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faire désirer. Ces enfans du génie, ces monumens de la piété et de la reconnaissance, ces preuves de la vénération pour la vertu, du respect pour les talens, d'admiration pour la beauté, enfin ces fruits du bonheur public furent la proie de ces brigands qui ne devinrent les maîtres du monde que pour en être les oppresseurs. Les Romains dépouillèrent la Grèce bien plus par cupidité que par une estime sentie des beaux-arts. Et cependant il faut encore leur savoir quelque gré, puisque nous leur devons des chefs-d'oeuvre que des peuples plus barbares auraient peut-être détruits sans retour. Le nombre de statues, de tableaux, de trépieds et de vases qui furent apportés à Rome, effraie l'imagination. Claudius Marcellus enleva de Syracuse les premiers monumens de l'art que l'on vit à Rome. Capoue fut dépouillée de toutes ses statues par Fulvius Flaccus. Mummius, après avoir renversé Corinthe de fond en comble, enleva tous ses monumens. Marcus Scaurus, édile, fit enlever toutes les peintures des temples et des édifices publics de Sicyone. Métellus dépouilla la Macédoine de ses plus beau monumens. Lucius Scipion, après la victoire de Magnésie, remportée sur Antiochus-le-Grand, fit transporter à Rome une quantité prodigieuse de statues. Polybe, malgré sa partialité pour les Romains, ne peut s'empêcher de leur reprocher leur cupidité *.

*

L'origine de l'art, chez les peuples d'Italie, est tout aussi incertaine qu'en Grèce. Au reste, on peut le considérer, à sa naissance et dans ses progrès, comme une branche de la culture grecque. Les artistes qui avaient suivi Démarate, et qui avaient transplanté la plastique et la peinture en Italie, ne connurent eux-mêmes que les élémens les plus grossiers de ces deux arts. Sous Tarquin l'Ancien, fils de Démarate, les notices des ouvrages de l'art, faits à Rome, deviennent authentiques; et il paraît que, depuis ce temps, on a cultivé les arts dans les villes de l'Etrurie, à Rome, et dans les contrées voisines; mais l'art n'arriva jamais à sa perfection chez les peuples d'Italie. Les ouvrages mêmes en plastique et en sculpture restèrent toujours durs et roides chez les Etrusques, et ils n'atteignirent jamais dans le dessin au degré où se montraient les travaux des artistes grecs vers la LXXXe olympiade. Quant à la peinture, ils ne paraissent jamais avoir porté leur étude jusqu'aux connaissances de la théorie des lumières et des ombres. Les peintures à Lanuvium et à Ardée, auxquelles Pline attribue une haute antiquité et une grande perfection, sont sans doute d'un âge postérieur, et de la main d'anciens Grecs. Du reste, deux artistes venus de la Grèce, Damophile et Gorgase, peiguirent dans le temple de Cérès, comme nous l'avons dit, deux cents ans avant que Fabius Pictor, le premier peintre romain,

La peinture, dit Pline, fut promptement en honneur à Rome; il en trouve une preuve dans le surnom de Pictor donné à l'illustre famille Fabia. Fabius Pictor peignait dans l'année de Rome 450; le poète Pacuvius donna plus tard un nouveau lustre à la peinture chez les Romains; mais elle cessa d'être exercée dans la suite par des mains honnêtes, continue Pline; quelques Romains seulement essayèrent de la réhabiliter, mais en vain ; ils s'exposèrent à la risée de leurs concitoyens. Auguste ne consentit à ce que Quintus Pédius étudiât la peinture, que parce que celui-ci était muet, et que la peinture, en l'occupant, lui rendrait son infirmité moins pénible. Mais bientôt les généraux romains établirent l'usage de décorer les temples de tableaux où étaient représentées les batailles qu'ils avaient gagnées. Valérius Maximus Messala fut le premier qui eût cette idée, au rapport de Pline; Lucius Scipion ne tarda pas à l'imiter; Lucius Hostilius Mancilius, qui le premier était entré d'assaut dans Carthage, expliquait lui-même au public le tableau où il avait fait représenter cette action, montrant à chacun, dit Pline, le site de Carthage, les assauts donnés à la ville, et les diverses particularités du siège. Lucius Mummius, surnommé l'Achaïque, de sa victoire sur les Achéens, fut le premier qui mit en vogue, à Rome, les tableaux étrangers. Le premier aussi il consacra un tableau étranger dans un temple de Rome. Cette innovation eut de nombreux imitateurs. Dans la suite, les tableaux apportés des villes conquises furent aussi exposés dans le forum. Ceux qui consacraient des peintures dans les temples, n'en conservaient pas moins la propriété; ce ne fut que plus tard que Marcus Agrippa les fit déclarer acquis à la masse des richesses publiques. César, Auguste, Tibère se plurent à enrichir les temples des chefs-d'œuvre de la peinture, chefs-d'œuvre, dit Pline, qui n'étaient faits qu'avec quatre couleurs, le blanc, alors réduit au seul

entreprît d'orner de ses tableaux le temple de la déesse Salus. Mais du temps de Fabius, la peinture chez les Grecs était déjà dans toute sa gloire; et quand on considère les relations fréquentes qui existaient entre la Grèce et Rome, le noble romain pouvait être facilement instruit dans l'art par quelque maître grec.

melinum, l'ocre, au seul attique, la terre rouge, à la seule sinopis pontique, et le noir, au seul attrament; et ces chefs-d'œuvre avaient pour auteur un Apelles, un Ekhion, un Mélanthius, un Nicomaque, peintres dont chaque tableau était évalué le revenu d'une ville. Les plus anciens tableaux n'étaient point sur toile, mais sur bois. Ce bois était volontiers du larix femelle ; on commençait par y mettre une couche de craie.

Néron, voulant renchérir sur ses prédécesseurs, ordonna qu'on le peignît sur une toile de cent pieds de haut *, innovation inouie jusqu'alors en peinture, dit Pline; ce tableau à peine achevé fut consumé par la foudre. Pourquoi le monstre ne fut-il pas frappé du coup qui détruisit son image! La mode de représenter des gladiateurs avec leur suite, sur des tapisseries qu'on faisait voir au peuple dans les jours de fête, exista sous le règne de cet empereur. C'était Caïus Terentius Lucanus qui l'avait introduite. Il y avait long-temps, dit Pline à cette occasion, que la plate peinture était en honneur en Italie. Auguste fut le premier qui eut l'idée de faire revêtir les murailles des appartemens de peintures représentant des sujets champêtres, des vues, des scènes sur l'eau. Parmi les peintures de ce genre, il n'en était point de plus admirées que celles qu'on nommait nobiles palustres, expression qui n'a guères d'équivalent dans notre langue. Ce fut encore Auguste qui imagina de faire représenter des villes maritimes sur les murailles extérieures des édifices. Pline dit que la dépense de ce genre de peintures était peu considérable, par la raison, sans doute, que ce n'était guères qu'une espèce de travail grossier abandonné aux talens les plus médiocres **. Les

* C'est la seule fois qu'il soit fait mention d'uu tableau peint sur toile dans l'antiquité.

** Deux passages, l'un de Pline, l'autre de Vitruve, mettent hors de doute que les anciens ont connu et exécuté une espèce de peinture à fresque. Cependant, de la manière dont ces deux auteurs en parlent, la peinture à fresque des anciens était moins une peinture qu'un barbouillage, une manière d'enduire les murailles. Par cette raison, Vitruve n'appelle pas peintres, mais barbouilleurs (tectores), ceux qui s'en occupaient. Voici comment ils s'y prenaient. Après avoir donné à la muraille le dernier crépi de chaux et de poudre de marbre, pendant qu'elle était encore

anciens artistes se seraient fait scrupule de peindre sur les murailles; ils auraient regretté de faire des ouvrages qui n'auraient pas pu, au besoin, être transportés, et qui eussent été condamnés, dit Pline, à rester toujours attachés au mème lieu, sans pouvoir être sauvés d'un incendie. Protogènes n'avait qu'une simple cabane dans son jardin; on ne voyait aucune peinture dans toute la maison d'Apelles. Les artistes n'employaient leur art qu'à l'ornement des villes. Un peintre et son talent étaient alors un effet public, un bien commun à toute la terre. Cependant il y avait, à Lacédémone, un bâtiment dont les murailles étaient peintes, et dont les peintures étaient si exquises, dit Pline, que les édiles Murena et Varron en firent scier les pierres en tablettes, puis les firent entourer de cadres de bois, et transférer à Rome, pour orner la place des Comices; ouvrage merveilleux enlevé d'un édifice de pierre, et transporté de Sparte à Rome par une audace encore plus merveilleuse.

C'était un crime capital chez les Grecs de dérober une statue, ou même de la déplacer. Un larcin de cette espèce causa souvent de longues et sanglantes guerres. Plusieurs auteurs même ont prétendu que ce ne fut point Hélène, mais une statue de cette femme célèbre, qui occasionna la guerre de Troie.

Nous devons pourtant dire que, chez les Grecs, il n'en était pas des ouvrages de peinture comme des ouvrages de sculpture; les tableaux pouvaient bien inspirer la même estime et la même admiration, mais non pas la même vénération que les statues. Celles-ci

humide, on l'enduisait d'une couleur quelconque, laquelle, pénétrant dans le crépi, se consolidait et s'amalgamait avec la masse. C'était sur ce fond à une couleur, auquel on avait donné le temps de sécher, qu'on peignait ensuite les tableaux dont on voulait l'orner. C'est ainsi qu'on trouve des figures, des paysages, des ornemens, etc. sur la plupart des anciennes murailles de Rome, et sur les ruines d'Herculanum qui ont triomphé du temps et de la destruction. En général on peignait moins sur les murs que sur le bois. Pline dit lui-même qu'il n'y a de gloire que pour ceux des artistes qui ont peint sur le bois, et il loue beaucoup les temps anciens, où l'on n'abusait pas encore de l'art de la peinture pour orner les murailles des maisons des particuliers. En général, ces restes ne doivent être considérés que comme de simples ornemens de murailles, et nullement comme des peintures où l'art voulait déployer sa force.

étaient seules un objet de culte ; on leur adressait des voeux et des prières; elles avaient des temples, des autels et des prêtres; on leur immolait des victimes; on les croyait animées par la divinité même qu'elles représentaient; elles passaient pour rendre des oracles; on les fixait, on les enchaînait pour les empêcher de prendre la fuite et de passer chez l'ennemi. Jamais la superstition n'offrit à la peinture de pareils hommages; aussi ne voyons-nous rien chez les anciens qui puisse nous faire croire que, dans aucun cas, dans aucune circonstance, il eût été défendu aux peintres de mettre leur nom à leurs ouvrages. Il n'en fut pas de même pour les statuaires. Lorsqu'après avoir déjà produit des chefs-d'oeuvre où brillait un caractère de grandeur et de majesté jusqu'alors inconnu, Phidias eut mis la dernière main à la statue de Minerve, destinée pour le Parthenon, les Athéniens lui défendirent d'y mettre son nom, soit qu'ils voulussent humilier dans sa personne celle de son ami Périclès, dont l'administration, tout à-la-fois sage et brillante, commençait à lasser ce peuple excessivement inquiet et jaloux, soit qu'ils souffrissent impatiemment qu'un simple mortel partageât en quelque sorte leurs adorations avec les divinités que son art avait enfantées. A la vérité Plutarque nous dit que quelques-uns assuraient que Phidias avait mis son nom au piédestal de sa Minerve d'Athènes; mais, outre que cette manière de s'exprimer suppose que cela n'était pas toujours permis, ce témoignage doit céder à celui de Cicéron, qui dit positivement que Phidias, n'ayant pas eu la liberté d'attacher son nom à son ouvrage, grava son propre portrait sur le bouclier dont il avait armé le bras de la déesse; de manière qu'on ne pouvait l'en arracher sans que toutes les parties de cette figure ne se désassemblassent, et que la statue ne tombât en pièces. Ceci sera aisé à concevoir si l'on observe, premiè rement, que cette figure, haute de vingt-six coudées, n'était ni de marbre, ni de bronze, mais que toutes les parties nues, comme la face, les bras et les pieds, étaient travaillées en ivoire, et que la draperie était faite d'or; secondement, que Phidias était tout à-la-fois statuaire, architecte et géomètre, et que Périclès l'avait mis à la tête

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