Page images
PDF
EPUB

une feule. On y voit un jeune homme enjoué, aimant à railler, ne fe préparant pas à l'Etat Eccléfiaftique par efprit de piété, confervant toujours néanmoins des fentimens de piété dans le cœur, quoiqu'il paroiffe content de n'être plus fous la fevere difcipline de Port-Royal; plein de tendreffe pour fes amis, fuyant le monde & les plaifirs par raifon, pour fe livrer tout entier à l'étude, & à fon unique paffion, qui étoit celle des Vers.

PRE

PREMIER RECUEIL.

LETTRES

Ecrites dans fa jeunesse à
quelques Amis.

A M. LE VASSEUR.
A Paris le 5. Septembre 1660.

'Ode eft faite (1), & je l'ai donnée à M. Vitart pour la faire voir à M. Chapelain. S'il n'étoit point fi tard, j'en ferois une autre copie pour. vous; mais il eft dix heures du foir, & d'ailleurs je crains furieufement le chagrin où vous met votre maladie, & qui vous rendroit

peut

(1) L'Ode intitulée la Nymphe de la Seine. M. Vitart fon Oncle la porta à Chapelain. Ce M. le Vaffeur, f intime alors de mon Pere, & environ du même âge, étoit un parent de M. Vitart.

ཟླ

peut-être affez difficile, pour ne rien trouver de bon dans mon Ode. Cela m'embarrafferoit, & l'autorité que vous avez fur moi pourroit produi. re en cette rencontre un auffi mauvais effet qu'elle en produit de bons en toutes les autres. Néanmoins comme il y a efpérance que cette maladie ne durera pas, je vous enverrai demain une copie. Je crains encore que vos notes ne viennent tard.

Quoi qu'il en foit, je vais vous écrire par avance une Stance & demie. Ce n'eft pas que je les croie les plus belles, mais c'eft qu'elles font fur l'entrée de la Reine.

(1) Qu'il vous faifoit beau voir en ce superbe jour,
Où fur un char conduit par la Paix & l'Amour,
Votre illuftre beauté triompha fur mes rives!
Les difcords après vous fe voyoient enchaînés.
Mais hélas! que d'ames captives

Virent auffi leurs cœurs en triomphe menés!
Tout l'or dont fe vante le Tage,
Tout ce que l'Inde fur fes bords
Vit jamais briller de tréfors,
Sembloit être fur mon rivage.

Qu'étoit-ce toutefois de ce grand appareil,
Dès qu'on jettoit les yeux fur l'éclat non pareil
Dont vos feules beautés vous avoient entourée ?
Je fais bien que Junon parut moins belle aux Dieux
Et moins digne d'être adorée,!

Lorfqu'en nouvelle Reine, elle entra dans les Cieux.

Peut-être trouverez-vous d'autres Strophes, qui ne vous paroîtront pas moins belles.

Je

(1) Quoiqu'il paroiffe fi content de ces vers, il ne conferva pas les premiers. On lui critiqua apparemment les difcords, mot qui lui plaifoit, & par lequel il vou loit imiter Malherbe. La Stance fuivante eft telle qu'elle fubfifte aujourd'hui.

Je ne fais fi vous avez connoiffance de quelques Lettres qui font un grand bruit. Elles font de M. le Cardinal de Rets. Je les ai vues, mais en des mains dont je ne pouvois les tirer. On craint à Paris quelque chofe de plus fort, comme un Interdit. Cela paffe ma portée. Adieu..

A U MEM E..

A Paris le 8. Septembre 1660.

Je vous envoye mon Sonnet (1), c'est-à-dire un nouveau Sonnet. Carje l'ai tellement changé hier au foir, que vous le méconnoîtrez. Mais je crois que vous ne l'en approuverez pas moins. En effet ce qui le rend méconnoiffable, eft ce qui vous le doit rendre plus agréable, puifque je ne l'ai fi défiguré que pour le rendre plus beau, & plus conforme aux règles que vous me prefcrivites hier, qui font les règles mêmes du Sonnet. Vous trouviez étrange que la fin fût une fuite fi différente du commencement. Cela me choquoit de même que vous. Car les Poëtes ont cela des hypocrites, qu'ils défendent toujours ce qu'ils font, mais que leur confcience ne les laiffe jamais en repos. J'avois bien reconnu (2) ce défaut, quoique je fiffe tout mon poffible pour montrer que ce n'en étoit pas un: la force de vos rai

[ocr errors]

fons

(1) Il fit en même tems le Sonnet, que j'ai rapporté dans fa vie, & qu'il appelle dans la Lettre fuivante, fon trifte Sonnet, à caufe des reprimandes qui lui vinrent de Port-Royal, lorfqu'on y apprit qu'il faifoit des

Vers.

(2) Le Sonnet paroît bien l'ouvrage d'un très - jeune homme; mais cette reflexion fi jufte eft remarquable dans un Poëte fi jeune.

fons étant ajoûtée à celle de ma confcience a achevé de me convaincre. Je me fuis rangé à la raison, & j'y ai auffi rangé mon Sonnet. J'en ai changé la pointe, ce qui eft le plus confiderable dans ces ouvrages. J'ai fait comme un nouveau Sonnet: ma confcience ne me reproche plus rien, & j'en prens un affez bon augure. Je fouhaite qu'il vous fatisfaffe de même.

J'ai lu toute la Callipédie (1), & je l'ai admirée. Il me femble qu'on ne peut faire de plus beaux Vers Latins. Balzac diroit qu'ils fentent tout-à-fait l'ancienne Rome & la Cour d'Auguste, & que le Cardinal du Perron les auroit lus de bon cœur. Pour moi qui ne fais pas fi bien quel étoit le goût de ce Cardinal, & qui m'en foucie fort peu, je me contente de vous dire mon fentiment. Vous trouverez dans cette Lettre plu. fieurs ratures, mais vous les devez pardonner à un homme qui fort de table. Vous favez que ce n'eft pas le tems le plus propre pour concevoir les chofes bien nettement; & je puis dire avec autant de raifon que l'Auteur de la Callipédie, qu'il ne faut pas fe mettre à travailler fitôt après le repas.

Nimirum crudam fi ad læta cubilia portas
Perdicem, &c.

Mais il ne m'importe de quelle façon je vous écrive, pourvu que j'aie le plaifir de vous entre. tenir; de même qu'il me feroit bien difficile d'attendre après la digeftion de mon fouper, fi je me trouvois à la premiere nuit de mes nôces. Je ne fuis pas affez patient pour observer tant de formalités cela eft pitoyable de fé priver d'un entretien pour trois ou quatre ratures. Mais M. Vi.

(1) Poëme Latin compofé par Quillet.

tart

« PreviousContinue »