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tart monte à cheval, & il faut que je parte avec lui; je vous écrirai plus au long une autre fois. Vale & vive.

AUME ME.

A Paris le 13. Septembre 1660.

Pourquoi ne voulez-vous plus me venir voir, & aimez-vous mieux me parler par Lettres? N'eft-ce point que vous vous imaginez que vous en aurez plus d'autorité fur moi, & que vous en conferverez mieux la majefté de l'Empire? Major è loginque reverentia. Croyez-moi, Monfieur, il n'eft pas befoin de cette politique: vos raifons font trop bonnes d'elles-mêmes, fans être appuyées de ces fecours étrangers. Votre préfence me feroit plus utile que votre abfence; car l'Ode étant prefque imprimée, vos avis arriveront trop tard.

Elle a été montrée à M. Chapelain: il a marqué quelques change mens à faire, je les ai faits, & j'étois très-embarraffé pour favoir fi ces changemens n'étoient point eux-mêmes à changer. Je ne favois à qui m'adreffer. M. Vitart eft rarement capable de donner fon attention à quelque chofe. M. l'Avocat n'en donne pas beaucoup non plus à ces fortes de chofes. Il aime mieux ne voir jamais une piéce, quelque belle qu'elle foit, que de la voir une feconde fois, fi bien que j'étois près de confulter, comme Malherbe, une vieille fervante, fi je ne m'étois apperçu qu'elle eft Janfeniste comme fon maître, & qu'elle pourroit me déceler (1), ce qui feroit ma ruine en. tiere:

(1) Cet endroit fait connoître combien il craignoit de déplaire à Port-Royal, où l'on ne vouloit point qu'il fit des Vers.

tiere: vû que je reçois encore tous les jours lettres fur lettres, ou pour mieux dire, excommu. nications fur excommunications, à cause de mon trifte Sonnet. Ainsi j'ai été obligé de m'en rapporter à moi feul de la bonté de mes Vers. Voyez combien votre préfence m'auroit fait de bien; mais puifqu'il n'y a plus de reméde, il faut que je vous rende compte de ce qui s'eft paffé. Je ne fais fi vous vous y intéreffez, mais je fuis fi accoutumé à vous faire part de mes fortunes, bonnes ou mauvaises, que je vous punirois moins que moi-même, en vous les taifant.

M. Chapelain a donc reçu l'Ode avec la plus grande bonté du monde: tout malade qu'il étoit, il l'a retenue trois jours, & a fait des remarques par écrit, que j'ai fort bien fuivies. M. Vitart n'a jamais été fi aise qu'après cette vifite; il me penfa confondre de reproches, à cause que je me plaignois de la longueur de M. Chapelain. Je voudrois que vous euffiez vu la chaleur & l'élo. quence avec laquelle il me querella. Cela foit dit en paffant.

Au fortir de chez M. Chapelain, il alla voir M. Perrault, contre notre deffein, comme vous favez: il ne s'en put empêcher, & je n'en fuis pas mari à préfent. M. Perrault lui dit auffi de fort bonnes chofes, qu'il mit par écrit, & que j'ai encore toutes fuivies, à une ou deux près, où je ne fuivrois pas Apollon lui-même (1). C'est la comparaifon de Venus & de Mars qu'il recufe, à caufe que Venus eft une proftituée. Mais vous favez que quand les Poëtes parlent des Dieux, ils les traitent en Divinités, & par conféquent comme des Etres parfaits, n'ayant même jamais parlé de leurs crimes, comme s'ils euffent été des crimes;

(1) Quelque docile qu'il fût, il avoit raison de ne pas l'être à cette critique pitoyable.

crimes; car aucun ne s'eft avifé de reprocher à Jupiter & à Venus leurs adultéres; & fi cela étoit, il ne faudroit plus introduire les Dieux dans la Poëfie, vu qu'à regarder leurs actions, il n'y en a pas un qui ne méritât d'être brulé, fi on leur faifoit bonne justice.

Mais en un mot, j'ai pour moi Malherbe, qui a comparé la Reine Marie à Venus, dans quatre Vers auffi beaux qu'ils me font avantageux, puifqu'il y parle de l'amour de Venus.

Telle n'eft point la Cytherée,
Quand d'un nouveau feu s'allumant,
Elle fort pompeuse & parée

Pour la conquête d'un amant,

Voilà ce qui regarde leur cenfure: je ne vous dirai rien de leur approbation, finon que M. Perrault a dit que l'Ode étoit très-bonne, & voici les paroles de M. Chapelain (1), que je vous rapporterai comme le texte de l'Evangile, fans y rien changer. Mais auffi, c'eft M. Chapelain, comme difoit à chaque mot M. Vitart. L'Ode eft fort belle, fort poëtique, & il y a beaucoup de Stances qui ne peuvent être mieux. Si l'on repaffe le peu d'endroits que j'ai marqués, on en fera une fort belle pièce. Il a tant preffé M. Vitart de lui en nommer l'Auteur, que M. Vitart veut à toute force me mener chez lui. Il veut qu'il me voie. Cette vue nuira bien fans doute à l'eftime qu'il a pu concevoir de moi.

Ce qu'il y a eu de plus confidérable à changer, ç'a été une Stance entiere, qui eft celle des Tritons. Il s'eft trouvé que les Tritons n'avoient ja

mais

(1) Chapelain étoit alors le fouverain juge du Parnaffe: jamais Poëte vivant n'a été en fi grande vénération. O quantùm eft in rebus inane!

mais logé dans les fleuves, mais feulement dans la mer. Je les ai fouhaité bien des fois noyés tous tant qu'ils font, pour la peine qu'ils m'ont donnée. J'ai donc refait une autre Stance. Mais Poi che da tutti i lati bo pieno il foglio, adieu. Je fuis, &c.

A U MË ME.

MÊME.

A Babylone (1) le 26. Janvier 1661.

Je fais que M. l'Avocat vous propofa hier de me venir voir, & que cette propofition vous ef fraya. Vous n'êtes pas d'humeur à quitter les Dames, pour aller voir des prifonniers. Dieu vous garde de l'être jamais. Je jure par toutes les Divinités qui préfident aux prifons (je crois qu'il n'y en a point d'autres que la Juftice, ou Themis en termes de Poëtes) je jure donc par Themis, que je n'aurai jamais le moindre mouvement de pitié pour vous, & que je me changerai en pierre, comme Niobé, pour être auffi dur pour vous, que vous l'avez été pour moi; aulieu que M. l'Avocat ne fera pas plutôt dans un des plus noirs cachots de la Baftille (car un homme de fa conféquence ne fauroit jamais être prifonnier que d'Etat) il n'y fera pas plutôt, en vérité, que j'irai m'enfermer avec lui: & croyez que ma reconnoiffance ira de pair avec mon reffentiment.

Vous vous attendez peut-être que je m'en vais

Vous

(1) Il étoit alors à Chevreufe, comme je l'ai dit dans Ta vie, & il date de Babylone par plaifanterie, pour faire entendre qu'il y eft captif, & qu'il s'y ennuye autant que les Juifs s'ennuyoient àá Babylone.

vous dire que je m'ennuye beaucoup à Babylone, & que je vous dois reciter les lamentations que Jérémie y a autrefois compofées. Mais je ne veux pas vous faire pitié, puifque vous n'en avez pas déja eu pour moi; je veux vous braver au contraire, & vous montrer que je paffe fort bien mon tems. Je vais au cabaret (1) deux ou trois fois le jour. Je commande à des Maçons, à des Vitriers, & à des Menuifiers, qui m'obéïffent affez exactement, & me demandent de quoi boire. Je fuis dans la chambre d'un Duc & Pair; voilà pour ce qui regarde le fafte: car dans un quartier comme celui-ci, où il n'y a que des gueux, c'eft grandeur que d'aller au cabaret. Tout le monde n'y peut aller.

J'ai des divertiffe mens plus folides, quoiqu'ils paroiffent moins; je goûte tous les plaifirs de la vie folitaire: je fuis tout feul, & je n'entens pas le moindre bruit: il eft vrai que le vent en fait beaucoup, & même jufqu'à faire trembler la maifon; mais il y a un Poëte qui dit,

O quàm jucundum eft recubantem audire fufurros
Ventorum, & fomnos, imbre juvante, fequi!

Ainfi, fi je voulois, je tirerois ce vent à mon avantage; mais je vous affure qu'il m'empêche de dormir toute la nuit, & je crois que le Poëte vouloit parler de ces Zephirs flatteurs,

Che debattendo l'ali

Lufingano il fenno dé mortali.

Je lis des Vers, je tâche d'en faire; je lis les avantures de l'Arioste, & je ne suis pas moi-même

(1) C'étoit l'ufage alors on va aujourd'hui au Caffé.

fans

d'aller au Cabaret, comme

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