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encore soumis à l'examen des curieux. Le blanc composé de céruse fait l'enduit de la toile; les contours des figures sont tracés avec du noir comme dans ceux de nos dessins au lavis, dont on fait le trait à la plume. Les couleurs proprement dites ne sont qu'au nombre de quatre, le bleu, le rouge, le jaune et le vert : elles sont employées entières, sans être ni mélangées, ni fondues. C'est le rouge et le bleu qui dominent le plus, et ces couleurs sont assez grossièrement broyées. Le blanc, qui fait l'enduit de la toile, est épargné aux endroits que le peintre a jugé à propos de laisser clairs, comme les modernes épargnent l'ivoire pour former les lumières dans la miniature, ou comme ils laissent travailler le blanc du papier dans les dessins. L'art des peintres égyptiens, au moins dans ce genre, se bornait donc à l'enluminure. La Haute-Egypte possède des peintures colossales; des murailles de quatre-vingts pieds de haut sont décorées de figures; des colonnes de trente-deux pieds de circonférence en sont couvertes. Suivant la relation de Norden, confirmée par M. Denon, les couleurs de ces peintures sont entières comme celles des momies : ce ne sont donc encore que des enluminures colossales; car la proportion ne change rien à l'essence des choses. Les couleurs sont appliquées sur un fond préparé et couvert d'un enduit, ce qui indique le procédé de la fresque. Elles ont, ainsi que les dorures, conservé leur fraîcheur pendant plusieurs milliers d'années, et le temps n'a pu les détacher des murs où elles sont appliquées. Il paraît que la grande occupation des peintres d'Egypte était de colorer de la vaisselle de terre, de peindre des personnages sur des coupes de verre, d'orner des barques, et de charger de figures les bandelettes et les caisses des momies: ils peignaient aussi des toiles. Toutes ces branches d'industrie supposent des ouvriers peintres, et non des peintres artistes. La fonction de décorer les temples, etc. de figures relatives à la religion, et qui étaient toujours les mêmes pour l'attitude et pour la forme, ne suppose encore que des ouvriers. Pline nous apprend que les Egyptiens peignaient des métaux précieux : c'est-àdire qu'ils savaient les vernir ou les émailler. Il est douteux que ce

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fut un art; ce n'était probablement qu'un métier qui consistait à couvrir l'or et l'argent d'une seule couleur, ou même de plusieurs couleurs couchées à plat. Il est vraisemblable que les Egyptiens gardèrent constamment leur ancien style, jusqu'à ce qu'ils fussent passés sous la domination des Ptolomées *.

Les Perses étaient si loin d'exceller dans les arts, qu'ils empruntèrent l'industrie des artistes égyptiens lorsqu'ils eurent fait la conquête de l'Egypte. On ne connaît le nom que d'un seul peintre persan; encore l'a-t-on retenu, non parce qu'il était peintre, mais parce qu'il adapta au Christianisme l'ancienne doctrine des deux principes. D'ailleurs, tout ce qu'on dit de Manès est fort incertain; il est même douteux qu'il ait été Persan on dit qu'il se nommait d'abord Curbicos, qui est un nom grec: est-on plus certain qu'il était peintre? Les tapis de Perse étaient célèbres dans la Grèce, même du temps d'Alexandre; et ces tapis étaient ornés de personnages; mais cela ne signifie pas que ces personnages fussent bien représentés. On connaît les caprices du luxe : on voit dans les pays où les arts sont maintenant cultivés et même florissans, des riches acheter chèrement des magots de la Chine, tandis qu'ils ne feraient aucun cas d'un bon tableau dont ils sont trop loin de sentir les beautés. C'était le mélange industrieux de la soie, et non la vérité des représentations de la nature, que les Grecs admiraient dans les tapis de Perse. Selon Hérodote, les Perses n'étaient point dans l'usage

* En Egypte on peignait jusqu'aux vêtemens. Pline trouve merveilleuse la méthode qu'on employait à cet effet; on commençait par fouler des toiles blanches; on y appliquait ensuite divers enduits non colorés, mais propres à absorber des couleurs : le nombre en était proportionné à la quantité de nuances qu'on voulait obtenir. Cet enduit une fois appliqué, le dessin qu'on avait tracé n'était point encore sensible; mais aussitôt que la toile, ainsi préparée, était plongée dans la chaudière de teinture, on la retirait avec les couleurs qu'on avait voulu lui donner; et, ce qu'il y avait de plus admirable, dit Pline, c'est que, quoiqu'il n'y eût dans la chaudière qu'une seule couleur, la toile se trouvait, lorsqu'elle en sortait, ornée de dessins diversement coloriés, selon la différente nature des mordans dont le préparateur l'avait enduit çà et là; et cette teinture était indélébile, et la toile, ainsi macérée par la coction, se trouvait plus solide que dans son état de blancheur.

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d'élever des statues, des temples, des autels, etc. Cet usage ne regardait à la vérité que les dieux et ce qui était relatif à leur culte; mais est-il vrai qu'il n'était pas favorable aux arts?

Ce sont les anciens habitans de la Thuscie ou Etrurie, qu'on nomme aujourd'hui la Toscane, qui les premiers ont fondé les arts sur l'étude de la nature, qui les premiers ont joint l'idéal à cette étude. On reconnaît dans les monumens étrusques qui ont été respectés par le temps, un premier style qui est celui de l'enfance de l'art, et un second style dans lequel on observe le même caractère qui, chez les modernes, distingue les artistes florentins; plus de grandeur que de grâce, plus de fierté que de précision et de beauté, de l'exagération dans le caractère du dessin et dans les mouvemens: Pline dit que la peinture était déjà portée à la perfection dans l'Italie avant la fondation de Rome : peut-être ne veut-il parler que d'une perfection relative à l'état d'enfance où l'art se trouvait encore dans la Grèce; mais enfin il semble que, de son temps, les peintures de Coeré, ville de l'Etrurie, soutenaient encore les regards des connaisseurs. C'etait vraisemblablement de l'Etrurie que le Latium mandait les artistes qui décoraient les villes. Tel dut être celui qui peignit à fresque, à Lanuvium, une Hélène et une Atalante dont on admirait la beauté. Le temple était en ruine du temps de Vespasien, et cependant ces peintures n'étaient pas encore endommagées *. Les seules peintures qui nous restent des Etrusques ont été trouvées dans les tombeaux de l'ancienne Tarquinie. On y voit de longues frises peintes et des pilastres ornés de grandes figures qui occupent depuis la base jusqu'à la corniche. Ces peintures sont exécutées sur un enduit épais de mortier; plusieurs sont d'une bonne conservation; d'autres ont été presque entièrement dévorées par l'air qui a pénétré dans ces souterrains.

* Varron, cité par Pline, affirme qu'avant que Damophile et Gorgase eussent exécuté pour le temple de Cérès, au grand cirque de Rome, des ouvrages de plastique et de peinture, tous les ornemens qui l'embellissaient étaient toscans; que, lorsqu'il en fallut abattre et relever les murailles, on fit scier en tablettes les parties peintes pour les enlever, et que l'on eut soin de les encadrer pour en former des tableaux de transport.

Des colonies grecques établies à Naples, à Nôle, à Dicétarchie, nommée ensuite Pusœolé, ont vraisemblablement, dit Winckelmann, cultivé de bonne heure les arts d'imitation, et les ont enseignés aux Campaniens établis au centre du pays. Il a été trouvé un grand nombre de vases campaniens couverts de peinture. On les a confondus sous la dénomination de vases étrusques, parce que Buonarotti et Gori, qui les premiers ont publié ces vases, étaient des écrivains toscans et cherchaient à relever l'honneur de leur patrie. Le pays même où ces vases ont été découverts, suffit pour manifester leur erreur : la plupart ont été trouvés dans le royaume de Naples. Les peintures dont ils sont ornés doivent plutôt être regardées comme des dessins coloriés que comme des peintures proprement dites. Ce sont, ainsi que les modernes en font encore, des dessins lavés de plusieurs couleurs. Le contour y est rendu par des traits, ainsi que les plis des draperies, et tout ce qu'on a coutume d'indiquer à la plume dans les dessins qu'on se propose de laver. Le plus souvent les figures sont d'une seule couleur, et cette couleur est épargnée sur le fond du vase; le champ est revêtu d'un noir brillant.

Quoique l'histoire de la peinture chez les Grecs soit bien mieux connue que celle du même art chez les nations dont nous venons de parler, elle offre cependant à différentes époques, et surtout pour les temps anciens, de très-grandes obscurités. Pline est presque le seul écrivain qui nous en ait conservé les matériaux : il ne pouvait les trouver que chez les Grecs, et il se plaint qu'en cette occasion ils étaient loin de montrer leur exactitude ordinaire. Ils ne plaçaient, dit-il, le premier peintre dont ils parlaient, que dans la XC olympiade, 420 ans avant notre ère, et elle remonte à des temps bien plus reculés. Il est certain que, considérée du moins dans l'état de peinture en couleurs sèches, elle existait dès le temps du siège de Troie ; et l'on peut présumer que, dès-lors, la peinture au pinceau n'était pas entièrement inconnue. Le bouclier d'Achille, les ornemens de plusieurs armes prouvent que l'on connaissait les bas-reliefs, genre de sculpture qui se rapproche de la peinture. Hélène travaillait

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à une tapisserie sur laquelle elle représentait les nombreux combats dont elle avait été cause. Dès le temps du siège de Troie, ou au moins, dès le temps d'Homère, l'existence de la peinture d'histoire est donc constatée. On a lieu de penser que les couleurs en étaient variées; mais, quand ces tapisseries eussent été en camaïeu, c'était toujours de la peinture. Elle n'était, il est vrai, qu'en couleurs sèches, mais Hélène ne faisait pas de la tapisserie sans que le dessin n'en fût tracé sur le canevas. Voilà donc la peinture, telle qu'elle fut au moins dans son origine, c'est-à-dire simplement linéaire. Mais, si la tapisserie devait être variée de couleurs, Hélène avait apparemment sous les yeux un dessin colorié qui lui servait de modèle, soit qu'elle l'eût fait elle-même, soit qu'il lui eût été fourni par quelque artiste; c'est-à-dire que la peinture avait déjà fait quelques progrès; qu'elle employait différentes couleurs au pinceau, et qu'elle était à-peu-près ce qu'elle est encore aujourd'hui dans l'Orient. Dans l'Iliade, lorsqu'Andromaque apprend la mort de son époux, elle est occupée à représenter en tapisseries des fleurs de diverses couleurs. Il devient donc certain que, du temps d'Homère, la peinture n'était plus réduite au simple trait, ni même au camaïeu, mais qu'elle employait des couleurs différentes. L'existence de la peinture coloriée, dès le temps d'Homère, peut être posée comme un fait historique. C'est long-temps avant Homère qu'il faut placer les inventeurs de la peinture linéaire, Cléanthes et Ardices, de Corinthe, et Téléphanes, de Sicyone. C'est même encore avant ce poète qu'il faut placer Cléophanthe, de Corinthe, - qui imagina de broyer des tessons de terre pour colorier ses figures. Ou bien il faudra supposer que l'art de peindre, connu du temps d'Homère dans plusieurs endroits, était encore ignoré à Corinthe où il fut inventé par Cléanthes, et à Sicyone, où il fut trouvé par Téléphanes. Il est difficile de soutenir cette supposition. Des guerriers venus de Sicyione et de Corinthe avaient assisté au siège de Troie ; ils durent rapporter l'idée de cet art dans leur patrie. D'ailleurs, les Corinthiens étaient voisins d'Argos, où revint Hélène après le siège de Troie. Mais si Hélène, comme le raconte Hérodote,

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