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la couleur. L'artifice sut même quelquefois se déguiser avec tant d'adresse, que ce n'était qu'après un examen sérieux que d'habiles joailliers parvenaient à discerner le faux d'avec le vrai. Pour en imposer avec plus de hardiesse et plus sûrement, ils avaient trouvé le secret de métamorphoser des matières précieuses en des matières plus précieuses encore. Ils teignaient le cristal dans toutes les couleurs, et surtout dans un très-beau vert d'émeraude; d'autres fois on produisait de fausses améthystes, dont le velouté pouvait tromper même les connaisseurs. Ce n'était cependant que de l'ambre teint en violet. On voit des pierres factices antiques qui semblent être de véritables agathes-onyx. Il n'est guères possible de pousser plus loin que le firent les Romains, l'art de contrefaire les camées.

Une des raisons de la supériorité désespérante à laquelle les Grecs ont porté tous les arts, c'est le discernement avec lequel ils ont réglé l'emploi de toutes les matières dont ils se sont servis. La cire fut une des premières dont l'artiste grec s'empara. Elle invitait la main du sculpteur à la modeler par sa docilité à se plier à toutes ses fantaisies. Un siècle avant Phidias, Anacréon parle d'un petit amour de cire, dans une ode qui, sans doute, a donné naissance à cette marchande d'amours d'Herculanum dont on a fait tant de copies (voyez planche LII de cette collection); et, lorsqu'on travaillait déjà avec la plus grande perfection le marbre et le bronze, il y avait encore en Grèce une classe particulière d'artistes que l'on nommait sculpteurs de poupées. Ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que, par son aptitude à recevoir les couleurs, la cire qu'ils employaient était éminemment propre à imiter des objets de la nature végétale, des branches d'arbres, des guirlandes, des fleurs et des fruits. Aux fêtes d'Adonis, qui étaient célébrées à la fin de l'hiver, on établissait, selon un ancien usage, dans chaque maison, un petit parterre qu'on nommait le jardin d'Adonis, et que l'on ornait de pots de fleurs et de corbeilles remplies de toutes sortes de fruits. Théocrite décrit, dans sa quinzième Idylle, la fête d'Adonis, telle qu'il l'avait vu célébrer à Alexandrie

par Ptolémée Philadelphe. L'image du bel Adonis reposait sur un catafalque magnifique; et, parmi les ornemens qui l'entouraient, le poète nomme des fruits mûrs de tous les arbres, des parterres de fleurs dans des corbeilles d'argent, et de petits bosquets de verdure. Le tout était en cire peinte. Dans un grand nombre d'autres cérémonies où l'on décorait les temples, les chapelles, les appartemens de corbeilles, de vases et de guirlandes, on employait les fruits et les fleurs artificielles à la place des fleurs et des fruits naturels. Diogène Laërce rapporte qu'un stoïcien nommé Sphærus, né sur les bords du Boristhène, avait été appelé à la cour d'Alexandrie, où Ptolémée Philopator le faisait asseoir à sa table, et s'amusait à l'entendre développer sa philosophie et ses paradoxes. L'école stoïcienne soutenait entr'autres, contre l'académie, la pleine vérité des images et des idées que nous recevons des impressions de nos sens. Un jour que Sphærus défendait ce principe à la table du roi, avec beaucoup de chaleur et de zèle, Ptolémée fit signe à un domestique qui plaça aussitôt une assiette de grenades devant le philosophe échauffé. Sphærus ne tarda pas à y porter la main dans l'intention de se rafraîchir; mais Ptolémée l'arrêta, et lui dit, d'un air triomphant, que ces grenades étaient de cire. La même anecdote se trouve dans Athénée, avec cette différence que ce ne sont pas des grenades, mais des poulets de cire que l'on présente à table au stoïcien. Il n'était pas rare de voir, sur la table des gens riches, des services entiers de différens mets imités en cire, dont on amusait les convives dans les intervalles des services réels. Nous voyons dans Lampride, qu'Héliogabale faisait souvent servir à ses parasites des imitations parfaites en cire, en ivoire ou en marbre, des mets réels que luimême dévorait avec l'avidité qui lui était particulière. Les malheureux convives étaient obligés, sous peine de la vie, à faire contre fortune bon coeur; et, après chaque service dont on avait repu leurs yeux, on leur présentait à laver, selon la coutume de ce temps-là, où l'on mangeait sans couteau ni fourchette, et on leur faisait avaler un grand verre d'eau. Varron, cité par Pline, dit qu'un certain Posis

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exécutait à Rome des pommes et des raisins artificiels capables de tromper l'oeil le mieux exercé. Ce passage est pris d'un chapitre où Pline ne traite que des ouvrages en argile, et ne parle nullement des ouvrages en cire; mais il eût été bien difficile de produire une pareille illusion avec de l'argile peinte, tandis qu'en cire la peinture encaustique des anciens se prêtait naturellement à imiter le plus bel émail des fleurs et des fruits. Epictète parle de pommes de cire qui ne laissaient rien à désirer pour la vérité des couleurs et des contours *.

On produisait aussi des tableaux par la réunion de plusieurs corps solides différemment colorés, ou par la broderie ou par le tissu. Nous avons dit que ces deux dernières espèces de peinture étaient connues des anciens et très-diversement employées. Les différentes espèces d'ouvrages de l'art, que nous comprenons sous la dénomination générale de mosaïque, n'étaient pas également susceptibles d'un même degré de perfection. Il n'y a pas de doute que les anciens n'aient connu la mosaïque en marqueterie. Une quantité de parquets en marbre de différentes formes et couleurs, qui ont triomphé du temps, en sont la preuve. On rencontre même encore des morceaux en figures d'hommes et d'animaux **. La pièce la plus intéressante en ce

* On avait souvent des portraits en cire dans sa chambre, comme on le voit d'après les épigrammes de Straton (Epig. XXV, analect., t. 11, p. 365).

** Une mosaïque découverte en Sardaigne, dans un faubourg de Cagliari, appelé Stampace. Elle formait le pavé d'une grande chambre qui faisait partie d'un ancien édifice destiné aux bains publics. Le pavé était composé de plusieurs caisses de bois de sapin, posées sur une charpente de solives, et si artistement arrangées les unes à côté des autres, qu'on n'y aperçoit aucune trace de leur assemblage. Cette structure avait le double avantage qu'on pouvait faire travailler plusieurs ouvriers à-la-fois, et rendait en même temps le travail moins pénible. La figure qui est au milieu du tableau représente Orphée assis; il porte sur sa tête le bonnet phrygien, de sa gauche il pince une lyre, et dans la main droite il a le plectrum, et ses yeux annoncent qu'il est inspiré. Cette figure est colossale, et on voit distinctement la forme du plectrum. Orphée est entouré de différens animaux presque tous de grandeur naturelle, les uns féroces, tels que le lion, le tigre, le léopard, les autres domestiques, comme le cheval, le taureau, le chevreuil, etc. Tous paraissent attirés par les doux accens de sa voix et par les charmes de sa lyre. Une bordure à la grecque entoure cette composition. Dans le champ du tableau on voit plusieurs

genre existe à Rome, au palais Albani; elle représente l'enlèvement d'Hylas par les nymphes. Vitruve appelle pavimenta sectilia les parquets faits de cette manière. Ils étaient composés de plaques de différentes formes, ovales, triangulaires, carrées, exagones. Les anciens couvraient de la même manière les murs avec du marbre de différentes couleurs et de formes différentes. On voyait, dans une seconde espèce de mosaïque, des contours gravés sur une surface unie, et remplis d'une matière de couleur différente. Ces ouvrages servaient principalement à orner des vases, des ustensiles de métal, des armures, des cuirasses. Nous possédons encore plusieurs morceaux dans ce genre. Nous ne citerons que la table isiaque et différens vases antiques conservés au Musée de Portici. Une troisième espèce de mosaïque, toute différente des autres, est la peinture sur verre. Buonarotti a démontré que les anciens en avaient connu le secret *.

lauriers. Malgré les difficultés que l'on dut éprouver à faire passer dans la mosaïque les beautés de l'original, cependant les formes sont naturelles, les expressions analogues aux sujets, et, par des teintes bien ménagées, on a su conserver une certaine harmonie dans les couleurs. Winckelmann prétend que les anciens évitaient d'employer, dans les ouvrages en mosaïque, des couleurs vives, telles que le rouge et le vert, à cause de la difficulté qu'ils avaient de trouver des marbres de ces couleurs. Dans le monument dont nous parlons, formé entièrement de petits cubes de marbre et de pierre colorés, on voit en abondance non-seulement du rouge et du vert, mais aussi d'autres couleurs qui prouvent que la connaissance qu'avaient les anciens des différentes qualités des marbres, n'était pas aussi bornée que l'ont cru quelques savans. Il y a apparence que cet ouvrage a été fait sous les premiers Césars. Cette mosaïque, dans laquelle les figures sont colossales, est unique en son genre. Les anciens artistes avaient bien connu les inconvéniens de ce genre de peinture: par conséquent dans les belles compositions, ils formaient des dessins avec un petit nombre de teintes ménagées si à propos, que l'ouvrier, en les transportant dans la mosaïque, pouvait conserver toute la force et les beautés de l'original. Les anciens artistes enchâssaient les petits cubes de marbre dans la chaux éteinte avec de l'eau et mêlée avec de la poudre de marbre. Ce mortier avait l'inconvénient de se durcir promptement, et ne laissait à l'ouvrier que très-peu de temps pour achever son ouvrage.

* Winckelmann, dans ses remarques sur l'histoire de l'art, qui n'ont point été traduites de l'allemand, parle avec admiration de l'art des anciens à faire des ustensiles et des ornemens de verre. Il en cite des morceaux trouvés à Rome en 1766, sur l'un desquels un canard était peint si parfaitement à travers toute la substance du verre, qu'on le voyait d'une manière très-distincte, en que que endroit qu'on le coupât horizontalement. C'est en Egypte que se faisaient les ou vrages en verre les plus recherchés. On en trouve beaucoup de preuves dans le recueil du

Un vers de Stace * a fait croire à quelques savans qu'ils se servaient de carreaux peints pour leurs vitres **. Il est certain qu'ils avaient des gobelets de verre composés d'une mosaïque transparente. Les anciens faisaient encore d'autres espèces de mosaïque. Celle qui est désignée par Pline sous le nom de mosaïque figurée, ne servait qu'au parquetage. On n'employa d'abord, pour la faire, que des pierres naturellement colorées; mais, comme il était difficile de se procurer des pierres de toutes les couleurs, on eut recours à une composition artificielle qu'on imprégnait auparavant de toutes les couleurs qu'on voulait lui donner. La mosaïque ainsi composée avait l'inconvénient de se refuser au poli, au lustre, et les couleurs en restaient ternes. Quoique la mosaïque eût été inventée pour les parquets, elle servit bientôt à l'incrustation des murs et des plafonds, dans les endroits ouverts, tels que les portiques et les exèdres, où l'air et les rayons du soleil auraient bientôt terni toute autre espèce de peinture. Les mosaïques, dont les anciens ornaient leurs salles à manger, imitaient les balayures ou le rebut des mets. Sosus de Pergame fut le premier artiste qui exécuta de tels parquets. Nous ne connaissons qu'un monu

comte de Caylus, et dans l'Historia vitri de M. Hamberger, in Commentariis Gotting., lib. IV, p. 132.

* Effulgent cameræ vario fastigia vitro, lib. 1, sylv. 5.

** Nous trouvons qu'à plusieurs égards les anciens faisaient du verre le même usage que nous. Sénèque et Pline nous apprennent qu'ils s'en servaient pour orner les murs de leurs appartemens, sans doute de la même manière dont nous ornons les nôtres avec des glaces et des trumeaux; et, ce qui paraîtra d'abord choquer l'opinion générale, et n'en est cependant pas moins vrai, les anciens connaissaient l'usage du verre pour les fenêtres des bâtimens, et surent employer de bonne heure les vitres pour jouir de la lumière, à l'abri des injures de l'air. (Lactantius, de opificio Dei, c. 8). Avant cette invention si agréable et si utile, les riches mettaient à leurs fenêtres des pierres transparentes, telles que l'agathe, l'albâtre, le phengite, le talc, etc. On lit dans Philon, de legatione ad Caïum Caligulam, que Caligula courut dans une grande chambre, et, se promenant de long en large, il ordonna qu'on ouvrît les fenêtres faites de pierres presqu'aussi transparentes que le verre blanc, lesquelles n'interceptent point la lumière en même temps qu'elles empêchent l'air froid d'entrer, et sont une défense contre l'ardeur du soleil. Cette pierre doit avoir été la même que le beau talc trouvé à Pompéia, et conservé au Musée de Portici. Il transmet la lumière aussi pure et aussi transparente que le plus beau

verre.

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