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sien, sont du petit nombre des artistes romains qui cultivèrent la peinture avec quelque succès. Pline fait encore mention de Cornelius Pinus et d'Accius Priscus. Mais, en général, l'exemple de Fabius Pictor n'avait pas engagé ses concitoyens à l'imiter; un siècle et demi s'écoula sans qu'on vît aucun Romain s'occuper de la peinture. Les tableaux de Fabius n'étaient que des ouvrages, ou plutôt des récréations de sa jeunesse ; celles de Pacuvius, les amusemens de sa vieillesse. Si les Romains employaient des artistes, ils n'estimaient pas assez les arts pour chercher à devenir artistes eux-mêmes. C'était moins la beauté d'un tableau que sa valeur qui avait des charmes pour eux.

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Quelques Romains, comme nous l'avons dit, honorèrent la peinture en la cultivant, mais ce n'était pas un goût national comme chez les Athéniens, et nous ne trouvons dans l'histoire de Rome aucune de ces marques de considération dont les Grecs savaient si bien récompenser les grands talens. Le siècle même d'Auguste n'en fournit aucun exemple, malgré le goût de cet empereur pour les monumens, et la haute estime d'Agrippa pour les arts. Cicéron écrivait sans cesse à Atticus, alors à Athènes, de lui envoyer des tableaux et des statues; mais il ne désigne aucun artiste par une estime particulière; cela prouve seulement qu'il en voulait beaucoup.

Dans la Grèce, les jeunes gens s'exerçaient nus, dans les gymnases, à déployer leur force et leur adresse. Les mœurs des Grecs ne s'en offensaient point, parce qu'ils faisaient consister l'indécence dans les actions et non dans la nudité. C'était là que les artistes allaient étudier les belles formes et les mouvemens qui leur en développaient toutes les grâces; c'est là qu'en réunissant les perfections éparses, et qui se trouvent si rarement réunies dans un même sujet, ils créèrent le beau dont ils ont laissé tant de modèles. Aristote recommandait aux jeunes Grecs l'étude du dessin, pour qu'ils fussent plus en état de juger des formes et des proportions qui constituent la vraie beauté. Avec quel soin ce peuple élevait ses enfans! quelle était son application à chercher les moyens de développer en eux les grâces du corps! quelle attention du gouvernement à seconder ces vues

générales! On allait jusqu'à proposer des prix pour ceux qui tendaient plus heureusement à ce but. On évitait soigneusement tout ce qui pouvait altérer la régularité des traits. Alcibiade cessa de jouer de la flûte, parce qu'il s'aperçut qu'elle lui faisait tourner la bouche; et les jeunes Athéniens, prétendant également à la beauté, l'imitèrent. Enfin on disputait le prix de la beauté comme celui des talens. Platon la plaçait au rang des premiers biens humains; Plutarque et Zénon la nommaient fleur de vertu; Homère, don divin; Aristote, lettres de recommandation. Démosthènes ne se contentait point de la placer au premier rang des perfections de la nature, il disait qu'elle tenait la place de la divinité sur la terre. Un Pythagorien appelait les belles personnes dieux, déesses, ou images divines. Isocrate, parlant d'Hélène, disait que les dieux combattaient avec plus de fureur pour elle que dans la guerre des géans. Cette estime désordonnée des avantages corporels était portée chez les Grecs jusqu'à la barbarie. Lorsqu'il naissait un enfant à Sparte, il était examiné par des juges qui le rejetaient du nombre des vivans, s'ils remarquaient en lui quelque vice de conformation, et le faisaient précipiter dans l'Eurotas. Les Spartiates condamnèrent à une grosse amende, dit Plutarque, Archadamus, leur roi, pour avoir épousé une femme de petite stature. Ajoutons à tant de ressources la facilité que les mœurs donnaient aux artistes pour se procurer les plus beaux modèles. On s'honorait d'avoir servi pour l'exécution d'une belle statue. Alcibiade servit de modèle pour une statue de Mercure. Ainsi l'on vit la belle Phryné, au rapport d'Athénée, se baignant aux yeux des Grecs éblouis de sa beauté, servir de modèle pour la Vénus Anadyomène. Ainsi les Agrigentins envoyèrent à Zeuxis les plus belles filles d'Agrigente, pour en extraire les grâces et les beautés dont il composa son fameux tableau d'Hélène, si célèbre dans l'antiquité. Tout inspirait l'art, tout concourait pour ainsi dire à l'envi à sa perfection. On vit la jeunesse d'Athènes danser nue sur le grand théâtre, et ce fut Sophocle qui donna, pour célébrer la fête de Cérès, ce spectacle si fort en contradiction avec les idées que nous avons de la décence.

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Une preuve frappante des soins que les artistes grecs apportaient à la perfection de leur art, se trouve dans les entretiens de Socrate avec Parrhasius et le sculpteur Cliton, rapportée par Xénophon dans les choses mémorables de ce philosophe. Socrate, étant une fois entré dans l'atelier de Parrhasius, dit Xénophon, s'entretint avec lui de la sorte : « La peinture, n'est-ce pas une représentation de tout ce qui se voit? Car, avec un peu de couleur, vous représentez, sur une toile', des « montagnes et des cavernes, de la lumière et de l'obscurité; vous << faites remarquer de la différence entre les choses molles et les «< choses dures, entre les choses unies et celles qui sont raboteuses ; « vous donnez de la jeunesse et de la vieillesse aux corps; et quand « vous voulez représenter une beauté parfaite, comme il n'est pas possible de rencontrer un corps où il n'y ait aucun défaut, vous << avez l'attention d'en considérer plusieurs; et prenant de chacun « ce qu'il y a de beau, vous en faites un tout accompli dans toutes « ses parties. » Dans le reste de cet entretien, Socrate parle du talent de rendre les passions et les expressions de l'âme avec la sagacité d'un grand maître. Un artiste était honoré chez les Grecs par les distinctions les plus brillantes. La statue de celui qui s'était rendu célèbre était exposée dans une place publique, souvent même dans les temples des dieux, et Socrate avait placé les artistes au rang des sages. Polygnote ayant achevé de décorer un portique d'Athènes, on mit à son ouvrage un prix considérable; il le refusa, et les amphictyons portèrent dans l'assemblée générale de la nation, où l'on pesait les destinées de la Grèce, un décret solennel, ordonnant à toutes les villes où Polygnote passerait, de le loger et de le défrayer aux dépens du trésor public. Démétrius, qui lève le siège de Rhodes dans la crainte de détruire les chefs-d'oeuvre de Protogènes; le vainqueur de l'Asie, qui prend sous sa protection spéciale Apelles, Pyrgotèles et Lysippe, sont des exemples connus du respect des anciens pour les arts et pour les artistes qui les honoraient.

Personne n'ose proposer le moindre doute sur la supériorité des anciens dans la sculpture : ce doute serait un blasphême; mais la

vanité des modernes se console en refusant aux artistes de l'antiquité la même supériorité dans la peinture. Le petit nombre de monumens qui nous restent de la peinture antique, les conjectures vraisemblables que nous pouvons former sur ceux que le temps à détruits, semblent prouver que, surtout dans la composition, les peintres grecs ne suivaient pas les mêmes principes que nous d'où nous concluons, avec une orgueilleuse témérité, qu'ils étaient inférieurs aux nôtres. Ne pourrait-on pas prouver, à l'aide du même raisonnement, qu'Homère ne savait pas faire un poëme épique, que Sophocle, Euripide, et encore plus Eschyle ne savaient pas faire de tragédies? Les tragédies de Sophocle ne diffèrent pas moins des tragédies françaises que les tableaux d'Apelles ou de Protogènes pouvaient différer des tableaux de nos écoles. Les Grecs aimèrent d'abord dans leurs tableaux les sujets composés d'un grand nombre de figures. Polygnote, l'un de leurs plus anciens peintres, représentait, tantôt la prise de Troie, tantôt Ulysse aux enfers: mais bientôt leur goût se décida pour la simplicité, et leurs peintres ne traitèrent ordinairement que des sujets d'une ou de deux figures, et très-rarement de plus de trois ou quatre. Ils semblaient craindre qu'en en admettant un plus grand nombre, ils ne pussent les étudier toutes avec un soin également réfléchi, et qu'un ouvrage, étonnant par son étendue, offrît quelque négligence, considéré dans ses détails. Cet inconvénient devait frapper vivement un peuple qui avait tant d'amour pour le beau parfait. C'est ce qui nous explique pourquoi ils ne s'élevèrent point jusqu'à ce que nous appelons la grande machine. Je doute fort que, par leur façon de penser, bien différente de la nôtre, ce genre de composition eût eu pour eux beaucoup d'agrément; ils n'auraient pas, je crois, goûté les grands sacrifices qu'elle exige. En voyant des groupes enveloppés dans l'ombre, d'autres perdus dans la vapeur, ils auraient regretté les beautés que ces objets semblent promettre et ne montrent pas; et ces regrets auraient combattu leurs plaisirs.

Ils ne devaient pas multiplier beaucoup les plans de leurs tableaux,

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et leurs compositions en peinture devaient ressembler à celles de leur sculpture en bas-relief. C'est ce qu'on observe en effet dans plusieurs des peintures antiques qui nous restent. Voulant jouir pleinement des figures peintes, comme ils jouissaient de l'aspect d'une statue, ils eurent soin, le plus souvent, que chaque figure fût détachée des autres dans un même tableau, ce qui leur procurait la facilité de lui donner plus de relief, et de la rendre plus distincte à l'œil du spectateur éloigné. Nous croyons voir ce principe dans la composition de la plupart de leurs bas-reliefs qui devait être à-peu-près la même que celle de leurs tableaux ; nous croyons le voir indiqué dans un passage de Pline, où cet écrivain dit qu'Apelles cédait à Amphion par la disposition, et à Asclépiodore par les mesures, c'est - à - dire par la distance qui doit se trouver entre chaque objet, quantò quid à quo distare deberet. Ce principe est encore plus clairement établi par Quintilien il dit qu'un objet peint manque de relief quand rien ne l'entoure, et que, pour cette raison, quand les artistes introduisent plusieurs objets dans un seul tableau, ils laissent de la distance entre eux pour que les ombres ne tombent pas sur les corps. Nec pictura, in qua nihil circumlitum est eminet; ideòque artifices, etiam cùm plura in unam tabulam opera contulerunt, spatiis distingunt, ne umbræ in corpora cadant. Suivant cette règle de composition, si étrange pour nous, chaque figure se distinguait dans toutes ses parties avec la plus grande netteté, et il n'était pas permis à l'artiste de se permettre la moindre négligence. Les anciens se permettaient cependant, quand ils le jugeaient convenable, de ne pas laisser de distance entre leurs figures. On voit de fort beaux groupes dans des peintures antiques; et il est prouvé, par ces exemples, que les anciens n'étaient pas dans l'impuissance de grouper aussi bien que les modernes. Dans un tableau d'Herculanum, qui représente peut-être l'éducation d'Achille, la figure du vieillard qui tient un enfant sur ses genoux, et celle de la femme qui est derrière lui, forment un groupe très-agréable. Le tableau d'un peintre athénien, nommé Alexandre, ouvrage de la même collection, peint d'une seule couleur

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