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3. Étendue de la prohibition d'aliéner; le terme aliéner est générique. Énumération des actes interdits au saisi par l'article 27; le saisi peut-il constituer une servitude?

4. Peut-il consentir une antichrèse?

5. La prohibition d'aliéner n'empêche pas le tiers détenteur de délaisser l'immeuble saisi. Erreur de Persil.

6. Pourquoi la loi de 1854 défend en termes exprès de constituer hypothèque. Comparaison avec la législation française.

7. Sous la loi de 1854, c'est la transcription de la saisie qui opère l'incapacité d'aliéner.

Durée de cette incapacité.

8. La transcription d'un commandement régulier opère, pendant trente jours, les mêmes effets que la transcription de la saisie. 9. Point de départ de l'incapacité d'aliéner. Quelles aliénations sont valables.

10. L'acte d'aliénation, pour être valable, doit-il être transcrit avant la transcription de la saisie ou du commandement.

11. Quid de la vente ou de l'hypothèque consenties le jour même de la transcription avant cette formalité?

12. Quid de la vente on de l'hypothèque consenties dans le cas de l'article 20, lorsque le conservateur n'a pu procéder à la transcription au moment où elle a été requise?

13. Caractère de la nullité. Elle n'est point radicale. Comment il faut considérer la vente consentie nonobstant la prohibition.

14. Par qui la nullité peut être proposée : 1o le saisissant; 2o les créanciers hypothécaires dont les créances sont exigibles; 3° les créanciers qui ont fait transcrire leur commandement; 4o l'adjudicataire.

15. Elle ne peut l'être : 1o par le saisi; 2o par l'acquéreur; 3o par les créanciers qui n'ont pas fait utilement transcrire leur commandement.

16. Comment la nullité opère de plein droit.

17. Lorsque le saisi a pu valablement aliéner, est-il tenu des frais faits par le poursuivant ?

COMMENTAIRE.

1. La transcription de l'exploit de saisie paralyse entre les mains du saisi un des attributs les plus importants de la propriété, le droit de disposer; elle rend le saisi incapable d'aliéner. Mais cette incapacité n'est introduite que pour empêcher le débiteur d'arrêter les poursuites en aliénant l'immeuble saisi. Malgré cette

incapacité, le débiteur reste propriétaire du bien saisi. Après comme avant la transcription de la saisie, c'est sur sa tête que réside le droit de propriété; l'immeuble saisi reste in bonis du débiteur jusqu'au moment de l'adjudication, nonobstant l'immobilisation des fruits et l'incapacité d'aliéner.

Quant au poursuivant, la transcription de l'exploit de saisie ne lui transmet aucun droit sur le bien saisi. Elle n'opère pas une prise de possession à son profit; elle ne lui confère aucun droit de préférence sur le prix en dehors de son titre et de la nature de sa créance (1).

M. Seligman n'est point de cet avis. D'après ce jurisconsulte, la transcription confère un droit réel sui generis, au profit du saisissant et même des autres créanciers. La transcription de l'exploit de saisie, dit-il, - crée un nouvel état de choses qui affecte l'immeuble au profit du créancier saisissant et de la masse des autres créanciers. N'est-ce pas un droit réel, sui generis, sur l'immeuble que celui du créancier de demander la nullité de la vente à l'égard de tout acquéreur? De plus, cet acquéreur qui voudrait conserver la propriété de l'immeuble est obligé de consigner tout ce qui est dû aux créanciers inscrits et au saisissant, même chirographaire, et cependant il n'existe pas de lien d'obligation entre lui et un créancier chirographaire. Comment donc expliquer les dispositions des articles 686, 687 (art. 27, 28 de la loi belge de 1854), si ce n'est que la transcription de la saisie crée un droit réel sui generis, même en faveur des créanciers chirographaires saisissants (2)?

(1) Angers, 1er décembre 1858 (S.-V., 1859, 2, 11).

(2) Seligman, Saisies immobilières et procédure d'ordre, no 59.

Cette opinion découle d'une notion inexacte du droit réel. Le jus in re place la chose qui en est l'objet, dans une mesure plus ou moins limitée, en la puissance de celui à qui le droit appartient. Or, la transcription de la saisie ne crée pas un droit de cette nature; par cette formalité, le poursuivant paralyse le droit d'aliéner entre les mains du débiteur, mais il n'acquiert aucun droit nouveau. Si celui qui a acheté le bien depuis la transcription ne peut conserver la propriété qu'en consignant ce qui est dû au saisissant chirographaire, quoiqu'il n'existe pas de lien d'obligation entre lui et ce créancier chirographaire, ce n'est point parce que celuici a acquis un jus in re par l'effet de la transcription, mais parce qu'il a acquis d'un incapable et que la nullité qui en résulte ne peut être couverte qu'en désintéressant ceux dans l'intérêt desquels elle a été introduite. 2. De là les conséquences suivantes :

1o Le saisi conserve le droit de défendre le bien saisi au moyen des droits et actions qui dérivent de la propriété. C'est en son nom que les actions doivent être intentées. Le poursuivant ne peut agir en son propre nom. C'est au saisi que doivent s'adresser également ceux qui prétendent exercer des droits sur l'immeuble saisi (1).

La jurisprudence a consacré ce principe en décidant que les demandes en distraction ou en résolution formées par un tiers, ou l'action en révocation de la donation des biens compris dans la saisie, doivent être spécialement dirigées contre le débiteur saisi (2).

(1) Persil, Vente judic., no 144.

(2) Bastia, 6 janvier 1857 (S.-V., 1857, 2, 448); Paris, 23 novembre 1825, 15 juin 1837 (S.-V, 1838, 2, 424); 23 juillet 1840 (S.-V., 1840, 2, 375);

2o Le saisi a seul qualité pour exercer les actions relatives à la possession. La saisie ne lui a point fait perdre la possession. Main de justice ne dessaisit per

sonne.

3o Il a le droit de poser les actes interruptifs de la prescription. S'il néglige de le faire, le poursuivant ne peut agir en ce qualité, mais seulement en vertu du droit que l'article 1166 du Code civil accorde à tous les créanciers en général.

3. L'article déclare le saisi incapable d'aliéner et d'hypothéquer.

Il faut déterminer avec précision l'étendue de cette incapacité.

Aliéner, est un terme générique qui comprend tous les actes par lesquels on transmet à autrui, à titre onéreux ou gratuit, non-seulement la propriété, mais un droit sur une chose. Sancimus, sive lex alienationem inhibuerit, sive testator hoc fecerit, sive pactio contrahentium hoc admiserit, non solum dominii alienationem, rel mancipiorum manumissionem esse prohibendam,sed etiam ususfructus dationem, vel hypothecam, vel pignoris nexum penitus prohiberi, loi 7, C., liv. IV, t. LI (1).

Le terme aliénation, dit Rolland de Villargues, comprend non-seulement tous les actes en vertu desquels la propriété passe de l'un à l'autre, mais encore ceux en vertu desquels la chose que l'on aliène, sans changer de maître, change néanmoins de nature ou de qualité. La prohibition d'aliéner comprend évidemment celle

30 décembre 1846 (J. du Pal., 1847, 1, 115); 27 novembre 1847 (Dalloz, Rec. pér., 1848, 2, 551).

(1) Dantoine, Règles du droit civil, régle 6, et Règles du droit canon, regles 29, 30.

de vendre, d'échanger, de faire donation de l'immeuble saisi.

Elle comprend aussi la prohibition de démembrer la propriété, de concéder un droit réel sur le bien saisi. Par conséquent le débiteur saisi ne peut établir un usufruit, un droit d'emphytéose ou de superficie sur le bien qui fait l'objet de la saisie; il ne peut non plus le donner en bail à rente. Ce sont là des actes d'aliénation, d'après le sens habituellement donné à ce terme et la loi de 1854 lui a conservé. Si l'on prétendait que que le mot aliéner dans l'article 27 doit être pris dans un sens restreint et ne comprend que les actes transmissifs de la pleine propriété, l'on aboutirait à cette étrange conséquence que le législateur, qui rend le saisi incapable de consentir un bail, lui aurait laissé la faculté de constituer un usufruit ou un droit d'emphytéose, qu'il lui aurait interdit le moins et permis le plus.

Telle étant la signification du mot aliéner, dans l'article 27, le saisi ne peut non plus consentir l'établissement d'une servitude sur l'immeuble saisi. C'est ce que la cour d'appel de Paris a décidé par un arrêt récent (1).

On ne saurait objecter que s'il a fallu dans notre article une disposition expresse pour interdire au saisi la faculté d'hypothéquer, l'absence d'une prohibition d'établir des servitudes lui laisse le droit d'en consentir. Car, comme on le verra au n° 6, le mot hypothèque n'a été inséré dans l'article que pour faire justice d'une doctrine erronée.

(1) 5 avril 1864 (S.-V., 1865, 2, 100).

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