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en garantie qu'exercerait contre lui le tiers détenteur évincé. Cette disposition au reste est en harmonie avec l'article 14 de la loi du 15 août 1854 qui veut que toute saisie immobilière soit précédée d'un commandement à la personne ou au domicile du débiteur (1).

S'il est juste que le débiteur soit informé des poursuites, il est peu rationnel que ces poursuites commencent contre lui et continuent ensuite contre un tiers. Le commandement aux fins de saisie immobilière n'est pas un simple acte d'information; c'est un préliminaire obligé de la saisie immobilière, à tel point que les vices de forme dont il peut être entaché empêchent de procéder à la saisie et que la demande en validité de la saisie comprend la demande en validité du commandement.

Voilà, il faut en convenir, une chose bizarre; c'est le tiers détenteur qui est exproprié et c'est au débiteur originaire que le commandement est fait; puis, c'est le tiers détenteur qui est assigné en validité de cet acte de procédure dont, légalement, il ignore le contexte.

56. Le commandement au débiteur originaire, dont parle l'article 99 de la loi hypothécaire, est le même que celui qui est prescrit par l'article 14 de notre loi. Il est donc soumis aux formalités prescrites, à peine de nullité, par cette dernière disposition (2).

57. Il y a pourtant une différence. Lorsque l'immeuble est entre les mains d'un tiers détenteur, le poursuivant ne peut user de la faculté que lui accorde l'article 15. Il ne peut, en insérant dans le commandement l'indication de l'immeuble conformément à l'article 18 et en faisant transcrire cet acte, mettre le tiers détenteur

(1) Hyp., no 1260.

(2) Martou, Hyp., no 1262; Pont, art. 2167, n° 1147

dans l'impossibilité de donner l'immeuble à bail, de l'aliéner ou de l'hypothéquer. Le créancier ne peut faire produire ces effets à son commandement qu'au seul cas où l'héritage est encore entre les mains du débiteur originaire.

Cela résulte clairement de l'article 27, qui ne parle que du débiteur et ne mentionne point le tiers détenteur. Le débiteur ne peut, à compter du jour de la transcription du commandement, aliéner ni hypothéquer, etc. Nous nous trouvons ici en une matière exceptionnelle et il s'agit d'incapacité. On ne peut donc appliquer, par analogie, au tiers détenteur une incapacité que la loi n'établit que pour le débiteur.

Il y a ici une lacune dans la loi de 1854. Lorsqu'on a improvisé, durant la discussion au Sénat, le système du commandement dont la transcription frappe les biens d'indisponibilité, on ne s'est préoccupé que du cas où le débiteur originaire est resté propriétaire des biens hypothéqués.

58. Arrivons à la sommation.

Le débiteur ne peut faire un commandement au tiers détenteur; il n'a pas de titre exécutoire contre celui-ci. La sommation ne doit pas être rédigée ni signifiée dans les formes prescrites par l'article 14. Il suffit, pour sa validité, qu'elle soit faite en la forme ordinaire des exploits.

La jurisprudence a maintes fois appliqué cette règle. Elle a décidé :

1° Que la sommation ne doit pas être visée par le bourgmestre (1);

(1) Rouen, 28 février 1810.

2° Qu'elle ne doit pas contenir copie du titre du créancier (1);

3° Que l'huissier ne doit pas être muni d'un pouvoir spécial pour faire la sommation (2).

59. Aux termes de l'article 99 de la loi hypothécaire, la sommation requiert le tiers détenteur de payer la dette exigible ou de délaisser l'héritage.

"

Cela n'est point rigoureusement exact; une sommation ainsi rédigée, quoique valable et conforme aux termes de l'article, ne serait pas tout à fait correcte. En effet, l'obligation du tiers détenteur, celle que la sommation le met en demeure d'exécuter, n'est point de payer la dette, mais bien de délaisser l'immeuble. C'est ce délaissement qui constitue l'objet principal de la sommation; le tiers détenteur ne doit pas payer la dette; mais il a la faculté d'échapper au délaissement en payant la dette ou en purgeant.

Cela résulte de l'article 98 de la loi hypothécaire portant : « Le tiers détenteur est tenu, dans le même cas, de délaisser l'immeuble hypothéqué sans réserve, sinon de payer tous les intérêts et capitaux exigibles. » Ce n'est pas sans intention que cet article s'exprime en ces termes. L'article 2168 du Code civil qu'il remplace disait, au contraire, « le tiers détenteur est tenu, dans le même cas, ou de payer tous les intérêts et capitaux exigibles, ou de délaisser l'immeuble hypothéqué sans réserve. Les rédacteurs de la loi hypothécaire ont, on le voit, transposé les termes; le rapport de la com

(1) Douai, 18 mai 1836 (S -V, 1837, 2. 328); Bourges, 17 avril 1839 (S.-V., 1839, 2, 449); Bordeaux, 15 mai 1839 (S. V., 1839, 2, 389)

(2) Bourges, 4 juillet 1824; Pont, no 1150; Martou, Hypothèques, n 1265.

mission spéciale nous en dit le motif : « L'obligation du tiers détenteur n'est pas de payer ou bien de délaisser, mais de délaisser s'il ne paye pas. La commission a changé dans ce sens le texte des articles 2168, 2178, en mettant le délaissement sur le premier plan. ❤

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Pour être très-correcte, la sommation doit donc mettre le tiers détenteur en demeure de délaisser, si mieux il n'aime payer les capitaux et les intérêts exigibles.

60. La sommation doit désigner nettement les immeubles que le tiers est mis en demeure de délaisser de manière qu'il n'existe aucun doute à ce sujet. Cela résulte de la nature même de l'acte (1).

Mais l'indication de ces immeubles ne doit pas être faite de la manière prescrite par l'article 18, 2°, quoiqu'il soit utile de s'y conformer. Cette disposition ne concerne que le commandement aux fins de saisie.

61. Le créancier doit-il signifier copie de son titre au tiers détenteur?

La loi ne le prescrit point en termes exprès, mais la nécessité de cette signification résulte de la nature même de l'acte; il met le tiers détenteur en demeure

de

payer s'il n'aime mieux rembourser le créancier; il faut donc mettre celui-ci à même d'user de cette faculté, en lui faisant connaître, par la signification du titre, la nature et le montant de la créance. Sinon, cette faculté deviendrait illusoire.

En outre, comme l'a jugé un arrêt de la cour de cassation de France du 27 janvier 1849, le tiers détenteur a qualité et intérêt pour attaquer, comme irrégu

(1) Cass. Fr., 6 juin 1860 (S. V., 1861, 1, 356).

lière et nulle, l'inscription hypothécaire prise sur l'immeuble par lui acquis; il peut contester le titre en vertu duquel l'inscription est prise. Encore une fois, l'exercice de ce droit devient impossible si le tiers détenteur ne connaît pas le titre du poursuivant (1).

Cette opinion est combattue par plusieurs auteurs et par quelques arrêts. D'après Troplong, il n'est pas nécessaire que la sommation contienne la copie des titres du créancier requérant (2). La cour de Douai s'est prononcée dans le même sens : Attendu que

les nullités sont de droit étroit; qu'elles ne peuvent s'établir par argument d'un cas à un autre, et que c'est à tort qu'on veut assimiler la sommation en délaissement au commandement dont il est question au titre de la Saisie immobilière, pour soutenir que cette sommation doit contenir copie entière du titre, à peine de nullité; qu'en effet, la procédure en délaissement et celle en expropriation forcée sont deux choses essentiellement distinctes;-Attendu d'ailleursqu'aucun texte de loi ne trace les formes de la sommation à faire, aux termes de l'article 2169 du Code civil; qu'il n'est écrit nulle part que copie du titre sera donnée à l'acquéreur (3).

"

Nous avons répondu d'avance à cette argumentation en remarquant que l'obligation de communiquer le titre de la créance ne résulte pas du texte de la loi, mais de la nature de l'acte de sommation. Lorsque le créancier vient dire au tiers détenteur : Délaissez ou bien payez le principal et les intérêts de ma créance,

(1) Bordeaux, 24 juillet 1841; Dalloz, Priv. et hyp., no 1818. (2) Hyp., no 794.

(3) Douai, 18 mai 1839.

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