moment où il a acquis date certaine; dans la dernière, c'est la durée du bail qui en règle le sort.

L'article 25 distingue deux espèces de baux différentes au point de vue de la nullité :

1o Les baux qui peuvent être annulés selon les circonstances, dont parle le § 1er.

2o Les baux nuls, dont il est question dans les deux paragraphes suivants.

Pour les baux de la première espèce, l'annulation est facultative, le juge peut ne pas la prononcer, quoique le bail n'ait pas reçu date certaine avant la transcription de l'exploit de saisie. Pour les baux de la seconde espèce, l'annulation est obligatoire; le juge doit la prononcer chaque fois que le bail a été consenti après la transcription de la saisie ou du commandement, ou lorsqu'il a été consenti, après le commandement non transcrit, pour plus de neuf ans, ou qu'il contient quittance de trois années au moins de loyer.

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