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ila passé et il passe encore aux yeux de certaines gens pour le plus grand diplomate de notre époque. On ne peut dès-lors, ce nous semble, le laisser disparaître de la scène du monde, sans chercher à éclaircir tous les faits qui se rattachent à sa conduite politique ou qui en dépendent. Nous avons entrepris cette tâche, nous venons publier la vie de M. de Talleyrand. Il y a de l'audace peut-être de notre part; nous sommes loin de nous le dissimuler; mais nous tâcherons, si nous ne pouvons échapper au blame intéressé de ses rares panégyristes, de justifier la sévérité qui peut nous attirer la sympathie de ses nombreux ennemis. Nous serons justes pourtant, et si, dans cette foule de faits dont sa vie est remplie, nous rencontrons quelques actes dignes d'approbation, nous les consignerons avec cette franchise qui, selon nous, doit essentiellement caractériser l'historien.

Nous n'avons pas eu la prétention de publier une vie complète de M. de Talleyrand; nous voulons nous borner à l'examen sérieux de sa vie religieuse et politique : nous aurions pu sans doute fouiller dans le sanctuaire de la vie privée, parce qu'il y avait chez lui affinité constante entre l'homme privé et l'homme politique; mais comment se procurer une foule de détails que ses proches pourraient ne pas refuser à des adulateurs, et qu'à coup sûr, ils n'accorderaient jamais à des hommes qui veulent être justes et impartiaux.

Cependant nous avons assez de documents devers

nous, pour empiéter sur le domaine de la vie privée toutes les fois que nous le jugerons nécessaire au développement du drame historique que nous voulons mettre sous les yeux du public. Ainsi nous prendrons M. de Talleyrand à sa naissance; nous le suivrons au séminaire de St.-Sulpice où déjà il puisait dans des intrigues galantes, qui plus tard devinrent scandaleuses, le germe de cette rouerie qui devait le placer un jour sur le trône de l'intrigue politique. Ce sont les femmes qui ont poussé M. de Talleyrand aux honneurs, et nécessairement nous serons obligés d'entrer dans les détails historiques de sa diplomatie amoureuse. Nous le suivrons aussi dans ses spéculations de bourse, dans lesquelles il s'était jeté avec passion, et qu'il n'abandonna même pas, alors que, devenu membre de l'assemblée constituante, il avait su capter l'amitié de Sieyes et même de Mirabeau, qui cependant reconnut bientôt l'astuce ambitieuse de l'abbé de Talleyrand.......

Ces faits sont constants et utiles à développer, pour faire connaître le caractère ambitieux de cet homme, et prouver combien il fut toujours dévoré par la soif des richesses et des honneurs. Il puisa d'ailleurs dans son goût pour les affaires financières, comme dans sa passion pour les femmes, cette finesse et cet esprit d'intrigue qu'on a décorés fastueusement, dans la suite, du titre de génie.

Sans anticiper sur les épisodes nombreux que nous devons esquisser, pour faire connaître l'homme

personnelle est vraie ou erronée. Nous puiserons aux sources les plus respectables; nous ne repousserons pas ce qui nous paraîtra juste dans les œuvres des partisans de notre héros. Quelques personnes douteront peut-être de l'authenticité des documents qui sont entre nos mains; mais nous prenons l'engagement de prouver au besoin cette authenticité, sans cependant expliquer par quels moyens nous avons pu nous les procurer. Dans l'impossibilité d'obtenir aucun renseignement de la famille du défunt, nous avons dû puiser à d'autres sources; nous nous sommes aussi aidés de plusieurs historiens contemporains qui ont écrit sur les hommes et les choses de nos jours, et nous avons trouvé enfin auprès de quelques personnes qui ont à diverses époques occupé la scène politique, un empressement, dont nous nous honorons, à nous fournir, soit par leurs souvenirs, soit autrement, des matériaux de la plus grande utilité.

A cette occasion, nous devons faire une remarque. Quelques journaux ont annoncé que des pa· piers avaient été soustraits au prince de Talleyrand, et on laissait supposer que le public verrait bientôt surgir une œuvre importante sur la vie de M. de Talleyrand. Nous n'avions vu dans cette annonce, assez adroite d'ailleurs, qu'un moyen détourné de violer les dernières volontés du prince, qui a déclaré formellement ne pas vouloir qu'on publiât ses mémoires avant trente ans; mais nous sommes revenus de cette supposition, depuis que nous

avons vu la lettre publiée par M. Perret, secrétaire de M. Talleyrand, et dans laquelle il déclare formellement qu'il poursuivra tous ceux qui s'autoriseraient de son nom directement ou indirectement pour une semblable publication. Nous n'avons donc à craindre aucune concurrence sérieuse, et en admettant même que les mémoires de M. de Talleyrand eussent l'importance que l'imagination leur attribue, nous doutons fort qu'ils pussent révéler des actes politiques autres que ceux que nous sommes en mesure de produire d'après le cercle que nous nous sommes tracé.

Nous allons soulever bien des haines, nous nous y attendons; nous allons exciter bien des susceptibilités, parce que la vérité blesse les disciples comme le maître; mais depuis long-temps nous sommes habitués à subir le choc des amours-propres blessés, et rien ne nous fera renoncer au droit sacré de l'histoire, au droit de proclamer la vérité. Ce n'est pas un pamphlet que nous adressons au public; c'est un monument consciencieusement construit que nous léguons à la postérité. Nous pourrons errer dans nos jugements, mais ce ne sera pas sciemment, et, nous ne craignons pas de le dire, nous espérons qu'on ne nous reprochera jamais trop de sévérité dans la rigoureuse appréciation de l'homme qui a passé sa vie à tromper tout le monde, et dont la conduite politique a fait imprimer des gouttes de sang sur tant de pages de notre histoire contemporaine.

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