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grande force d'un artiste n'est rien moins que fixe; tantôt il avance, tantôt il recule, et tel à sa trentième année est déjà arrivé à un degré de talent et de célébrité, qu'un autre atteint à peine dans la soixantième année de sa vie. Cependant, lorsque Bayle ajoute que les anciens auraient mieux fait d'indiquer les jours de naissance et de mort, il ne réfléchit pas que cela n'aurait pas été une chose facile pour beaucoup d'hommes illustres; car ce n'a été qu'après leur mort (temps ou de pareilles déterminations se constatent très-difficilement) qu'on s'est occupé à recueillir leurs faits et leurs belles actions. Si l'on suit les propres recherches de Pline, et si on l'étudie attentivement et sans prévention, on trouvera qu'en travaillant il avait sous les yeux des renseignemens très-différens, qu'il a cherché quelquefois à accorder entre eux, et que souvent aussi il a placés l'un à la suite de l'autre. Par exemple, en parlant des artistes qui ont travaillé en bronze, il les nomme d'abord en général, ensuite il les rapporte de nouveau séparément, avec la nomenclature de leurs ouvrages, depuis Phidias jusqu'à Praxitèle et Calamis. Une table alphabétique vient ensuite (voyez lib. XXXIV, sect. 19), après quoi suit la liste des artistes de Pergame, et une nouvelle table alphabétique des artistes qui ont traité les mêmes sujets, où dont le genre était le même. Comment un certain nombre d'artistes peuvent-ils paraître à-la-fois, après des intervalles plus ou moins grands, et, pour ainsi dire, par bonds, tandis que l'on voit toujours le disciple succéder au maître, et former à son tour de nouveaux élèves? Cependant, en suivant les époques de Pline, il faudrait regarder comme possible cette production subite, par laquelle on aurait des enfans sans pères, et des élèves sans maîtres.

Il y eut chez les Grecs plusieurs chroniques dans lesquelles on consignait les principaux évènemens suivant leurs dates, en y ajoutant de temps en temps les noms des personnages illustres qui avaient vécu dans ces différentes périodes de l'histoire. Il est à présumer que, dans de pareils ouvrages, on commença d'abord par le récit suivi des évènemens, et qu'on n'ajouta les noms des hommes

célèbres que lorsque la suite des choses offrirait des points de repos. Les années dans lesquelles tombait cette liste des grands hommes, ne pouvaient pas être regardées comme l'époque précise de leurs belles actions, de leur célébrité, et de leur plus grande gloire; mais ce ne fut que l'époque la plus commode pour l'historien qui voulait faire mention de ces hommes illustres. De pareilles dates n'offrent donc que de simples époques dans l'histoire d'une nation, ou la suite des évènemens finit ou commence, par exemple, une guerre, un traité de paix, où d'autres faits de ce genre. Tout ceci se trouve constaté dans Pline; ainsi donc, les olympiades que cet écrivain a empruntées d'autres auteurs, ne sont pas des époques proprement dites de l'art, mais seulement des époques historiques, des sections dans la série des évènemens, où d'autres historiens avaient rapporté les noms des hommes illustres, qu'il a recueillis pour les réunir dans un seul endroit de son ouvrage.

La première époque des peintres, que Pline a trouvée dans les auteurs grecs, c'est l'olympiade XC. Dans ce temps vivaient Aglaophon, Céphissodore, Phrylus et Evenor. On peut indiquer le motif de cette époque, d'une manièré très-satisfaisante : dans l'année précédente fut conclue la fameuse paix de cinquante ans, qui interrompit pour quelques années la guerre du Péloponnèse entre Lacédémone et Athènes. Ce fut une époque où les historiens pouvaient respirer, et rapporter, avec d'autres évènemens du temps, les noms des hommes célèbres qui vivaient alors. Seize ans plus tard, il est fait mention d'Apollodore, olympiade XCIV : voici encore une époque pour l'histoire, et qui l'est aussi peu pour l'art que pour les artistes. Dans cette année, Athènes fut forcée de se rendre à Lysandre, et la guerre du Péloponnèse se termina d'une manière désavantageuse pour cette république. C'est donc avec raison qu'on prend pour cela l'olympiade XCIV, plutôt que l'olympiade XCIII, comme plus propre à faire époque.

Les époques suivantes indiquées par Pline, sont l'olympiade CVII, dans laquelle florissaient Echion, Thérimaque. Le motif qui a

fait placer le nom de ces deux peintres dans cette olympiade, est, à ce que nous présumons, le récit de quelque historien de la construction du fameux mausolée. L'indication des artistes du temps fut une digression naturelle. La seconde année de l'olympiade CXII mit fin à l'empire des Perses. Après la bataille d'Arbelles, Alexandre s'empara du trône de Darius, fugitif. Apelles était déjà célèbre vers ce temps-là : ainsi l'époque de cet artiste pouvait très-bien être placée dans une année si mémorable pour l'histoire. Mais il survécut long-temps à Alexandre; ce qui, d'un côté, est prouvé, parce qu'il a fait le portrait du roi Antigone, et, de l'autre, par l'anecdote qui dit qu'il s'est présenté à la table du roi Ptolémée, à Alexandrie, sans y avoir été invité.

On peut se faire une idée de l'étendue donnée à de pareilles époques, par l'exemple suivant. Nous savons que, pendant le siège de Rhodes, Protogènes ne cessa point de travailler tranquillement dans le faubourg de cette ville, au milieu des troupes de Démétrius, par conséquent dans l'olympiade CXIX. Ceci fait une différence de vingt-huit ans, au temps où il est fait mention d'Apelles, qui cependant fut son contemporain.

Le reste des artistes de ce genre sont rapportés par Pline, comme contemporains des premiers ou de leurs élèves. Euphranor seul est relégué dans la CIVe olympiade; mais ce n'est là qu'une simple répétition prise des époques des statuaires en bronze, parmi lesquels Euphranor avait déjà été cité.

Ainsi donc, les notions que nous trouvons dans Pline, dont le témoignage est, d'ailleurs, d'un si grand poids, laissent encore beaucoup à désirer sur le temps précis où ont vécu certains artistes de l'antiquité. Il est probable que cet écrivain avait fait par lui-même peu. de recherches de ce genre, et que quelques-unes de ses citations chronologiques pourraient avoir besoin d'être confirmées,

DES PEINTRES

DE L'ANTIQUITÉ,

Dont il est fait une mention quelconque dans les Auteurs Grecs et Romains,

ACCIUS PRISCUS vivait du temps de Vespasien, et était compté au nombre des bons peintres de cette époque. Il approchait, selon Pline, de la manière antique. Il avait peint, avec Cornélius Pinus, le temple de l'Honneur et celui de la Vertu, rebâtis par l'empereur Vespasien.

AËTION fut-il contemporain d'Apelles, de Protogènes et de Nicomaque? Nous n'avons, pour l'affirmer, qu'un passage de Cicéron qui le nomme avec ces artistes, sans dire cependant qu'il ait vécu dans le même temps. Ce que ce passage permet de soutenir avec plus d'assurance, c'est que, s'il ne fut pas leur contemporain, il fut du moins leur égal; et le témoignage de Cicéron est appuyé de celui de Lucien. Du temps de celui-ci, on voyait encore en Italie un tableau d'Aëtion qui représentait les noces d'Alexandre et de Roxane. L'appartement était de la plus grande beauté, ainsi que le lit sur lequel Roxane était assise, tenant les yeux fixés sur la terre : cette expression peignait en même temps la pudeur de la jeune épouse et le respect que lui inspirait le héros. Un Amour placé derrière Roxane lui enlevait en riant son voile et la montrait à son époux; un autre ôtait une des sandales du prince, comme pour l'inviter à prendre place sur le

lit; un autre le prenait par son manteau et le tirait vers Roxane. Alexandre présentait une couronne à la princesse. Hephestion tenait le flambeau nuptial et s'appuyait sur un adolescent d'une grande beauté qui représentait l'Hymen. Toute la scène inspirait la gaieté, tous les Amours étaient rians; ils se jouaient avec les armes d'Alexandre : on en voyait deux qui portaient sa lance; ils pliaient sous le poids comme des ouvriers qui portent une poutre; deux autres en tiraient un troisième qui était couché sur le bouclier, comme s'ils eussent traîné en triomphe le héros lui-même; un autre encore, pour les effrayer quand ils passeraient près de lui, s'était caché dans la cuirasse. Aëtion exposa ce tableau aux jeux olympiques, et Proxenidès, qui cette année était le juge des jeux, fut si charmé de l'ouvrage, qu'il donna sa fille à l'auteur. Lucien ne dit que par conjecture que l'enfant sur lequel s'appuyait Hephestion était un hyménée, et il remarque que le nom de cette figure n'était point écrit. Les Grecs avaient donc conservé, même dans les beaux siècles de l'art, la coutume barbare d'écrire sur les tableaux les noms des personnages qui y étaient représentés. On retrouve encore cet usage dans un tableau d'Herculanum, ouvrage d'Alexandre d'Athènes. Lucien avait vu en Italie le tableau d'Aëtion qui représente les noces d'Alexandre et de Roxane; il en fait une description brillante, d'après laquelle Raphaël a tracé une de ses plus riches compositions.

AGATHARQUE, de Samos, était fils d'Eudême, et fut un peintre célèbre. Nous voyons par une réponse que lui fit Zeuxis, et qui est rapportée par Plutarque dans la vie de Périclès, qu'il était le contemporain de ce grand artiste. Plutarque, dit ailleurs qu'Alcibiade fit emprisonner Agatharque, mais n'en fait pas connaître le motif; il ajoute que plus tard le peintre peignit sa maison, et fut comblé de présens. Vitruve raconte qu'Agatharque fut le premier qui fit à Athènes, par les conseils d'OEschyle, une scène tragique, et qu'à son exemple, Démocrite et Anaxagoras firent un traité sur la perspective théâtrale.

AGLAOPHON, qu'il ne faut pas confondre avec le père de Poly

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