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DES PEINTRES

DE L'ANTIQUITÉ,

Dont il est fait une mention quelconque dans les Auteurs Grecs et Romains.

Q

NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

UE serait la peinture, considérée indépendamment des ouvrages des hommes qui l'ont exercée, sinon un art métaphysique? N'est-ce pas dans ces ouvrages qu'elle existe; dans ces ouvrages qu'on peut en prendre connaissance? C'est l'histoire de leurs auteurs qui forme son histoire. Le désir d'imiter est un des goûts naturels à l'homme; la variété des formes et des couleurs est une des causes de ses plaisirs. Ainsi, l'homme a dû chercher partout à imiter ce qu'il voyait ; partout il a dû se plaire à tracer des formes variées, à unir des variétés de couleurs. On a cherché quel peuple a inventé la peinture : cette invention, prise dans son état le plus grossier, a été faite partout. Les peuples sauvages, qui cachent même à peine leur nudité, ont une sorte de peinture; ils se l'impriment douloureusement dans les chairs et savent la rendre ineffaçable. Les mères procurent de bonne heure à leurs enfans cette difformité qu'elles regardent comme une beauté ; elles leur piquent la peau avec des os aigus ou des arêtes de poissons, et frottent ces plaies récentes de substances colorées. Cette

sorte de peinture est inspirée par le luxe; une autre l'est par le besoin : mais celle-ci semble n'avoir été inventée que la seconde ; car il est assez naturel à l'homme de faire marcher le superflu avant le nécessaire. Cette seconde peinture est celle qui conserve le souvenir des évènemens. La peinture n'a d'abord consisté que dans un simple trait; on a commencé à indiquer le contour des objets long-temps avant que d'en exprimer le relief et la couleur. L'art consistait alors tout entier dans la partie que nous appelons dessin. Après avoir fait long-temps de simples traits, on s'est avisé d'employer des matières colorantes pour imiter les couleurs des objets qu'on représentait. On a imité une draperie jaune, en remplissant le trait d'une couche de couleur jaune, et une draperie bleue, en remplissant le trait d'une couche de couleur bleue. La peinture n'était que ce que nous appelons l'enluminure, et c'est en cet état qu'elle est restée chez les Egyptiens. D'autres peuples, plus observateurs, ont reconnu que, dans la nature, les objets avaient du relief, et qu'ils devaient ce relief au jeu de la lumière; ils ont inventé la partie de l'art qu'on nomme le clair obscur. Les Grecs, observateurs plus fins, plus délicats, plus sensibles que les autres nations, ont inventé cette partie avant de trouver celle du coloris, et ils ont fait des peintures monochrômes ou des camaïeux avant de faire des tableaux coloriés.

Nous trouvons dans Diodore de Sicile les premiers monumens de peinture qui aient mérité de fixer l'attention des écrivains. Cet historien, d'ailleurs fort crédule, rapporte que la reine Sémiramis avait fait construire à Babylone une muraille de deux lieues et demie de tour, dont les briques avaient été peintes avant de les faire cuire, et qui représentaient diverses espèces d'animaux, des tableaux même qui figuraient des chasses et des combats. Dans le même temps, les Egyptiens, si l'on en croit Hérodote et ses copistes, exerçaient déjà cet art avec le plus grand succès, et les temples de l'Egypte, ceux de Memphis surtout, offraient alors aux voyageurs une foule de morceaux de peinture exécutés par des artistes nés sur les bords du Nil.

Platon, qui vivait quatre cents ans avant l'ère vulgaire, assurait que la peinture était exercée en Egypte depuis dix mille ans; qu'il restait encore des ouvrages de cette haute antiquité, et qu'ils n'étaient, à aucun égard, différens de ceux que les Egyptiens faisaient encore de son temps. Sans regarder l'époque de dix mille ans, fixée par Platon, comme une époque précise, nous pouvons la regarder dụ moins comme une époque indéterminée qui remonte à une haute antiquité. Il résulte, d'une autre part, de ce témoignage de Platon, que les ouvrages de peinture des Egyptiens étaient d'une longue durée; mais que, pendant le cours d'un nombre inexprimable de siècles, ils n'avaient fait aucun progrès. Leurs figures peintes étaient toujours dans une position très-roide, les jambes rapprochées, les bras ordinairement collés sur les flancs: il semblait qu'ils eussent pris pour modèles leurs momies emmaillottées. Comme ils ne disséquaient point de cadavres, ils ne pouvaient connaître ni les véritables formes des os, ni celles des muscles, ni leurs fonctions. Aussi ne représentaient-ils pas les muscles sur leurs figures, pas même ceux qu'ils auraient pu connaître à-peu-près, en observant, d'un œil studieux, la nature vivante. On a prétendu qu'ils connaissaient l'anatomie; mais ce n'est qu'un abus de mots. L'anatomie consistait uniquement chez eux dans l'art de vider les cadavres pour les préparer à recevoir l'embaumement. Cet art pouvait les conduire seulement à mieux connaître les entrailles; et c'est précisément une partie de l'anatomie étrangère aux beaux-arts. Les Egyptiens n'étaient beaux ni de taille, ni de visage, mais ils avaient du moins la conformation nécessaire à l'homme, et leurs artistes ne savaient pas rendre cette conformation: ils plaçaient les oreilles beaucoup plus haut que le nez; ils donnaient à la face la forme d'un cercle plutôt que celle d'un ovale; ils faisaient le menton trop court et trop arrondi; ils arrondissaient aussi les joues avec excès; ils relevaient de même avec excès l'angle extérieur de l'oeil, et faisaient suivre à la bouche le même mouvement. C'était d'ouvrages religieux que s'occupaient principalement les artistes égyptiens, et ces ouvrages

avaient une posture consacrée ; ils avaient aussi des formes convenues, dont on ne pouvait s'écarter, et ces formes étaient monstrueuses : c'étaient des corps d'animaux sous des têtes d'hommes ; c'étaient, sur des corps humains, des têtes d'animaux et ces animaux étaient souvent eux-mêmes bizarres, imaginaires, et n'avaient point de types dans la nature *. Dire que les prêtres ne permettaient pas de s'écarter des attitudes convenues pour les simulacres religieux, c'est dire qu'ils ne permettaient pas de perfectionner l'art en étudiant les mouvemens de la nature. Les monumens les plus connus de la peinture des Egyptiens, dit Winckelmann, sont les bandelettes des momies. Ces ouvrages ont résisté aux injures des siècles et sont

* On sait que c'était une ancienne tradition en Egypte que, lorsque les dieux furent chassés du ciel, ils se réfugièrent dans cette contrée; et, pour se soustraire à la vengeance de Jupiter, ils prirent la forme des différens animaux qui l'habitent. Ce fut toujours sous ces formes qu'ils les représentèrent, à l'exception d'Isis, de son fils Orus et d'Osiris ; mais le boeuf Apis, le chat d'Isis, le crocodile, l'épervier, l'ibis, le dieu Canope, sous la forme d'un vase, le sphynx, etc. pouvaient-ils offrir au génie de l'art ces formes nobles et sublimes de l'homme, qui peuvent seules donner une idée raisonnable de la divinité personnifiée et visible? L'on voit ici combien la religion peut influer sur l'art. Celle des Egyptiens fut toujours contraire à leurs progrès. Les images n'étant pour eux que des emblêmes de la nature et des hyéroglyphes de la langue sacrée ou de leur histoire, ils en fixèrent la forme, afin que le même signe rappelât les mêmes idées. Les prêtres avaient prescrit non-seulement la forme des dieux, mais encore une attitude rectiligne que nous voyons dans leurs monumens de l'art et qui est toujours la même. Les lois de Moïse firent plus, elles proscrivirent absolument l'étude des arts. Je lis dans l'Exode, chap. XXII, v. 4 : « Vous « ne ferez point d'image taillée, ni aucune figure de tout ce qui est en haut dans le ciel, et en bas « sur la terre, ni de tout ce qui est dans les eaux sous la terre »; et dans le verset 23 du même chapitre « Vous ne vous ferez point de dieux d'argent ni de dieux d'or. » Le législateur des juifs ne se contenta pas de défendre les images des dieux, mais encore il défendit toute espèce de monument qui aurait pu en rappeler l'idée. On lit au chap. XXVI du Lévitique, v. 1: « Vous « ne vous ferez point d'idole ni d'image taillée; vous ne dresserez point de colonnes ni de monu« mens, et vous n'érigerez point dans votre terre de pierre remarquable pour l'adorer. » Dans le Deuteronome, Moïse rappelle les mêmes défenses d'une manière plus étendue; dans le ch. IV, les versets 15, 16, 17, 18 et 19 renferment tous les objets qu'il défend de représenter, et ces objets sont non seulement Dieu, l'homme et la femme, mais tous les animaux, les quadrupèdes, les reptiles, les poissons, les oiseaux : il finit par la défense d'adorer les astres. Mais, comment accorder ces loi qui proscrivaient la sculpture, avec les Chérubins qui décoraient l'arche d'alliance? C'est un point de l'histoire qui n'est pas de notre sujet.

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