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La loi de 1854 a singulièrement ébranlé ces arguments, déjà peu solides par eux-mêmes. D'abord l'article 2214 du Code civil, auquel la cour donne une aussi grande importance, a été supprimé dans la loi nouvelle, comme inutile. Les auteurs du projet, dit le rapport de M. Lelièvre, ont pensé avec raison que l'on pouvait sans inconvénient supprimer l'article 2214 du Code civil, cette disposition n'étant que la conséquence directe et naturelle du principe écrit dans l'article 1690 du même Code. » L'article 2217 du Code civil a eu le même sort et cela pour les mêmes motifs; il faisait double emploi avec l'article 673 du Code de procédure civile, devenu l'article 14 de la loi de 1854. Enfin, cette dernière loi n'attache plus la même importance qu'auparavant à l'énonciation du titre en tête du commandement, elle ne demande plus que la copie du titre accompagne toujours le commandement. Elle s'est beaucoup relâchée de l'ancienne rigueur, en dispensant de la copie du titre, s'il a été signifié dans les trois mois qui précèdent le commandement (art. 14, alinéa 2).

25. A plus forte raison faut-il décider que la signification de l'acte de transport de la créance ne doit pas préceder le commandement.

Pour soutenir le contraire, on a invoqué les termes de l'article 2214 du Code civil portant: « Le cessionnaire d'un titre exécutoire ne peut poursuivre l'expropriation qu'après que la signification du transport a été faite au débiteur. » Mais, comme nous venons de le voir, cette disposition ne se trouve pas reproduite dans la loi du 15 août 1854. En outre, le commandement n'est pas un acte d'exécution, mais une formalité préalable à l'expropriation; il ne fait pas partie de la saisie, puisqu'il

ne contient qu'une menace d'y procéder (voy. n° 4); il suffit donc que le requérant fasse connaître sa qualité d'ayant droit du propriétaire originaire de la créance au moment même où il fait cette menace (1).

26. Ceci nous conduit à une autre question. Le commandement fait à l'héritier du débiteur, sans lui avoir fait signifier le titre huit jours auparavant, est-il nul?

Aux termes de l'article 877 du Code civil, les titres exécutoires contre le défunt sont pareillement exécutoires contre l'héritier personnellement; cependant les créanciers ne peuvent en poursuivre l'exécution que huit jours après la signification de ces titres à la personne ou au domicile de l'héritier. Si le commandement constituait un acte d'exécution, la signification des titres devrait avoir lieu huit jours avant le commandement. Mais tel n'est pas son caractère, il n'est pas un acte d'exécution, alors même qu'il contient les indications de l'article 14, 2°. (Voy. no 4.)

Chauveau sur Carré a présenté une objection qui ne manque pas de force. L'article 877 du Code civil, dit-il en substance, prescrit la notification du titre à la personne ou au domicile de l'héritier et prohibe ainsi virtuellement la notification au domicile élu, parce que l'héritier peut ignorer l'existence de l'acte et, à plus forte raison, le domicile qui s'y trouve élu; il ne peut y faire des informations; celui qui habite ce domicile peut ignorer le nom et la demeure de l'héritier et être ainsi empêché de l'avertir. La signification de l'article 877 du Code civil est destinée à lui faire connaître ce qu'il

(1) Sic Toulouse, 8 août 1850 (S.-V., 1851, 2, 118).

ignore. Celle qui accompagne le commandement ne remplit pas ce but, si elle n'est pas adressée à son domicile réel (1).

Ces considérations tombent, me semble-t-il, devant le texte précis de l'article 877 du Code civil. Que défend-il au créancier porteur d'un titre exécutoire? D'en poursuivre l'exécution huit jours avant la signification du titre à l'héritier; cette défense constitue une exception au principe qu'il vient de poser : « Les titres exécutoires contre le défunt sont pareillement exécutoires contre l'héritier personnellement, » elle doit donc être interprétée restrictivement. Or, elle ne concerne que l'exécution du titre et le commandement n'est pas un acte d'exécution, c'est un avertissement, une menace de procéder à une exécution (2).

ARTICLE 3. De la signification du commandement.

27. Le commandement doit être signifié d'après le mode prescrit pour les exploits d'ajournement, porte l'article 14, § 1 in fine.

Les articles 68 et 69 du Code de procédure civile déterminent ce mode.

L'article 68 dispose que tous exploits seront faits

(1) Chauveau sur Carré, q. 2203. Ce jurisconsulte invoque encore les travaux préparatoires de la loi française du 2 juin 1841. Cet argument n'a aucune valeur pour l'interprétation de la loi belge du 15 août 1854. (2) Sic Angers, 21 mars 1834 (S.-V., 1834, 2, 230); Rouen, 9 avril 1834 (S.-V., 1834, 2, 656); Grenoble, 22 juin 1826 (S.-V., 1826, 2, 304); Carré, q. 2203; Favard, vo Saisie immobilière, § 1, no 1. Contra Bastia, 19 février 1833 (S.-V., 1833, 2, 262); Pau, 3 septembre 1829 (S.-V., 1830, 2, 150); Bourges, 11 mars 1844 (S.-V., 1845, 2, 527); Persil, Quest. hyp., t. II, p. 308; Chauveau sur Carré, q. 2203; Chabot, art. 877, no 3.

à personne ou domicile; mais si l'huissier ne trouve au domicile ni la partie, ni aucun de ses parents ou serviteurs, il remettra de suite la copie à un voisin qui signera l'original; si ce voisin ne veut ou ne peut signer, l'huissier remettra copie au maire ou adjoint (bourgmestre ou échevin) de la commune, lequel visera l'original sans frais. L'huissier fera mention du tout, tant sur l'original que sur la copie.

Aux termes de l'article 14 de notre loi, le commandement doit être signifié d'après le mode prescrit pour les exploits d'ajournement.

La première rédaction de l'article était beaucoup moins générale. Le projet du gouvernement portait :

Si le débiteur n'a ni domicile ni résidence en Belgique, le commandement sera signifié conformément à l'arrêté du 1er avril 1814, à la loi du 26 mars 1833 et à l'article 69, no 8, du Code de procédure civile. »

L'article, on le voit, n'exigeait pas en termes formels que le commandement fût signifié d'après le mode prescrit pour les exploits d'ajournement. Lors de la discussion à la Chambre des Représentants, M. Orts fit observer que cette disposition avait le tort de renvoyer à des lois qui sont un peu de circonstance et qui peuvent être modifiées et proposa d'y substituer la rédaction suivante: « Le commandement sera signifié dans la forme prescrite pour les exploits d'ajournement. M. Orts remarqua que, par cette rédaction plus brève, la pensée de l'article n'était aucunement modifiée. Cette rédaction a été adoptée, mais avec un changement qui n'est pas sans importance; les mots dans la forme ont été remplacés par les mots d'après le mode, sur l'observation du ministre de la justice que

dans la forme n'était pas suffisant, « qu'il fallait encore dire la manière dont l'individu doit en être touché. »

La signification du commandement doit donc être faite de la même manière que les exploits d'ajournement.

Ce mode est établi par les articles 68 et 69 du Code de procédure civile, par l'arrêté du gouvernement des Pays-Bas du 1er avril 1814 et la loi du 26 mars 1833. 28. D'après l'article 68 du Code de procédure civile, tous exploits seront faits à personne ou à domicile. Le commandement peut-il être signifié au domicile élu?

Ce point, controversé sous le Code de procédure civile, est tranché par l'article 14 de notre loi qui autorise en termes formels la signification au domicile élu.

Cette disposition de l'article 14, remarque le rapport de M. Lelièvre, fait cesser un doute qui, même sous l'empire du Code de procédure civile, était résolu dans le sens de notre article, la doctrine et la jurisprudence s'accordant à considérer comme valable la signification du commandement faite au domicile élu (1).

29. L'article 68 du Code de procédure civile continue: . Mais si l'huissier ne trouve au domicile ni la partie, ni aucun de ses parents ou serviteurs, il remettra de suite la copie à un voisin, qui signera l'original : si ce voisin ne peut ou ne veut signer, l'huissier remettra la copie au maire ou adjoint de la commune, lequel visera l'original sans frais. L'huissier fera mention du tout, tant sur l'original que sur la copie.

"

(1) Arrêt de la cour de cassation du 24 janvier 1816 (S.-V., 1816, 1,198). Arrêt de Bourges du 27 juin 1824 (S.-V., 1824, 2, 51). Merlin, Répert., vo Domicile élu, § 2, n°9; Persil, Quest. hyp., t. II, p. 311; Berriat, p. 568, note 14; Carré et Chauveau, q. 2199.

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