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La justice peut ordonner le déguerpissement, dès le moment que la procédure d'expropriation est parfaite, et qu'elle ne laisse plus inconnu que le nom de l'acquéreur. Car, remarque l'Exposé de motifs, ce déguerpissement est la conséquence de la saisie validée, et rendue parfaite par l'adjudication qui interviendra.» Sous le Code de procédure, le jugement d'adjudication contenait injonction à la partie saisie de délaisser la possession aussitôt la signification du jugement, sous peine d'y être contrainte par corps. » Sous la loi de 1854, c'est le jugement qui prononce sur la validité qui ordonne ce délaissement.

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Le 5 de notre article reproduit la disposition de l'article 714 du Code de procédure. Cependant, il existe entre ces deux dispositions une différence capitale. Le jugement d'adjudication qui ordonnait le délaisement n'était pas un jugement proprement dit. Comme Merlin le fait ressortir, l'adjudication ne prononce sur aucune contestation, puisqu'elle ne fait que proclamer la personne qui, n'ayant rien à démêler, soit avec le créancier poursuivant, soit avec le débiteur saisi, a mis le plus haut prix à l'immeuble exposé en vente; le juge n'a fait, par cette déclaration, que l'office de notaire (1). Le jugement de validité, au contraire, prononce sur une contestation portée devant le tribunal d'après les formes de procédure prescrites pour l'introduction des instances; rien ne le distingue des jugements ordinaires.

27. Il suit de là que, sous la loi de 1854, le délaissement ne peut plus être ordonné d'office par le juge et

(1) Questions, v' Expropriation forcée, § 3.

que le poursuivant doit conclure, dans son exploit en validité de saisie, à ce que le tribunal ordonne au saisi de délaisser l'immeuble exproprié.

En effet, puisque cette loi a établi une instance entre le poursuivant et le saisi, le jugement qui la termine ne peut prononcer sur des choses qui n'ont pas été demandées ni adjuger plus qu'il n'a été demandé. Le § 1er de notre article ne porte pas, il est vrai, qu'assignation sera donnée au saisi pour lui voir ordonner de délaisser l'immeuble, et le § 5 en disant : « Si la saisie est déclarée valable, le jugement ordonnera au saisi de délaisser l'immeuble,» semble considérer cette condamnation comme la conséquence naturelle de la validité de la saisie. Mais, pour admettre une dérogation à la règle que le juge ne peut statuer ultra petita, sanctionnée par l'article 480, 3° et 4°, du Code de procédure, il faudrait une disposition formelle; il est impossible de considérer le § 5 de notre article comme ayant une telle portée.

Sous le Code de procédure, il fallait bien que le jugement d'adjudication ordonnât le délaissement d'office, puisqu'il n'y avait pas d'instance liée; mais, aujourd'hui, il n'y a plus de raison pour que le poursuivant ne demande le déguerpissement, s'il désire expulser le saisi.

28. Le jugement sur la validité doit ordonner au saisi de délaisser l'immeuble sur la signification qui lui sera faite du procès-verbal de l'adjudication. » Le juge ne peut ordonner le délaissement sur la signification du jugement qui prononce la validité de la saisie. Car le saisi a le droit de rester en possession jusqu'à la vente, comme séquestre judiciaire, quand les immeubles saisis ne sont pas loués ou affermés; le tribunal n'est pas compétent pour faire cesser cette possession

avant la vente; c'est au président qu'il appartient de statuer sur ce point dans la forme des ordonnances sur référé (art. 22).

29. Le tribunal peut-il accorder au saisi un délai pour déguerpir?

Oui, d'après moi. Dans le système nouveau introduit par la loi de 1854, le tribunal condamne le saisi à déguerpir; il peut donc, en vertu de l'article 122 du Code de procédure, accorder un délai pour l'exécution de son jugement; le saisi ne se trouve dans aucun des cas de l'article 124, où, par exception, le débiteur ne peut obtenir de délai, et l'article 29 de la loi de 1854 ne défend d'accorder des délais que pour la consignation de deniers destinée à arrêter les suites de l'expropriation.

30. Le jugement peut-il encore ordonner que le saisi sera contraint par corps au déguerpissement depuis la loi du 27 juillet 1871, portant abolition de la contrainte par corps?

La loi de 1871 abolit l'emprisonnement pour dettes; elle ne concerne pas la contrainte physique exercée sur la personne du saisi pour l'obliger à quitter l'immeuble qu'il occupe. Ce que l'article appelle ici, improprement, une contrainte par corps c'est, comme l'observe Jacob (1), l'emploi de la force armée pour l'expulsion de la partie saisie qui ferait résistance; c'est une appréhension momentanée au corps pour le conduire hors de la propriété vendue.

31. De là suit que le jugement peut ordonner le déguerpissement par corps, lors même que la partie saisie est un septuagénaire, une femme ou un mineur,

(1) N° 138.

quoique l'article 6 de la loi de 1871 porte que la contrainte par corps ne peut en aucun cas être prononcée contre ces personnes (1).

C'est au profit du poursuivant que le jugement prononce le délaissement; lui seul a le droit d'expulser le saisi en vertu de ce jugement; l'adjudicataire ne peut s'en prévaloir. S'il voulait agir personnellement pour faire déguerpir le saisi, il devrait actionner celui-ci devant le juge des référés.

32. Quid si la partie forcée à déguerpir avait laissé des meubles dans l'habitation dont elle a été dépossédée?

Le jugement peut ordonner que ces meubles seront mis sur le carreau, c'est-à-dire déposés sur la voie publique (2). C'est le procédé que l'on emploie pour l'expulsion des locataires (3).

Ꭶ 7.

DES DÉPENS.

33. Si la saisie est déclarée valable, le saisi doit être condamné aux dépens (Code proc. civ., art. 130). D'après une jurisprudence constante, le juge peut condamner aux dépens, sans que la partie ait conclu à cette fin; cette condamnation résulte de la force intrinsèque du jugement (4).

Mais la doctrine repousse ce système et à juste titre.

(1) Chauveau sur Carré, q. 2406.-Contra: Carré, q. 2406; Thomine n° 809.

(2) Persil, no 279.

(3) Chauveau, Code, no 239, 7ter.

(4) Dalloz, v° Frais et Dépens, no 32. Cass. Fr., 5 décembre 1838.

Comme l'observe Boncenne, la condamnation aux dépens n'est que la réparation civile d'un préjudice; celui qui a le droit de la demander est libre d'y renoncer; et en justice ne pas demander, c'est renoncer (1). Quoique l'article 32 ne s'en explique pas, le poursuivant doit donc conclure à la condamnation du saisi aux dépens.

§ 8.

DE L'INSTRUCTION DE LA DEMANDE ET DU JUGEMENT.

34. Le § 2 de notre article détermine la nature de l'affaire. Elle doit être instruite et jugée comme sommaire et urgente.

La disposition est générale; l'affaire reste donc sommaire, lors même que le titre est contesté par le saisi; l'article 32 n'établit pas une exception pour ce cas.

35. L'affaire étant sommaire doit être taxée comme telle. Les frais doivent donc être liquidés conformément à l'article 67 du tarif de 1807. On sait que, par cet article, le législateur fait avec l'avoué une espèce d'abonnement qui porte sur la procédure entière, depuis l'acte qui introduit l'instance jusques et y compris la signification du jugement, au lieu de tarifer à part chaque acte de la procédure; qu'en outre, il établit trois sommes, qui doivent être allouées à titre d'émoluments, selon le chiffre de la demande (2).

(1) Boncenne, Théorie, t. I, p. 245 (édit. belge).

(2) Pour un jugement par défaut, 7 fr. 50 c., si la demande est inférieure à 1,000 fr.; 15 fr., quand elle excède 1.000 fr. jusqu'à 5,000 fr.: 15 fr., lorsque la demande excède 5,000 fr. Pour un jugement contradictoire, le double.

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